Le Guaranis. Aimard Gustave
le voir.
– Je n'en doute pas, cependant je désirerais savoir son nom.
– Eh! Mais c'est l'endroit où nous nous rendons, mi amo; vous voyez devant vous la fazenda do rio d'Ouro, il paraît que dans les anciens jours toutes ces montagnes que vous voyez étaient remplies d'or et de pierres précieuses.
– Et maintenant? demandai-je intéressé malgré moi.
– Oh! Maintenant, on ne travaille plus aux mines, le maître ne le veut pas; elles sont comblées ou envahies par l'eau; le maître prétend qu'il vaut mieux travailler la terre, et que c'est là le véritable moyen de se procurer la richesse.
– Il n'a pas tort; comment se nomme l'homme bon qui raisonne d'une façon aussi juste?
– Je ne sais pas, mi amo; on prétend que la fazenda et toutes les terres qui en dépendent appartiennent à don Zèno Cabral; mais je n'oserais l'assurer; du reste, cela ne m'étonnerait pas, car on raconte de singulières choses sur ce qui se passe dans les caldeiras que vous voyez là-bas, ajouta-t-il en me désignant du doigt des trous ronds en forme d'entonnoir, percés dans les rochers, lorsque le Viraçao s'élève sur la surface du lac et en agite les eaux avec tant de violence que les pirogues sont en danger de périr.
– Que raconte-t-on donc de si extraordinaire?
– Oh! Des choses effrayantes, mi amo, et que moi, qui suis un pauvre Indien, je n'oserais jamais répéter à un señor comme vous.»
J'eus beau presser mon guide pour l'obliger à s'expliquer, je ne pus en tirer que des interjections de frayeur accompagnées d'innombrables signes de croix. De guerre lasse, je renonçai à l'interroger davantage sur un sujet qui paraissait lui déplaire tant, et je changeai de conversation.
«Dans combien de temps arriverons-nous à la fazenda? lui demandai-je.
– Dans quatre heures, mi amo.
– Croyez-vous que don Zèno sera déjà arrivé et que nous le rencontrerons?
– Qui sait, mi amo; si le señor don Zèno veut être arrivé, il le sera; sinon, non.»
Battu sur ce point comme sur le premier, je renonçai définitivement à adresser à mon guide des questions auxquelles, comme à plaisir, il faisait de si ridicules réponses, je me bornai à lui donner l'ordre du départ.
Au fur et à mesure que nous descendions dans la vallée, le paysage changeait et prenait des aspects d'un effet saisissant; je parcourus, ainsi, sans m'en apercevoir, l'espace assez étendu qui me séparait de la fazenda.
Au moment où nous commencions à gravir un sentier assez large et bien entretenu qui conduisait aux premiers bâtiments, j'aperçus un cavalier qui accourait vers moi à toute bride.
Mon guide me toucha légèrement le bras avec un frémissement de crainte.
«Le voyez-vous, mi amo? me dit-il.
– Qui? lui répondis-je.
– Le cavalier?
– Eh bien?
– Ne le reconnaissez-vous pas, c'est le seigneur don Zèno Cabral.
– Impossible!» m'écriais-je.
L'indien hocha la tête à plusieurs reprises.
«Rien n'est impossible au señor Zèno,» murmura-t-il à demi-voix.
Je regardai plus attentivement; je reconnus en effet don Zèno Cabral, mon ancien compagnon de la pampa, il portait le même costume que lors de notre rencontre.
Au bout d'un instant il fut près de moi.
«Soyez le bienvenu à la fazenda do rio d'Ouro, me dit-il joyeusement en me tendant la main droite que je serrai cordialement; avez-vous fait un bon voyage.
– Excellent, je vous remercie, quoique très fatigant; mais, ajoutai-je en remarquant un léger sourire sur ses lèvres, bien que je ne me donne pas encore pour un voyageur de votre force, je commence à parfaitement m'habituer; d'ailleurs, l'aspect de votre admirable pays m'a complètement fait oublier ma fatigue.
– N'est-ce pas qu'il est beau, me dit-il avec orgueil et qu'il mérite d'être vu et apprécié même après les plus beaux paysages européens.
– Certes, d'autant plus qu'entre eux et lui toute comparaison est impossible.
– Vous avez été satisfait de ce bribon, je suppose, dit-il en se tournant vers le guide qui se tenait modestement et craintivement en arrière.
– Fort satisfait; il a complètement racheté sa faute.
– Je le savais déjà, mais je suis content de l'entendre dire par vous, cela me raccommode avec lui. Cours en avant, pícaro, et annonce notre arrivée.»
L'Indien ne se fit pas répéter l'ordre qui lui était donné, il pressa les flancs de son cheval et partit au galop.
«Ces Indiens sont de singulières natures, reprit don Zèno en le suivant du regard, on ne peut les dompter qu'en les menaçant avec rudesse, mais, somme toute, ils ont du bon, et avec de la volonté on parvient toujours à en faire quelque chose.
– Vous exceptez sans doute, répondis-je en souriant, ceux qui voulaient vous faire un si mauvais parti lorsque j'eus le plaisir de vous rencontrer.
– Pourquoi donc cela? Les pauvres diables agissaient dans de bonnes intentions au point de vue de leurs idées étroites, en cherchant à se débarrasser d'un homme qu'ils redoutent et qu'ils croient leur ennemi, je ne puis pas leur garder rancune pour cela.
– Vous ne craignez pas, en vous aventurant ainsi, d'être un jour victime de leur perfidie?
– Il en sera ce qu'il plaira à Dieu! Quant à moi, j'accomplirai jusqu'au bout la mission que je me suis imposée. Mais laissons cela; vous resterez quelque temps avec nous, n'est-ce pas don Gustavio?
– Deux ou trois jours seulement,» répondis-je. Le visage de mon hôte se rembrunit subitement à cette déclaration.
«Vous êtes bien pressé? me dit-il.
– Nullement; je suis, au contraire, absolument maître de mon temps.
– Alors pourquoi vouloir nous quitter si vite?
– Dame, répondis-je, ne sachant trop que dire, je crains de vous gêner.»
Don Zèno Cabral me posa amicalement la main sur l'épaule, et me regardant attentivement pendant une minute ou deux:
«Don Gustavio, me dit-il, quittez une fois pour toutes ces façons européennes qui ne sont pas de mise ici; on ne gêne pas un homme comme moi, dont la fortune s'élève à plusieurs millions de piastres, qui est maître après Dieu d'un territoire de plus de trente lieues carrées et qui commande à plus de deux mille individus blancs, rouges et noirs; en acceptant franchement l'hospitalité que cet homme vous offre loyalement comme à un ami et à un frère, on lui fait honneur.
– Ma foi, répondis-je, mon cher hôte, vous avez une façon de prendre les choses qui rend un refus tellement impossible, que je me mets complètement à votre discrétion; faites de moi ce que bon vous semblera.
– A la bonne heure, voilà qui est parler à la française, sans ambages et sans réticences; mais rassurez-vous, je n'abuserai pas de la latitude que vous me donnez en vous conservant malgré vous auprès de moi; peut-être même, si vos idées vagabondes vous tiennent toujours au cœur, vous ferai-je d'ici quelques jours une proposition qui vous sourira.
– Laquelle? m'écriai-je vivement.
– Je vous le dirai; mais, chut! Nous voici arrivés.»
En effet, cinq minutes plus tard nous entrâmes dans la fazenda entre une double haie de domestiques rangés pour nous recevoir et nous faire honneur.
Je ne m'étendrai pas sur la façon dont l'hospitalité me fut offerte dans cette demeure réellement princière.
Quelques jours s'écoulèrent pendant lesquels mon hôte chercha par tous