L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie. Aretino Pietro

L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie - Aretino Pietro


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des œillades. Mais ce n'est rien que cela: elle a dans ses mains et dans sa châtaigne les rubis, les perles, les diamants, les émeraudes et toute l'harmonie des mondes.

      Pippa.– Comment cela?

      Nanna.– Comment, hein? Il n'y en a pas un qui ne touche le ciel du bout du doigt quand sa bonne amie, qu'il aime tant, au moment qu'il lui glisse la langue entre les lèvres, lui empoigne le machin et, le serrant à deux ou trois reprises entre ses doigts, le force à se redresser; dès qu'il se redresse, elle lui administre une petite secouée, puis le laisse en plan. Après être ainsi restée un tout petit peu, elle te prend les sonnettes dans le creux de la main et les chatouille voluptueusement; puis elle te tapote les fesses, te gratte entre les poils et recommence à te le taquiner, si bien que le concombre, mis en belle humeur, ressemble à quelqu'un qui a bien envie de vomir et qui ne peut pas. Notre galant, sous ces caresses, se prélasse comme un abbé et ne troquerait pas sa béatitude contre celle d'un cochon qu'on gratte; quand il se voit chevauché par celle qu'il comptait chevaucher lui-même, il tombe en pâmoison comme un homme qui achève.

      Pippa.– Qu'entends-je?

      Nanna.– Écoute et apprends à vendre tes marchandises. Sur ma foi, Pippa, si une femme, que grimpe son amoureux, fait seulement une parcelle de ce que je t'enseigne, elle est apte à lui tirer l'argent des grègues avec plus d'adresse encore que les dés et les cartes ne le tirent de celles des joueurs.

      Pippa.– Je vous crois.

      Nanna.– Tiens-le pour certain.

      Pippa.– Vous voulez que je fasse ce que vous venez de dire avec celui chez qui je serai?

      Nanna.– Oui, fais-le.

      Pippa.– Comment m'y prendre, s'il est sur moi?

      Nanna.– Il manque bien de moyens de le jeter à bas!

      Pippa.– Montrez-m'en un.

       Nanna.– Le voici. Pendant qu'il te foule, mets-toi à pleurnicher, deviens soucieuse, ne fais pas un mouvement, ne prononce pas une parole. S'il te demande ce que tu as, contente-toi de grogner; il sera bien forcé de s'arrêter et de dire: «Mon cœur, vous fais-je mal? Avez-vous déplaisir du plaisir que je prends?» Toi, tu lui réponds: «Mon vieux petit chéri, je voudrais…» Arrête-toi là. Il te demandera: «Quoi donc?» Alors, fais la chatte qui miaule; enfin, moitié de bouche, moitié par signes, tu lui donneras à entendre que tu veux courir une lance à la Jeannette.

      Pippa.– A cette heure, faites compte que je sois déjà où vous dites.

      Nanna.– Si tu es en imagination en train de faire ce que je voudrais que tu fisses, arrange-toi bien à ton aise et, une fois installée, entoure-lui le cou de tes bras, applique-lui dix baisers à la file, et après que tu lui auras empoigné son pilon dans la main, serre-le si fort qu'il achève de se mettre en fureur; quand il sera tout feu et flammes, plante-le-toi dans le mitan et pousse-toi sur lui de toutes tes forces; là, arrête-toi, immobile, et baise l'homme amoureusement. Après être un peu restée ainsi en suspens, tu soupires, comme au comble de la jouissance, et lui dis: «Si j'achève, achèverez-vous?» L'étalon te répondra, d'une voix envitaillée: «Oui, mon espérance!» Toi, pas autrement que si son esprit était l'essieu et ta marjolaine la roue, à l'endroit où le moyeu la fait tourner, commence à te trémousser; si tu vois qu'il est sur le point de finir, arrête-toi en disant: «Pas encore, ma vie», et lui fourrant ta langue à pleine bouche, en ayant bien soin de ne pas ôter la clef de la serrure, pousse, recule, reviens dessus, doucement, fort, vas-y d'estoc et de taille, et touche le clavier en vraie Paladine. Pour abréger, je voudrais qu'en faisant cette besogne tu aies de ces balancements de corps que prennent ceux qui jouent à la paume, quand ils ont la balle en main: ils s'escriment avec art et, faisant mine de vouloir courir par-ci par-là, se dérobent si à propos que, sans être aucunement empêchés par l'adversaire, ils lancent le coup comme il leur plaît.

      Pippa.– Vous m'instruisez dans l'honnêteté d'abord, puis dans la déshonnêteté à ventre déboutonné!

      Nanna.– Et je ne sors pas de mes gonds, pas du tout; je veux que tu sois aussi putain au lit qu'honnête femme partout ailleurs. Tâche qu'il ne se puisse imaginer de caresses que tu ne fasses à qui couche avec toi; sois toujours aux aguets pour le gratter où cela le démange. Ah! ah! ah!

      Pippa.– De quoi riez-vous?

      Nanna.– Je ris de l'excuse qu'ont trouvée ceux à qui la queue ne peut pas se dresser.

      Pippa.– Quelle excuse?

      Nanna.– Ils s'en prennent au trop d'amour et, bien sûr, bien sûr que si cette excuse n'existait pas, ils resteraient plus embarrassés que ne le sont les médecins quand le malade à qui ils demandent s'il va du corps leur répond que oui; ils ne savent plus alors quel remède donner et se trouvent tout penauds. C'est comme ces vieux qui, une fois grimpés sur vous, ne peuvent payer que de courbettes et de sornettes.

      Pippa.– Justement, je voulais vous demander comment il faudra me gouverner sous quelque baveux, lâcheur de pets, qui puera autant devant que derrière; de quelle façon je devrai me laisser fatiguer à l'avoir toute une nuit sur le dos. Ma cousine me raconte que la je ne sais plus qui faillit trépasser en telle occurrence.

      Nanna.– Ma petite, la suavité des écus ne laisse arriver jusqu'au nez ni la putridité des haleines, ni la puanteur des pieds, et il est bien pire de recevoir des camouflets que de sentir l'odeur des latrines dans la bouche d'un homme qui fait de la dépense; ceux-là vous achètent au poids de l'or la complaisance qu'on a pour les défauts. Écoute-moi bien; je vais t'indiquer la manière de te comporter avec toutes espèces de musico musicorum; si tu peux te plier aux humeurs des gens et les endurer avec patience, tu seras plus maîtresse de tout ce qu'ils ont que nous ne sommes moi à toi, et toi à moi.

      Pippa.– Éclairez-moi un peu au sujet de ces vieux-là.

      Nanna.– Te voici à souper avec de ces libidineux qui ont bonne volonté, mais tristes jambes. Pippa, les mets sont ici à profusion, les vins à discrétion, les hâbleries comme chez les grands seigneurs, et qui entendrait parler ces vantards dirait: «Voilà des gens qui doivent faire quinze milles à l'heure.» Si leur vaillance au lit égalait celle dont ils font preuve à l'encontre des faisans et du malvoisie, ils pourraient conchier Roland. Oui, s'ils contentaient leurs maîtresses, en les enfilant, comme ils les bourrent de friands morceaux à table, quel bonheur pour elles! Les entêtés, les acharnés comptent sur le poivre, sur les truffes, sur les cardons, sur certains électuaires brûlants qui proviennent de France et s'en empiffrent plus que ne s'empiffrent de raisins les paysans. Parce qu'ils engloutissent les huîtres sans les mâcher, ils s'imaginent pouvoir faire merveille! A ces soupers-là, tu peux manger quasi sans cérémonie.

      Pippa.– Pourquoi?

      Nanna.– Parce que leur bonheur est de t'empâter comme on empâte les bambins. Ils prennent plus de plaisir à vous voir manger en affamé que n'en a un cheval d'entendre siffler le valet qui le mène à l'abreuvoir. Et puis les vieux détestent les façons de jeunes mariées.

      Pippa.– Alors, quand je mangerai chez eux, je pourrai rendre leurs petites bouchées aux continences ci-dessus dites?

      Nanna.– Par la croix de Dieu! tu me saisis, et si tu vas de bien en mieux, les autres filles resteront avec la mine du prêtre en face de maigres offrandes. J'oubliais de t'en avertir: il ne faudra pas te nettoyer les dents avec la serviette, ni te les rincer à l'eau fraîche aussitôt que tu auras soupé avec des vieux, comme tu devras le faire en soupant avec des jeunes gens. Ils seraient capables de s'en formaliser et de se dire en eux-mêmes: «Avec ses dents, elle se moque des nôtres, qui nous branlent dans la bouche, collées avec de la cire.»

      Pippa.– J'entends me les nettoyer, tant pis pour eux!

      Nanna.– Prends garde!..

      Pippa.– Allons! je ne les nettoyerai pas.

      Nanna.– Tu peux tout


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