L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie. Aretino Pietro
ah! ah! Je ne puis m'empêcher de rire, parce qu'il leur faudra d'abord avoir la précaution d'aller au retrait (je t'ai prévenue de t'en bien garder, toi). Oh! que de vesses, que de pétarades ils lâchent! Soufflets de forgerons ne soufflent pas si ferme. Et pendant qu'en se tordant le museau ils s'efforcent de pousser des bondons, ils tiennent à la main un cornet de réglisse pour apaiser la toux qui les crucifie. La vérité, c'est qu'une fois déshabillés en pourpoints, ils sont appétissants à voir; ils se ressouviennent de leur jeune temps, comme des sarments verts les ânons et les ânesses, et se trouvent en appétit avec plus de ferveur que jamais. En serrant la nymphe entre leurs bras, je ne saurais te dire de combien de douceurs ils la cajolent; ces babillages dont se servent les nourrices avec leurs poupons, qui n'y comprennent rien, sont leurs sucreries à eux; ils te mettent l'épervier au poing, te sucent les tétons, te montent à califourchon sur le dos et te font tourner par-ci, caracoler par-là. Toi, en les chatouillant sous les bras, autour des reins, glisse la main où tu sais: quand tu l'as réveillée, empoigne-la, secoue-la si gentiment qu'elle finisse par lever la tête tant bien que mal.
Pippa.– Quoi! celles des vieux aussi lèvent arrogamment la tête?
Nanna.– Quelquefois, mais elles la baissent bien vite. Si tu avais vu ton père (bénie soit sa mémoire), lorsque dans sa dernière maladie il s'efforçait de se soulever pour s'asseoir sur le lit et retombait aussitôt tout de son long, tu aurais vu celle de ces vieux-là; elles sont de la nature des lombrics, qui rentrent en eux-mêmes et s'allongent pour cheminer.
Pippa.– Maman, vous m'avez enseigné ce que je dois faire à califourchon sur l'homme, et toutes les petites façons de circonstance, mais non comment il me faudra achever.
Nanna.– N'en dis pas plus, je te tiens au bout de ma ligne, et il me vient un tel orgueil de te voir si attentive, que j'en suis in cymbalis. Je retourne donc en arrière; tu veux que je te dise à quoi devront aboutir ces chatteries que tu auras faites, à califourchon sur le fouteur, pour parler suivant l'usage?
Pippa.– Vous l'avez pris par le toupet.
Nanna.– Ne te souviens-tu point, Pippa, de ce que fait le Zoppino, quand il débite sur l'estrade la légende de Campriano?
Pippa.– Je me rappelle ce Zoppino que tout le monde court entendre, quand il chante sur les planches.
Nanna.– C'est celui-là même. Te souviens-tu comme tu riais lorsque nous étions chez Piero, mon compère, et que tu allais l'écouter avec sa Luchina et sa Luciette?
Pippa.– Oui, madonna.
Nanna.– Tu sais que le Zoppino contait comment Campriano, après avoir introduit des liards pour une somme de trois livres dans le trou du cul de son âne, le conduisit à Sienne et se le fit acheter cent ducats par deux marchands à qui il donnait à entendre que cet âne chiait de la monnaie?
Pippa.– Ah! ah! ah!
Nanna.– Il poursuivait l'histoire jusqu'à la moitié; puis lorsqu'il avait bien amorcé la foule, il retournait sa veste et, avant d'achever, voulait vendre toutes sortes de drogues.
Pippa.– Je ne saisis pas…
Nanna.– Sais-tu, bâton de ma vieillesse, ce qui t'arrivera souvent, si tu me laisses finir de t'endoctriner?
Pippa.– Quoi?
Nanna.– Ce qui arrive à un homme qui en regarde un autre plonger, en nageant sous l'eau: toujours il le voit reparaître en quelque endroit auquel il ne songeait point. Je te le dis, lorsque tu l'auras mis en humeur, avec de gentilles façons, et qu'il sera tout près de cracher le limaçon sans coquille, arrête-toi en t'écriant: «Je ne puis plus!» Et qu'il ait beau supplier, répète: «Plus ne puis!»
Pippa.– Et je dirais bien encore: «Je ne veux plus!»
Nanna.– Dis-le, alors; parce qu'aussitôt il entrera dans la frénésie d'un homme qui brûle de soif, au milieu d'une fièvre dont il est en ébullition, et qui se voit arracher des mains un seau d'eau fraîche que la compassion de son valet venait de tirer du puits et de lui apporter vite, vite. Dès que tu feras mine de descendre de cheval, il te promettra des merveilles; toi, refuse. Alors, il se jettera sur sa bourse et te donnera tout ce qu'il y a dedans, pendant que, feignant de ne pas vouloir accepter, tu tendras la main pour recevoir. Vois-tu, dire: «Je ne veux pas, je ne puis pas», au plus beau moment de l'affaire, c'est la recette que vendait le Zoppino, lorsqu'il laissait à sec l'assistance qui se pâmait, en lui coupant en deux l'histoire de Campriano.
Pippa.– Le bec est fait à l'oie4; retournons maintenant au vieux.
Nanna.– Au vieux qui, suant et soufflant plus que ne sue et ne souffle un pauvre homme à qui le cul fait lapp! lapp! te harassera toute du désir qu'il a de faire et ne fera rien: force est de le câliner un peu. Allonge ton visage sur sa poitrine et dis-lui: «Qui est votre mignonne? Qui est votre enfant? Qui est votre fille? Papa, mon papa, petit papa, ne suis-je pas votre coucou?» Gratte-lui toutes les croûtes, toutes les rides que tu lui trouveras et dis-lui: «Dodo! dodo!» Chante-lui encore quelque chansonnette à mi-voix et traite-le comme un marmot. Je suis sûre qu'il prendra des airs de poupon et t'appellera sa maman, sa petite maman, sa bonne petite maman. Sur ce coup de temps, attaque-le ferme et tâte si l'escarcelle est sous le traversin; si elle y est, n'en laisse pas un dedans. Si elle n'y est pas, fais qu'elle s'y trouve. Il faut user de ce stratagème, parce que ces ladres-là vous alambiquent un denier quatre heures durant hors du moment où ils se divertissent; s'ils te promettent des robes, des colliers, ne les lâche pas avant que le cadeau ne soit bien en règle. Après, soit avec le doigt, soit avec ce qu'ils pourront, qu'ils te le fassent à l'endroit ou à l'envers, je ne t'en donnerais pas une pistache.
Pippa.– N'ayez pas peur.
Nanna.– Écoute encore: ils sont jaloux, sujets à monter sur leurs grands chevaux et ils ont les mains aussi promptes que la langue aux brutalités. Mais si tu sais les amadouer, outre que les cadeaux te pleuvront, tu prendras d'eux un amusement de l'autre monde. Il me semble d'ici en voir un, plus cassé que le bisaïeul de l'Antéchrist, en culotte et en pourpoint de brocart tout tailladé, sa toque de velours ornée d'une plume, couverts de ferrets, d'aiguillettes, une pointe de diamant au milieu de sa médaille d'or, avec sa barbe d'argent de coupelle, les jambes et les mains tremblotantes, la figure pleine de rides, s'acheminer en branlant, passer et repasser toute une journée devant la maison, sifflant, grommelant, ronronnant comme des chats au mois de janvier, et je me compisse de rire en dessous, rien que de penser à une bonne farce qui referait le millésime.
Pippa.– Dites-la-moi.
Nanna.– Un madré charlatan lui fit accroire qu'il possédait une teinture pour la barbe et les cheveux, si noire que les diables étaient blancs en comparaison; mais il la voulait vendre si cher que l'autre fut des jours et des jours avant de lui prêter l'oreille. A la fin des fins, s'avisant que sa tête de poireau et sa barbe d'étoupe lui rognaient bonne part de réputation en amour, il compta vingt-cinq ducats de Venise au charlatan qui, soit pour le bafouer, soit pour l'attraper, lui rendit les cheveux et la barbe du plus beau bleu turquin dont on ait jamais peint la queue d'un cheval barbe ou d'un cheval turc; de sorte qu'il fallut le raser jusqu'à la couenne. On en fit des fables dans le public; on en rit encore.
Pippa.– Ah! ah! ah! Je crois le voir. Le vieux fou! S'il m'en tombe un entre les griffes, je veux qu'il soit mon bouffon.
Nanna.– Tout au contraire! Ne te gausse pas de lui, sous n'importe quel prétexte, et surtout s'il y a du monde, parce qu'on doit toujours révérer la vieillesse. Tu serais tenue pour une vilaine, une scélérate, d'oser bafouer un tel personnage. Je veux que tu feignes de le porter dans ton cœur et que tu fasses la révérence à la moindre parole qu'il te dira. Il en résultera que d'autres vieux se rajeuniront à t'aimer et, si tu veux en rire tout à ton aise, que ce soit entre nous.
Pippa.– C'est ce que je ferai, si cependant ce n'est pas mal.
Nanna.– Parlons maintenant
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C'est-à-dire: en voilà assez là-dessus.