L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie. Aretino Pietro

L'oeuvre du divin Arétin, deuxième partie - Aretino Pietro


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qu'il n'y a pas moyen de t'attraper non plus. Force lui sera, à ce rapetasse-morceaux, de te fier sa foi méfiante; ainsi refait du même au même, il sera tout à toi et tu ne seras à lui que quand tu le voudras bien.

      Pippa.– Je m'étonne, maman, que vous ne teniez pas école pour y apprendre aux gens ces galanteries-là.

      Nanna.– Je possède une qualité qui rehausserait une impératrice: je ne suis pas glorieuse. Je l'étais autrefois, Dieu me le pardonne! Mais ne gaspillons pas le temps. Apprends à te fâcher et à te radoucir avec tes poursuivants de la manière que je t'enseigne, et ne trouve pas trop long ce livre que je veux que tu récites couramment. Le putanisme aiguise si bien l'esprit que sans maître, en huit jours, il vous en apprend plus long qu'on n'en peut savoir. Or juge un peu si tu dépasseras les autres, ayant la Nanna pour guide!

      Pippa.– Qu'il en soit ainsi!

      Nanna.– Il en sera ainsi, n'en doute pas. Fâche-toi avec grâce, Pippa; prends-y toi de telle sorte que tout le monde te donne raison. Si ton amoureux te promet Rome et le reste, attends l'exécution de sa promesse un jour ou deux, sans lui en dire un mot; passé la moitié du troisième jour, pousse-lui un petit coup de bouton. Il te répondra: «Sois sans crainte, tu verras; compte sur moi.» Montre-toi rayonnante et mets-toi à causer du Turc qui doit venir, du Pape qui n'est pas encore crevé, de l'Empereur qui fait des choses miraculeuses, du Roland furieux et du Tarif des courtisanes de Venise, que j'aurais dû mettre en tête. Puis laisse-toi tomber le menton sur la poitrine et deviens muette tout d'un coup; songe et resonge un bout de temps, et en te levant debout, dis d'une voix étranglée: «Je ne l'aurais jamais cru!» Là-dessus, il me semble voir l'homme au cadeau en retard s'écrier: «Qu'avez-vous donc? – Où étiez-vous donc hier soir?» lui riposteras-tu, et sans vouloir rien entendre, sauve-toi dans ta chambre, enferme-toi en dedans. S'il frappe, laisse-le aboyer; moi, de mon côté, je lui donnerai toujours tort et je lui affirmerai par serment qu'on t'a dit qu'il venait passer avec toi un caprice qu'il a pour une telle. Sois-en certaine, il dégringolera l'escalier en blasphémant, en niant la chose; quand il voudra revenir quelque temps après, ou sur l'heure même, ou le lendemain, fais-lui répondre que tu as affaire ou que tu es en compagnie.

      Pippa.– Oui, oui; il fera la paix en m'apportant ce qu'il m'aura promis au double.

      Nanna.– Vrai, comme je suis sûre que tu auras alors un visage différent du mien; mais suis-moi attentivement. Tu peux encore mettre en œuvre une bouderie de ton cru, c'est-à-dire te fâcher en dedans de toi-même et t'enfoncer les joues dans tes mains.

      Pippa.– Pourquoi faire?

      Nanna.– Pour faire que lui, qui ne peut durer sans toi, s'approche de toi et te dise: «Quelles fantaisies vous prennent? Vous sentez-vous mal? Vous manque-t-il rien? Parlez.» Il te donnera du vous pour t'amadouer. Réponds-lui: «Eh! laisse-moi en paix, je te prie; allons, ôte-toi de là, ôte-toi, te dis-je; oui, oui!» Tu lui cherches pouille et le tutoies toujours, ce qui aura l'air de le mépriser. Tu t'y prends de la sorte afin qu'il te chatouille pour te faire rire, mais ces rires-là, garde-toi bien d'en laisser rien échapper de ta figure ou de tes yeux, à moins qu'il ne te donne quelque chose; le cadeau fait, fais à sa volonté. On dit que les enfants, eux aussi, se fâchent sans sujet et font la paix quand on leur donne du nanan.

      Pippa.– Tout ça, c'est des bêtises. Je voudrais que vous me disiez comment on se rapatrie après une infidélité: mettons le cas qu'elle vienne de lui à moi ou de moi à lui.

      Nanna.– Je vais te le dire. S'il arrive que l'infidélité provienne de toi, comme on doit archicroire qu'elle en proviendra, baisse les épaules, parle humblement et dis à tout le monde: «J'ai fait un coup de jeunesse, de tête folle, de femme sans cervelle; le diable m'aveuglait; je ne mérite pas de pardon, et si Dieu m'en réchappe, jamais plus, jamais je n'enfreindrai ses commandements.» Enfin, lève la bonde à l'écluse des larmes et pleure plus que si tu me voyais refroidie aux pieds, ce dont Dieu me garde et le réserve pour qui me veut du mal.

      Pippa.– Amen.

      Nanna.– Le tapage et les pleurnicheries que tu feras lui seront rapportés à franc étrier, parce qu'un homme dans ce cas-là aura toujours espions à ses trousses. Ce qu'ils lui en diront, en ajoutant quelques petites choses du leur, lui fera changer de résolution, et bien qu'il jure de se ronger de faim les poings plutôt que de t'adresser la parole, de se laisser plutôt mener à la boucherie par ses ennemis, et tous les autres philostrocoles qui viennent entre les dents quand on se laisse aller à la colère, il n'en sera rien de plus; ces jurements-là ne le conduiront pas en enfer, parce que messire le bon Dieu ne tient aucun compte des parjures des amoureux: ils ne peuvent faire de testament tant qu'ils pérorent dans le délire du coup de marteau. Si l'obstination persiste en cet opiniâtre dès le maillot, écris-lui une bible, va le trouver chez lui et fais mine de vouloir briser sa porte; s'il refuse d'ouvrir, emporte-toi, crie de toutes tes forces, maudis-le et, rien ne réussissant, feins de te pendre. Prends garde seulement que le simulacre ne devienne une réalité, comme il est arrivé à je ne sais plus qui, de Modène.

      Pippa.– Oh! si jamais je me pends, pour rire ou pour de bon, je veux être pendue.

      Nanna.– Ah! ah! ah! Voici le bon moyen de défaire le nœud. Furète partout chez toi, dans les armoires, dans tous coins et fais un paquet de ses chemises, de ses chaussettes, de tout ce qui lui appartient, jusqu'à une vieille paire de pantoufles éculées, jusqu'à ses vieux gants, son bonnet de nuit, toutes ses frusques; même, si tu as quelque bracelet, quelque bague qu'il t'ait donnés, renvoie-les-lui.

      Pippa.– Je n'en ferai rien.

      Nanna.– Fais-le, sur ma parole, parce que les saintes huiles, pour celui que l'amour a mis à toute extrémité, c'est de se voir rendre les cadeaux par lui offerts à sa maîtresse; cela lui fait voir clairement l'estime où l'on tient sa personne et sa fortune, et il en tombe dans un tel chagrin que la moindre folie dont il soit capable, c'est d'aller ramasser des pierres; sans plus de retard, il empoignera les objets en question et te les fera reporter, c'est certain.

      Pippa.– Et si c'était quelque avaricieux?

      Nanna.– Les avaricieux ne font pas de cadeaux et ne laissent traîner rien qui ait de la valeur; donc, risque-toi à essayer ce que je te dis, et si la paix de Marcone ne se fait pas, dis-moi que je suis une bête, du genre de celles qui se plantent là écarquillées et, pourvu qu'on les mette parmi les premières de toutes, s'imaginent avoir bien arrangé leurs petites affaires en vendant leur peau, sans plus s'aider des pratiques de la magie. Pauvres, pauvres malheureuses! Elles ne soupçonnent pas la fin qui s'accorde avec le commencement et le milieu pour les mener tout droit à l'hôpital et sur les ponts, où, pleines de mal français, cassées en deux, rebutées de tout le monde, elles vont vomir quiconque peut souffrir de les regarder. Je te le dis, ma fille, le trésor que ces fins limiers d'Espagnols ont trouvé dans le nouveau monde ne suffirait pas à payer une putain, si laide, si disgracieuse qu'elle soit; et qui réfléchit bien à leur existence pécherait damnablement à ne pas confesser que c'est vrai.

      Pour te faire savoir que je parle par la bouche de la vérité, en voici une, par exemple, qui se trouve obligée à l'un ou à l'autre; elle n'a jamais une heure de repos, elle ne peut ni sortir, ni rester; elle n'est tranquille ni au lit, ni à table. A-t-elle sommeil? impossible de dormir; il lui faut se tenir éveillée, faire des caresses à un galeux, à un homme dont la bouche est un fumier, à un buffle qui la pilonnera tout le temps. Si elle refuse, les reproches vont bon train: «Tu ne mérites pas de m'avoir: tu n'es pas digne de moi; si j'étais ce poltron, ce fainéant d'un tel, tu ne ferais pas l'endormie.» Est-elle à table? toute mouche qui vole est un éléphant, et pour la moindre des bouchées qu'elle adresse à n'importe qui, le voilà qui grogne, qui fume de rage, en mâchonnant son pain et sa jalousie avec, pour tout partage. Sort-elle? le voilà en furie et se disant: «Il y a là-dessous quelque trame.» Il cesse de te parler et va clabauder par les rues l'infidélité qu'il croit que tu lui as faite, soupçonne celui-ci, celui-là et ne peut durer en place. Reste-t-elle au logis, ayant ce je ne sais quoi dont il advient que souvent on est tout mélancolique sans avoir la moindre mélancolie,


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