Récits d'une tante (Vol. 2 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

Récits d'une tante (Vol. 2 de 4) - Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond


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Bertrand qui m'écrit, par ordre de Napoléon, pour me charger d'expédier sur-le-champ par estafette ces autres dépêches à Vienne pour l'Empereur et pour Marie-Louise. Moi, qui ne suis jamais très pressé, j'attendrai tranquillement une bonne occasion; qu'allez-vous faire de votre jeune homme?»

      Mon père réfléchit un moment, puis il pensa que, s'il le faisait arrêter, ce serait trop grave. Il l'envoya chercher à son auberge, lui intima l'ordre de partir sur-le-champ, en le prévenant que, s'il laissait au gouvernement sarde le temps d'apprendre la manière dont il avait franchi la frontière, il serait arrêté comme espion, et qu'il ne pourrait pas le réclamer.

      L'officier eut l'imprudence de dire qu'il lui faudrait s'arrêter à Turin où il avait des lettres à remettre. Mon père lui conseilla de les brûler et lui donna un passeport qui indiquait une route qui l'éloignait de Turin. Je n'ai plus entendu parler de ce monsieur qui eut l'audace, après cette explication, de réclamer de mon père les cinquante louis que le général Marchand, dans sa lettre ostensible, l'avait prié de lui remettre pour les frais de son voyage. Bubna garda le secret suffisamment longtemps pour assurer la sécurité du courrier. Elle aurait été fort hasardée en ce moment; car les velléités pacifiques du cabinet sarde n'existaient pas alors, et ses terreurs sur les dispositions bonapartistes des piémontais étaient en revanche très exaltées.

      La déclaration du 13 mars fut expédiée à mon père par monsieur de Talleyrand, aussitôt qu'elle eut été signée par les souverains réunis à Vienne. Il la fit imprimer en toute hâte, et, trois heures après son arrivée, mon frère se mit en route pour la porter à monsieur le duc d'Angoulême. Il le trouva à Nîmes. La rapidité avait été si grande qu'elle nuisit presque à l'effet et fit douter de l'authenticité de la pièce. Monsieur le duc d'Angoulême garda mon frère auprès de lui, le nomma son aide de camp, et bientôt après l'envoya en Espagne pour demander des secours qu'il n'obtint pas. Au surplus, si on les avait accordés, ils seraient arrivés trop tard.

      Dans le plan que je me suis fait de noter les plus petites circonstances qui, à mon sens, dessinent les caractères, je ne puis m'empêcher d'en rapporter une qui peut sembler puérile.

      Mon frère avait donc apporté à monsieur le duc d'Angoulême un document d'une importance extrême. Il avait fait une diligence qui prouvait bien du zèle. Sur sa route, il avait semé partout des exemplaires de la déclaration sans s'informer de la couleur des personnes auxquelles il les remettait, ce qui n'était pas tout à fait sans danger. Monsieur le duc d'Angoulême le savait et semblait fort content de lui. Il l'engagea à déjeuner. Rainulphe, ayant fait l'espèce de toilette que comportait la position d'un homme qui vient de faire cent lieues à franc étrier, s'y rendit. À peine à table, les premiers mots de monsieur le duc d'Angoulême furent:

      «Quel uniforme portez-vous là?

      – D'officier d'état-major, monseigneur.

      – De qui êtes-vous aide de camp?

      – De mon père, monseigneur.

      – Votre père n'est que lieutenant général; pourquoi avez-vous des aiguillettes? Il n'y a que la maison du Roi et celle des princes qui y aient droit…; on les tolère pour les maréchaux…; vous avez tort d'en porter.

      – Je ne savais pas, monseigneur.

      – À présent vous le savez, il faut les ôter tout de suite. En bonne justice, cela mériterait les arrêts, mais je vous excuse; que je ne vous en voie plus.»

      On comprend combien un jeune homme comme était alors Rainulphe se trouva déconcerté par une pareille sortie faite en public. Dans les moments où s'il s'animait sur les petites questions militaires jusqu'à se monter à la colère, monsieur le duc d'Angoulême se faisait l'illusion d'être un grand capitaine.

      Le roi de Sardaigne annonça qu'il allait faire une course à Turin; ses ministres et le général Bubna l'accompagnèrent. Le ministre d'Angleterre resta à Gênes ainsi que mon père qui s'y tenait plus facilement en communication avec monsieur le duc d'Angoulême et le midi de la France.

      Bientôt nous vîmes arriver toutes les notabilités que les mouvements de l'armée napolitaine repoussaient du sud de l'Italie. Le Pape fut le premier; on le logea dans le palais du Roi. Je ne l'avais pas vu depuis le temps où il était venu sacrer l'empereur Napoléon; nous allâmes plusieurs fois lui faire notre cour. Il causait volontiers et familièrement de tout. Je fus surtout touchée de la manière digne et calme dont il parlait de ses années de proscription, sans avoir l'air d'y attacher ni gloire ni mérite, mais comme d'une circonstance qui s'était trouvée malheureusement inévitable, s'affligeant que son devoir l'eût forcé à imposer à Napoléon les torts de sa persécution. Il y avait dans tous ses discours une noble et paternelle modération qui devait lui être inspirée d'en haut, car, sur tout autre sujet, il n'était pas à beaucoup près aussi distingué. On sentait que c'était un homme qui recommencerait une carrière de tribulation, sans qu'elle pût l'amener à l'amertume ni à l'exaltation. Le mot sérénité semblait inventé pour lui. Il m'a inspiré une bien sincère vénération.

      Bientôt après, il fut suivi par l'infante Marie-Louise, duchesse de Lucques, plus connue sous le titre de reine d'Étrurie. Gênes étant comblée de monde et ne pouvant trouver un logement convenable, elle s'installa dans une grande chambre d'auberge dont, à l'aide de quelques paravents, on fit un dortoir pour toute la famille. Elle paraissait faite pour habiter ce taudis; je n'ai jamais rien vu de plus ignoble que la tournure de cette princesse, si ce n'est ses discours. Elle était Bourbon: il nous fallait bien lui rendre des hommages, mais c'était avec dégoût et répugnance.

      Elle traînait à sa suite une fille, aussi disgracieuse qu'elle, et un fils si singulièrement élevé qu'il pleurait pour monter sur un cheval, se trouvait mal à l'aspect d'un fusil, et qu'ayant dû un jour entrer dans un bateau pour passer un bac il en eut des attaques de nerfs. La duchesse de Lucques assurait que les princes espagnols avaient tous été élevés précisément comme son fils. Mon père tâcha de la raisonner à ce sujet, mais ce fut sans autre résultat que de se faire prendre en grippe par elle.

      CHAPITRE IV

      La princesse de Galles. – Fête donnée au roi Murat. – Audience de la princesse. – Notre situation est pénible. – Message de monsieur le duc d'Angoulême. – Inquiétudes pour mon frère. – Marche de Murat. – Il est battu à Occhiobello. – L'abbé de Janson. – Henri de Chastellux.

      Monsieur Hill nous arriva un matin avec une figure encore plus triste que de coutume; sa princesse de Galles était en rade. Sous prétexte de lui céder son appartement, il l'abandonna aux soins de lady William Bentinck, se jeta dans sa voiture et partit pour Turin. Lady William en aurait bien fait autant s'il lui avait été possible. La princesse Caroline s'établit chez monsieur Hill.

      Le lendemain, nous vîmes apparaître dans les rues de Gênes un spectacle que je n'oublierai jamais. Dans une sorte de phaéton, fait en conque marine, doré, nacré, enluminé extérieurement, doublé en velours bleu, garni de crépines d'argent, traîné par deux très petits chevaux pies, menés par un enfant vêtu en amour d'opéra, avec des paillettes et des tricots couleur de chair, s'étalait une grosse femme d'une cinquantaine d'années, courte, ronde et haute en couleur. Elle portait un chapeau rose avec sept ou huit plumes roses flottant au vent, un corsage rose fort décolleté, une courte jupe blanche qui ne dépassait guère les genoux, laissait apercevoir de grosses jambes couvertes de brodequins roses; une écharpe rose, qu'elle était constamment occupée à draper, complétait le costume.

      La voiture était précédée par un grand bel homme monté sur un petit cheval pareil à l'attelage, vêtu précisément comme le roi Murat auquel il cherchait à ressembler de geste et d'attitude, et suivie par deux palefreniers à la livrée d'Angleterre, sur des chevaux de la même espèce. Cet attelage napolitain était un don de Murat à la princesse de Galles qui s'exhibait sous ce costume ridicule et dans ce bizarre équipage. Elle se montra dans les rues de Gênes pendant cette matinée et celles qui suivirent.

      La princesse était dans tout le feu de sa passion pour Murat; elle aurait voulu l'accompagner dans les camps. Il avait dû user d'autorité


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