Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé. de Lenclos Ninon

Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé - de Lenclos Ninon


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promenades. Elle est avec le roi dans un carrosse fort rude, tous les rideaux tirés. Mais enfin ce sont des usages d'Espagne; et je lui dis souvent qu'elle n'a pas dû croire qu'on les changeroit pour elle, ni pour personne. Entre nous, ce que je ne comprends pas, c'est qu'on ne lui ait pas cherché par mer et par terre, et au poids de l'or, quelque femme d'esprit, de mérite et de prudence, pour servir à cette princesse de consolation et de conseil. Croyoit-on qu'elle n'en eût pas besoin en Espagne? Elle se conduit envers le roi avec douceur et complaisance. Pour des plaisirs, elle n'en voit aucun à espérer dans cette cour; mais comme je n'ai aucun personnage à faire auprès d'elle, et que je n'ai ni charge ni mission de m'en mêler, ni de pénétrer rien sur le présent, le passé et l'avenir, elle me fait beaucoup d'honneur de vouloir que je sois souvent auprès d'elle; mais, quand cela n'est pas, je ne meurs point d'ennui avec M. de Villars, avec qui j'aime bien autant m'aller promener. Si je vous disois la continuation, où, pour mieux dire, l'augmentation des misères de ce pays, cela vous feroit de la peine. Adieu, madame; je suis à vous de tout mon cœur.

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      LETTRE XVI

Madrid, 13 juin 1680.

      Depuis ma dernière lettre, nous avons fait un petit voyage en la seule maison qu'ait le roi d'Espagne, quand il veut, pour quelque temps, quitter la demeure de Madrid. Elle s'appelle Aranjuez. Elle passe ici pour la merveille du monde. La situation pour les eaux est des plus belles; et, si M. le Nostre en trouvoit une pareille, ce qu'il y pourroit faire s'appelleroit en effet une merveille. Le jardin, qui est grand, est entouré de deux rivières dont l'une est le Tage, et l'autre le Guadaran. Voilà de grands noms; mais me voilà, pour toute ma vie, détrompée de ces noms fameux. N'avez-vous pas une haute idée de ce Tage? et le Mançanarès n'a-t-il pas quelquefois touché votre imagination, comme de quelque agréable rivière? Le Tage est plus grand; mais, en revanche, son eau n'est point claire. Il faut pourtant dire la vérité; ce jardin, pour l'Espagne, est agréable, par la quantité de fontaines et d'arbres qui y sont; car rien n'est si rare en ce pays que les bois, par la sécheresse du climat. Je n'ai rien trouvé à redire au peu de largeur des allées. C'est Philippe II qui les a fait planter; et peut-être que, de son temps, il falloit qu'elles fussent ainsi pour être parfaites. La maison serait assez belle, si elle étoit achevée; mais il s'en faut plus de la moitié, quoique le dessin ne soit pas grand. Il y a sept ou huit lieues d'Aranjuez à Madrid. Nous y allâmes le vendredi, et nous en revînmes le lundi: j'allai le lendemain, voir la reine: je lui en dis des merveilles, et je la suppliai de le dire au roi qui entra. Elle fit fort bien son devoir: je lui avois conseillé de marquer quelque impatience que sa majesté la menât voir ce beau lieu. Elle n'eut pas de peine à lui persuader que j'en étois charmée; car il le croit au-dessus de tout ce qu'il y a au monde. Cette demeure, qui semble n'être propre que pour le temps des chaleurs, est mortelle en été; et le gouverneur a permission de n'y être jamais en cette saison. Pour toutes bêtes rares, il y a une infinité d'horribles chameaux: d'en voir un seul, comme on en voit quelquefois à Paris, ne fait pas un effet désagréable, comme lorsqu'on en voit beaucoup ensemble. Tout ce qu'on voit là ne fait point du tout souvenir de la ménagerie de Versailles. Il n'y a même point de ménagerie; car ces vilains animaux paissent dans les champs comme des troupeaux de bœufs et de vaches; et l'on s'en sert pour porter des pierres ou de la terre, quand on bâtit. Me voilà donc revenue de cette maison royale, dont je ne vous parlerai plus.

      Les Espagnols nous disent incessamment que nous aurons bientôt la guerre: les pauvres gens en ont grand'peur. Pour moi, j'aime bien mieux l'ennui de Madrid, que d'en partir pour une telle raison, et je leur réponds toujours que je n'en crois rien. Ce bruit est plus grand au palais qu'ailleurs; et la reine, comme vous pouvez penser, en est bien alarmée. Elle continue de se bien porter. C'est un heureux tempérament pour la santé; et je ne sais pas ce qui se passe dans son esprit et dans sa tête, pour la soutenir si bien; car pour son cœur, je crois qu'il ne s'y passe rien. Quand je suis un peu de temps sans la voir, elle ne le trouve point bon. Nous chantons comme des cigales. Elle lit des opéras; elle joue à merveille du clavecin, assez bien de la guitare; en moins de rien, elle a appris à jouer de la harpe. Elle ne prend pas beaucoup de consolation dans les livres de dévotion. Cela n'est point extraordinaire à son âge. Je dis souvent que je voudrois bien qu'elle fût grosse, et qu'elle eût un enfant.

      Je n'ai point vu le marquis de Grana depuis que je vous ai écrit. Je serois fort aise que nous nous vissions, mais la politique qu'il croit devoir garder en cette cour, le retient peut-être et sa femme aussi, qui, par politique de son côté, s'habille à l'espagnole. On l'en devroit récompenser, car elle est bien mieux autrement.

      Il y aura lundi une fête de taureaux. On s'y attend à beaucoup de plaisir, parce qu'on n'a jamais vu de taureaux si furieux. L'abbé de Villars vous entretiendra, si vous voulez, sur ce sujet. Il est charmé de celle qu'il a vue; mais, quoi qu'il vous en puisse dire, croyez-moi, c'est une épouvantable beauté. Il y aura une autre fête le 31 de ce mois, dont je vous ferai écrire une ample relation. Vous la trouverez bien extraordinaire. Elle ne se fait que de cinquante en cinquante ans. On y brûle beaucoup de Juifs; et il y a d'autres supplices pour des hérétiques et des athées. Ce sont des choses horribles.

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      LETTRE XVII

Madrid, 25 juillet 1680.

      Je n'ai pas eu le courage d'assister à cette horrible exécution des Juifs. Ce fut un affreux spectacle, selon ce que j'en ai entendu dire; mais, pour la semaine du jugement, il fallut bien y être, à moins de bonnes attestations de médecins d'être à l'extrémité; car autrement on eût passé pour hérétique. On trouve même très-mauvais que je ne parusse pas me divertir tout-à-fait de ce qui s'y passoit. Mais ce qu'on a vu exercer de cruautés à la mort de ces misérables, c'est ce qu'on ne vous peut décrire.

      Le marquis de Grana fit lundi son entrée. Les Espagnols s'attendoient à voir plus de magnificence. Pour moi, je trouve qu'il a bien fait de n'en pas faire davantage. C'est un très-galant homme, et qui fait toute la dépense qu'il peut. Il est effrayé de tout l'argent qu'il faut ici. Il en touche cependant beaucoup. Il a quinze cents pistoles de pension, payées par le roi d'Espagne, double franchise, et sa maison payée, sans les appointemens que lui donne l'Empereur, son maître. Il a pour le nôtre une grande estime et un grand respect; mais il mêle parmi cela certaines choses dans ses conversations avec les gens de cette cour sur les conquêtes du roi, qui marquent assez de vivacité. Je vois souvent sa femme au palais; elle a bien de l'esprit. J'irois bien plus souvent chez elle, les voir l'un et l'autre, si je ne craignois de leur faire de la peine, par les airs qu'il faut qu'ils observent ici. Le marquis de Grana est un des plus gros hommes que l'on voie, mais de très-bonne mine. Notre jeune reine, pour être heureuse, auroit grand besoin d'avoir du goût pour la solitude dans son triste palais, où elle veut que j'aille souvent griller de chaud avec elle. Il est violent le chaud qu'il fait ici. Il est vrai que, chez nous, nous n'en souffrons pas beaucoup. Nous sommes dans un appartement bas, délicieux pour cette saison. La reine a été ces jours passés deux fois incognito avec le roi, se promener à dix heures du soir dans cette rivière poudreuse. Elle me le fit savoir, afin que nous nous y trouvassions, et me donna un signe pour reconnoître son carrosse, et moi un pour reconnoître le mien. Si vous saviez ce que c'est que ce plaisir! On croit pourtant que la reine en doit de reste. Adieu, ma chère madame, c'en est un bien sensible pour moi de croire, comme je fais, que vous m'aimez véritablement. Si M. de Coulanges, selon les souhaits de M. de Schomberg, et par les pas qu'il a faits à Fontainebleau, eût été envoyé ambassadeur en Portugal, nous l'aurions gardé à son passage par Madrid, tout autant qu'il nous auroit été possible.

      Si vous n'avez encore ni donné ni rompu ces petits boucaro, que je vous ai envoyés, dont le dedans étoit blanc, conservez-les; car ce blanc est une composition de bézoard.

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      LETTRE XVIII

Madrid, 28 août 1680.

      Je vous adresse cette lettre à Paris, quoique, par votre dernière, vous m'ayez


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