Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé. de Lenclos Ninon

Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé - de Lenclos Ninon


Скачать книгу
align="center">

      LETTRE XXVI

Madrid, 14 octobre 1680.

      Votre petit portrait a été très-bien reçu, et trop bien de M. de Villars, qui en fait son propre. Je n'ai pas laissé de le porter au palais, où il a passé par toutes les mains des dames; car, pour les hommes, ils ne peuvent ici rien admirer que de bas en haut; par les fenêtres. La reine le prit d'abord pour celui de madame de Nevers. Ce portrait fait souvenir de vous, c'est-à-dire, qu'il ne vous ressemble pas parfaitement; et il est impossible, quand on viendroit à bout de peindre tous vos traits, d'imiter que très-grossièrement ce qu'il y a de vif et de spirituel dans tout ce qui compose votre visage. Ce n'est pas la faute du peintre, et ce petit portrait est aussi bien et aussi agréable qu'on le pouvoit faire. Je vous en rends mille grâces, ma chère madame, et de tout ce que vous me dites pour me marquer votre amitié et votre tendresse. Je ne puis pas mieux sentir l'amitié que j'ai pour M. de Villars, que d'être avec lui dans le pays du monde le plus rempli d'ennuis. Car, comme dans les lieux de plaisir, on dit ordinairement que les semaines passent fort vîte, celles d'ici sont d'une longueur infinie. Je vais souvent au palais; peut-être ne trouverais-je pas tant d'ennuis, si je n'avois que dix-huit ans. Il y auroit bien des choses à vous dire là-dessus.

      Il y a deux ans qu'il mourut une dès dames de la maison de la reine27, qui n'avoit que treize ou quatorze ans. On a plus de soin d'elles, quand elles sont mortes, que dans leurs maladies; car ce sont des chiens que tous ces médecins-ci, et leurs remèdes ridicules. Il y a une grande chapelle dans le palais. Elle y fut mise dans un coffre couvert de panne couleur de feu, avec un grand galon d'or, à la lueur de quantité de flambeaux. Elle étoit en habit de religieuse, composé de bleu et de blanc. On lui avoit mis bien du rouge sur les joues et sur les lèvres. Elle étoit très-belle dans cet état. Ce coffre ferme à clef: la guarda mayor le ferma, et puis vint le majordome de la reine, auquel on ouvrit ce coffre, pour lui faire voir qu'elle étoit dedans, et il en prit la clef. Les gardes du roi portèrent le corps jusqu'au haut du degré, à une porte où les Grands d'Espagne attendoient pour le porter jusqu'au carrosse qui le devoit mener jusqu'au lieu de la sépulture. Le majordome, arrivé dans cette église, ouvrit encore ce coffre pour faire voir aux religieux le corps de cette pauvre dona Juana de Portugal. Après quoi, il fut mis en terre avec les prières ordinaires. Je ne pensois nullement à vous faire ce récit, qui n'est pas divertissant. Mais il ne faut pas aussi être toujours tant sur ses gardes, pour ne parler jamais de la mort, qui va indifféremment dans tous les pays du monde.

      J'espère vous envoyer, par la première commodité, deux excellentes paires de gants d'ambre, et un éventail de la part de la reine, dont la santé et la beauté augmentent tous les jours.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

      LETTRE XXVII

Madrid, 28 novembre 1680.

      Je n'ai point eu de vos lettres par ce courrier. Je vous ai déjà mandé que je ne m'en allois plus. Quand jusqu'ici j'aurois douté de l'amitié, que vous croyez que j'ai pour M. de Villars, j'en serois plus que certaine à l'heure qu'il est, par la joie que j'ai sentie de ne m'en point aller de cette aimable ville de Madrid; entendez par ce mot aimable, tout l'opposé de ce qu'il dit en effet. Après tout cela, malgré la destinée, je commence à jouir aujourd'hui d'un plaisir. Nous quittons notre grande, incommode et chère maison pour aller loger dans une autre beaucoup moins chère, et très-commode. A peine ai-je trouvé de quoi vous écrire, n'ayant plus rien dans ma chambre. Notre jeune reine m'a fait paroître plus de joie de ce que je ne m'en allois point, que vraisemblablement cela ne lui en a dû causer.

      Je ne vous entretiendrai guère aujourd'hui. Il m'en déplaît fort, ma chère madame; car il me semble que j'aurois bien des choses à vous dire.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

      LETTRE XXVIII

Madrid, 27 décembre 1680.

      Vous m'écrivez que le marquis de Ligneville a passé par Lyon, et qu'il ne vous a point vue. Ce n'est pas de quoi je me soucie; et je lui pardonne de n'avoir pas eu cet esprit, pourvu qu'il vous ait laissé le petit présent que je vous envoyois par lui.

      Je suis beaucoup plus tranquille que je n'étois le temps passé, quand je vous parlois de la peine que me causoit cette vue d'un départ prochain. Le petit secours, que le roi a eu la bonté de donner à M. de Villars, nous fait un peu respirer. Nous avons payé et quitté notre grande maison de huit cents pistoles de loyer, et nous sommes présentement dans une autre la moitié moins chère, et mille fois plus commode. Je ne voudrois pour rien du monde que la guerre recommençât; car je me souviens trop de la vivacité de mes peines dans ce cruel temps. Mais quel plaisir, sans qu'il en fût question, de sortir d'Espagne, et de pouvoir subsister en quelque lieu agréable, jouissant du plaisir de voir et d'entretenir ce qu'on aime! Si vous me revoyez jamais, vous prendrez, s'il vous plaît, la peine de me siffler comme un perroquet; car assurément je perds ici l'usage entier d'entendre et de parler, comme on fait au coin de votre feu. Il fait ici le même froid qu'à Paris; mais il n'y a point de cheminées. Nous en avons fait faire une dans notre nouvelle maison, qui est la plus grande consolation que nous ayons à Madrid. Elle n'en donne point aux dames qui me viennent voir; car elles ne savent point s'asseoir dans une chaise, ou sur quelque autre siège. C'est une chose plaisante que l'air qu'elles ont, quand elles sont assises: elles paroissent lasses, fatiguées, ne pouvant non plus se tenir que si on les faisoit danser sur la corde. Voilà de belles nouvelles; mais jamais Madrid n'en a moins produit. Tout y est dans une manière d'assoupissement misérable.

      Vous recevrez un paquet, qui en contient trois autres cachetés du cachet de la reine, et les dessus de sa propre main. Il y a deux paires de gants, et un éventail dans chacun; vous aurez soin de les envoyer à leur destination. La reine ne vouloit pas que je vous mandasse que c'étoit de sa part, trouvant que le présent étoit trop petit. Vous le direz à mesdames de Sévigné et de Vins. On dit que les éventails seront meilleurs dans quelque temps. Cette jeune princesse continue d'embellir. Elle est grasse, le plus beau teint du monde, une gorge admirable, les yeux très-beaux, la bouche agréable. Quand je vois qu'elle croit avoir sujet de s'ennuyer, je change de discours. Adieu, madame.

/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\

      LETTRE XXIX

Madrid, 12 décembre 1680.

      La connétable Colonne est dans un pitoyable état. Je crois que je vous ai mandé que son mari la fit partir un peu brusquement d'ici, pendant que la reine étoit à l'Escurial. Elle ne tua ni ne blessa personne. Elle est actuellement dans ce qu'on appelle l'Alcaçal28 de Ségovie, très-misérablement traitée. La reine auroit fort souhaité qu'on lui eût accordé avant cela ce qu'elle demandait pour toute grâce à son mari, qu'on la mît dans un couvent, le plus austère qu'on pût choisir à Madrid. Cette pauvre malheureuse écrit souvent au confesseur de la reine, qui, par l'ordre de cette princesse, va quelquefois exhorter le connétable à vouloir bien que sa femme vienne ici dans un couvent. Il y a douze ou quinze jours que ce mari dit au confesseur, qu'il ne pouvoit consentir que sa femme vînt à Madrid, si elle ne se faisoit religieuse dans le couvent où elle entreroit, et que lui, il prendroit les ordres. Le confesseur a écrit cette proposition à la connétable, qui l'a acceptée. Je crois qu'il n'y a pas une moindre vocation que la sienne à la religion. Cependant, comme elle a fait dire à son mari qu'elle fera tout ce qu'il voudra, cela pourra l'embarrasser; car je ne crois pas qu'il ait aucune intention de la faire entrer dans Madrid. On m'écrit de Paris que je me mêlois de ses affaires, et que j'étois fort dans ses intérêts. J'ai répondu sur cela à une de mes amies qui m'en écrivoit, que je croyois qu'on avoit jeté à croix ou pile, duquel il valoit mieux m'accuser, ou de trop de dureté pour cette infortunée, ou de trop de pitié. Car pour elle, elle se sentit tout-à-fait outragée, quand elle vint dans notre maison, pleurant et demandant qu'on l'y souffrît pour une nuit, et qu'on


Скачать книгу

<p>27</p>

De la maison de Portugal.

<p>28</p>

Château royal de Ségovie.