Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé. de Lenclos Ninon
de los Balbasès, où je la remenai à dix heures du soir, M. de Villars ne voulant pas se mêler de ses affaires. Si j'ai eu pitié d'elle depuis cette visite-là, cette pitié ne s'est signalée en rien; et la reine qui auroit bien voulu lui faire le plaisir d'obliger son mari de la mettre ici dans un couvent, dit que Monsieur lui a recommandé de lui rendre tous les bons offices que raisonnablement elle pourroit désirer d'elle. Celui de la faire enfermer dans un couvent le plus austère, ne paroissoit pas indigne à cette princesse qu'elle s'y employât.
M. le prince de Parme est donc amoureux de la comtesse de Soissons? Ce n'est pas un joli galant. Ce n'est pas aussi que s'il avoit cent mille écus dans son coffre, il ne les dépensât en un jour, mieux qu'aucun homme du monde, pour plaire à sa dame. Le roi, notre maître, ne peut pas souhaiter un autre gouverneur en Flandre pour sa majesté Catholique.
La reine ne se divertit pas si bien qu'on pourroit le croire. Elle est jeune et saine, d'un heureux tempérament. Je ne pense pas qu'au reste du monde l'on voie ce que nous avons vu depuis que nous sommes dans ce royaume; la peste, la famine, des ravages d'eaux dont on n'avoit jamais entendu parler; un tremblement de terre, qui a presque entièrement détruit cinq ou six villes; sans compter les frayeurs où je fus après cela quinze jours durant. Le moindre mouvement me paroissoit un tremblement de terre; mais il nous manquoit encore quelque chose, une comète. Assurez-vous que depuis huit jours il en paroît une des plus grandes et des mieux marquées qu'on ait jamais vues. Elle commence à se montrer sur les quatre à cinq heures du soir, et dure jusqu'à huit ou neuf. Comme il ne nous appartient pas d'en avoir peur, c'est une des choses qui me sont le plus indifférentes; car je suis persuadée qu'elle ne signifie rien pour la France.
LETTRE XXX
Il faut vous dire deux mots de la connétable Colonne. Je trouvai le confesseur de la reine, il y a deux jours, au palais, qui avoit apporté une lettre pour la montrer à cette princesse, avant qu'il la fermât. Il venoit de chez le connétable Colonne, qui l'avoit écrite à sa femme, en présence du confesseur. Elle contient que le mari consent qu'elle vienne à Madrid, dans un couvent nommé; qu'elle prenne l'habit de religieuse le même jour qu'elle y entrera; et, trois mois après, qu'elle fasse profession. Je ne doute pas qu'elle n'accepte ces conditions pour quitter le lieu qu'elle habite présentement. Je ne conseillerois pas à la reine de répondre qu'elle n'en sortira jamais.
Cette princesse continue de se bien porter, et de passer à l'église sept ou huit heures les jours et veilles de grandes fêtes. Je ne voudrois pas vous répondre qu'elle en fût plus dévote. J'ai toujours l'honneur de la voir souvent. Le roi l'aime autant qu'il peut; elle le gouverneroit assez; mais d'autres machines, sans beaucoup de force ni de rapidité, donnent d'autres mouvemens, et tournent et changent les volontés du roi. La jeune princesse n'y est pas trop sensible. Elle parle présentement très-bien espagnol. Elle connoît toute la cour, et les différens intérêts de ceux qui la composent. La reine, sa belle-mère, qui est très-bonne princesse, l'aime toujours fort tendrement.
LETTRE XXXI
Le comte de Monterei a été exilé de cette cour, il y a quatre ou cinq jours. On ne dit point pourquoi. Je ne le puis comprendre, si ce n'est qu'il est le plus honnête homme du monde, et le plus propre à bien servir son roi. L'on refuse toujours le congé à son père, le marquis de Liche, qui est ambassadeur à Rome, malade, ruiné, par conséquent fort ennuyé. Je vis, l'autre jour, sa femme, qui est fort jolie, fondre en larmes aux pieds du roi, pour obtenir le congé. Je ne vous parlerai point de choses plus divertissantes et plus gaies, ma chère madame. Qu'il est difficile de l'être à Madrid! et que, si l'on avoit de bonnes dispositions pour la pénitence, ce seroit un lieu propre pour la faire! La reine est en parfaite santé, et dans une grande fraîcheur. De vous dire de quoi elle soutient tout cela, c'est ce que j'ignore absolument.
LETTRE XXXII
Vous n'avez donc point reçu par le marquis de Ligneville, le petit présent que je croyois qui vous seroit fidèlement rendu? Les messagers ordinaires, à ce que je vois, ont plus d'honneur et de probité que les gens de qualité portant de beaux noms. Vraiment, madame, ce n'est pas pour le vanter; mais ce que je vous envoyois, quoique peu précieux et peu magnifique, étoit pourtant joli et bien choisi; et j'aimois à imaginer que tout cela vous plairoit. Ce Ligneville est des amis du marquis de Grana, et ma confiance étoit parfaite. Ne vous fatiguez d'aucun compliment pour la reine Catholique, je les lui fis hier.
L'on attend, tous les jours ici, la connétable Colonne, pour prendre l'habit de religieuse. Son mari, qui est fort avare, dispute sur le prix avec le couvent où elle doit entrer. Elle écrivoit, l'autre jour, que sa sœur Mazarin feroit bien mieux de venir se faire religieuse avec elle.
Je songe à ce que je puis vous dire de cette cour. Je ne manquerois pas de matière; mais, de si loin, il n'est pas possible de traiter beaucoup de sujets. La vie du palais ne convient point à des personnes qui n'y sont point nées, ou du moins qui n'y sont pas venues dès l'enfance; il faut pourtant dire la vérité en faveur des Espagnols, qu'ils ne sont ni si terribles, ni si soupçonneux qu'on nous les figure. Les reines sont toujours bien ensemble. Depuis le moment que la jeune est entrée en Espagne, M. de Villars s'est appliqué à la bien persuader qu'il falloit pour son repos, qu'elle fût en bonne union avec la reine, sa belle-mère, et qu'elle se gardât bien d'écouter des avis contraires. Je ne fais autre chose aussi que de tâcher de lui mettre cela dans la tête. Elle ne se divertit pas trop à raisonner sur la politique. Jusqu'ici tout a assez bien été; et, entre vous et moi, tout auroit été encore mieux, si, dès la frontière, on lui eût ôté généralement toutes les Françoises. On ne peut avoir plus d'esprit qu'elle en a, joint à mille aimables qualités. J'y vais toujours souvent, quoique je la supplie quelquefois de trouver bon que mes visites ne soient pas si fréquentes. Ma fille y va peu, quoique la reine m'ordonne souvent de la lui mener.
Je vous ai mandé que le comte de Monterei avoit été exilé. Le duc de Veragas le fut hier aussi. Il est dans l'alliance et ami de ce premier.
Je ne vous parle point de la misère de ce royaume. La faim est jusque dans le palais. J'étois hier avec huit ou dix Camaristes et la Moline qui disoient qu'il y avoit fort long-temps qu'on ne leur donnoit plus ni pain ni viande. Aux écuries du roi et de la reine, de même. Je ne voudrois pas qu'on sût, au pays où vous êtes, que je me mêlasse seulement d'écrire cela. Mais je sais bien que vous ne me commettrez pas, et qu'il y a bien souvent des choses dans mes lettres, dont on pourroit se moquer.
LETTRE XXXIII
Me voici à mon second mercredi des cendres; ce qui m'a assez plu, c'est que le carnaval, comme je vous l'ai déjà mandé, ne veut point, en ce pays, se donner un air de plaisir; et hors qu'il n'y a plus de comédie au palais ni à la ville, tout le reste va son même train; personne ne fait le carême. Le palais est toujours la même chose. On y parle d'aller à Aranjuez, incontinent après Pâques, que la reine fera quelques remèdes, et qu'elle en reviendra sûrement grosse. Je vais souvent voir la marquise de Grana, qui est malade, et qui ne sort point depuis trois mois. Ce sera un grand hasard, si elle n'est la troisième ambassadrice qui mourra ici. Elle prendroit la résolution de s'en retourner, sans qu'elle ne peut se déterminer à laisser son mari qu'elle aime fort.
La connétable arriva samedi dernier de fort bonne heure. Elle entra dans le couvent; les religieuses la reçurent à la porte avec des cierges, et toutes les cérémonies ordinaires en pareille occasion. De là on la mena au chœur, où elle prit l'habit avec un air fort modeste. Un Espagnol, qui