Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé. de Lenclos Ninon

Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé - de Lenclos Ninon


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remplit cette place. La reine s'en accommodera mieux que de celle qu'elle avoit. Quel pays, madame, que celui-ci! Il faut bien aimer M. de Villars, pour sentir de la peine à le quitter; mais, à force aussi qu'on s'y ennuie, je désire qu'il n'y soit pas sans moi, puisqu'il n'y peut trouver mieux. Je sens une grande consolation d'avoir passé cette horrible canicule, dont je vous ai parlé, sans y avoir succombé. Il est mort ici une infinité de gens, et j'avois beaucoup de peur pour notre maison. Mais, ma chère madame, quand aurai-je de vos nouvelles? Vous aurez, par un homme qui partira bientôt, ce petit coffre de la reine, plein de pastilles à manger.

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      LETTRE XXI

Madrid, 5 septembre 1680.

      Je vous ai mandé par ma dernière lettre la destitution de la duchesse de Terranova; qu'on avoit mis à sa place la duchesse d'Albuquerque; et que je ne pouvois être ni aise ni fâchée de ce changement, que selon que la reine s'en trouveroit bien ou mal. Quoique madame de Terranova ait une grande aversion pour la France et pour les François, elle m'a toujours traitée fort honnêtement. On croit que la reine n'aura pas sujet de se repentir de ce changement. L'air du palais est déjà tout autre, et le roi aussi. Sa majesté a permis à la reine de ne se coucher plus qu'à dix heures et demie, et de monter à cheval quand elle voudra, quoique cela soit entièrement contre l'usage. Il lui a accordé encore une chose qui lui a donné une grande joie. Il y a trois ou quatre jours que me voyant entrer dans sa chambre, elle vint au-devant de moi avec un air de gaîté extraordinaire, et me dit: Ne direz-vous pas oui à ce que je vais vous demander? C'étoit que le roi vouloit bien que ma fille eût l'honneur d'être une de ses dames. Elle en étoit transportée. Vous jugez bien avec quel respect et quel plaisir je reçus ce qu'elle me disoit; mais elle fut un peu mortifiée quand je lui répondis que je croyois qu'il falloit, avant que d'accepter cet honneur, que M. de Villars en eût la permission du roi, notre maître. Ma fille ne s'en sent pas de joie. A son âge, combien ne se figure-t-on point de plaisirs dont, selon les apparences, elle ne jouiroit pas long-temps? Elle auroit d'illustres compagnes; car ce ne sont que des filles des maisons de Portugal, Aragon, Mauriquès, Castille; enfin tout ce qu'il y a de plus grand dans le royaume. Elles ont beaucoup de petites fonctions. La plupart n'omettent rien de celles qui regardent la galanterie.

      L'on ne parle plus de guerre ici. Ce n'est pas ce qui me rassureroit.

      Adieu, madame; je vous quitte pour m'aller parer. La reine vient de me mander que c'est aujourd'hui le jour de la naissance de notre roi, et que je ne manque pas d'aller au palais avec tout ce que j'ai de diamans. Si j'avois pu ce matin être à sa toilette, je lui aurois conseillé de n'affecter pas trop de magnificence ce jour-ci; car elle ne fera plaisir à personne; et je suis assurée que le roi, son oncle, l'en dispenseroit volontiers.

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      LETTRE XXII

Madrid, 12 septembre 1680.

      J'ai enfin reçu deux de vos paquets de Lyon, madame, et j'ai fort peu de temps à y répondre, parce que le courrier part ce soir. J'étois affligée de ne point recevoir de vos nouvelles; mais je ne l'étois point de l'appréhension que vous m'eussiez oubliée. Vous me parlez de la peste, et de la peine où vous en êtes pour moi. Elle ne m'a point approchée, Dieu merci, et il faut espérer qu'elle laissera Madrid hors d'intrigue. Vous me parlez encore d'une autre peste, qui est la continuation de la misère où l'on est ici. Elle augmente toujours, et les monnoies ne haussent point. Je ne vous ai que trop entretenue de tout cela; je ne veux point que vous y fassiez de réflexion. Vous êtes vive, et vous m'aimez. Pensez une fois, et puis n'y pensez plus, que les douze mille écus qu'on a d'appointemens, ne font ici que cinq mille cinq cents écus, et que nous payons neuf mille francs de loyer de notre maison. Je vous ai déjà mandé que M. de Villars, ne pouvant plus subsister, prenoit la résolution de me faire partir d'ici le mois prochain. Le marquis de Grana, qui est riche par lui-même, par ce que son maître lui donne, et par les pensions qu'il tire de cette cour, dit bien aussi qu'il n'y peut pas subsister. Qu'il est gascon, cet Allemand! un peu hargneux sur les affaires de France, et sur tout ce que projette et exécute le roi, notre maître.

      Mais votre portrait, que vous me faites espérer, il faut le confier à mes enfans qui seront à Paris avant la fin de ce mois. En vérité, je ne puis vous dire le plaisir que vous me faites. Je ne croyois plus être aussi sensible que je trouve que je le suis sur cette sorte de joie. Mes enfans vous auront vue à Lyon. Qu'ils auront été aises, s'ils tiennent de leur mère!

      On se trouve toujours bien du changement de la camarera mayor. L'air du palais en est tout différent. Nous regardons présentement la reine et moi, tant que nous voulons, par une fenêtre qui n'a de vue que sur un grand jardin d'un couvent de religieuses qu'on appelle l'Incarnation, et qui est attaché au palais. Vous aurez peine à imaginer qu'une jeune princesse, née en France, et élevée au Palais-royal, puisse compter cela pour un plaisir; je fais ce que je puis pour le lui faire valoir plus que je ne le compte moi-même. Il y a neuf jours qu'on soupçonnoit encore qu'elle étoit grosse. Pour moi, je ne le soupçonne pas. Le roi l'aime passionnément à sa mode, et elle aime le roi à la sienne. Elle est belle comme le jour, grasse, fraîche; elle dort, elle mange, elle rit; il faut finir là; et, avec tout l'esprit que vous avez, je vous défie de deviner tout ce que j'aurois à vous dire ensuite de tout cela.

      Adieu, ma chère madame; je voudrois bien écrire encore, si j'en avois le temps; mandez-moi ce que vous saurez de la paix et de la guerre.

      Vous recevrez un petit paquet que je ne vous envoie, que parce qu'il ne vous coûtera rien de port; car, pour peu que vous en payassiez, ce seroit plus qu'il ne vaut: c'est pourtant la reine d'Espagne qui vous l'envoie.

      Je rends mille grâces à M. de Coulanges, de sa prose et de ses vers. La marquise d'Uxelles m'avoit envoyé ceux qu'il avoit faits pour elle, en passant à Châlons-sur-Saône.

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      LETTRE XXIII

Madrid, 26 septembre 1680.

      Je reçois présentement vos lettres. Je dirai aujourd'hui à la reine tout ce que vous m'écrivez d'honnête et d'obligeant pour elle. Que dix-huit ans et une heureuse disposition à croire tout ce qu'on souhaite, sont choses agréables, et conservent bien la santé et la beauté! Pour moi, je lui dis tous les jours que, par malheur, j'ai toute ma vie été opposée à cette heureuse situation.

      Celle de la pauvre connétable Colonne est à présent bien détestable. Il y a plus de deux mois que je lui ai prédit ce qui arriveroit. Mais, sans nulle réflexion, elle vivoit au jour la journée, comptant qu'on la laisseroit jouir de la liberté de sortir de sa maison, de faire des visites, et qu'on ne parleroit de rien qu'après les noces de son fils aîné. Il y a douze ou quinze jours qu'on lui vint signifier, de la part du roi, qu'il ne se mêloit plus de ses affaires, et qu'elle songeât à obéir à son mari, qui vouloit la mener ou l'envoyer en Italie. Le lendemain, elle eut une défense de ne plus sortir de chez elle; le jour d'après, de ne plus voir personne; et, à tout moment, elle est dans les horreurs qu'on ne l'entraîne avec violence, et qu'on ne la mette dans une litière pour la mener où il plaira à son mari. Je ne veux pas justifier sa conduite passée, mais il faut convenir, en s'en souvenant, qu'elle a bien sujet de ne vouloir pas se confier à un mari italien. Elle fait ce qu'elle peut pour obtenir qu'on l'enferme ici dans le plus austère couvent qu'il y ait. Je ne sais pas ce qu'on lui accordera: elle n'a contre elle que le roi, le premier ministre, son mari, toute la famille Balbasès. Elle me fait beaucoup de pitié.

      Si j'en juge par les amples relations de Madame21 à la reine d'Espagne, jamais les plaisirs n'ont été pareils à ceux dont on jouit à Versailles.

      M. de Villars dit toujours qu'il veut me renvoyer, à cause que la misère augmente à Madrid, et que, sans moi, il fera beaucoup moins de dépense. Je ferai tout ce qu'il voudra, quoiqu'avec peine, si je le laisse dans un lieu aussi triste, et dans un état aussi chagrinant


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<p>21</p>

Charlotte-Elisabeth de Bavière, princesse palatine, seconde femme de Monsieur.