Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé. de Lenclos Ninon
de s'être persuadés que cette femme ait pu accepter de bonne foi la proposition de se faire religieuse, et d'espérer par là qu'elle va leur assurer tout son bien. La première fois que j'entendis parler au confesseur de la reine de la commission qu'il avoit du connétable, d'écrire à sa femme, et de lui proposer ce parti, je crus que c'étoit une pure raillerie, dont je n'aurois jamais voulu me mêler. Le bon père écrivit, et la dame n'hésita pas un moment à lui répondre qu'elle y consentoit. Pour moi, sans en savoir autre chose, je ne crois point du tout à cette subite vocation. Je ne me suis pas pressée de lui aller rendre visite: je ne sais encore quand je la verrai.
A propos de visites, vraiment j'en fis une, il y a trois ou quatre jours, qui m'effraya beaucoup. Une dame de qualité, femme du comte Ernand-Nuguès, depuis un mois ou six semaines étoit accouchée; et, comme elle avoit été assez mal, on ne l'avoit point vue. J'envoyai savoir de ses nouvelles, et son mari, qui est de nos amis et qui parle bien françois, me manda que je ferois honneur à sa femme de l'aller voir. J'y fus donc: je m'assis un moment auprès de son lit; car je ne l'eus pas plutôt envisagée, que je me levai. Je tirai son mari à part, et je lui dis que je ne demeurois pas plus long-temps, craignant d'incommoder madame sa femme. Il me répondit que point du tout; et moi, je l'assurai qu'elle étoit fort mal, n'osant lui dire qu'elle se mouroit. Il vint, sur ces entrefaites, deux Grandes d'Espagne, dont la duchesse de Patrana étoit une. Je sortis, et, à trois heures après minuit, la dame étoit morte: elle n'avoit que vingt-deux ans. Voilà la quatrième, depuis trois mois, qui meurt en couche. Le comte Ernand-Nuguès a été menin de notre reine, et a été assez long-temps en France. On est très-mal traité en ce pays-ci de toutes sortes de maladies.
Adieu, madame; je vais me promener dans un carrosse incognito, à une promenade publique, au milieu de la campagne, où il y a un prédicateur qui prêche quatre ou cinq heures, et qui se donne des soufflets à tour de bras; on entend, dès qu'il a commencé à se les donner, un bruit terrible de tout le peuple qui fait la même chose. Comme il n'y a pas d'obligation de se châtier de la sorte, nous allons assister à ce spectacle qui se voit, en carême, trois fois la semaine. Le détail des dévotions de ce pays seroit une chose divertissante à vous faire savoir.
LETTRE XXXIV
Vous, madame, plusieurs de mes amies, et même mes enfans, vous paroissez étonnés et comme fâchés de n'être point informés par mes lettres de tout ce qui se passe ici touchant le rappel de M. de Villars, et ce qui me regarde en mon particulier, jugeant qu'il faut bien que ce ne soit pas un secret en cette cour. Vous m'en croirez bien, ma chère madame, puisqu'assurément, dans le nombre de mes défauts, je n'ai point celui de mentir. Rien au monde n'est donc venu à notre connoissance de ce qu'on a pu inventer sur la conduite que j'ai tenue ici. Vous et mes enfans me dites seulement que j'ai fait des intrigues dans le palais. Si l'on savoit ce que c'est que l'intérieur de ce palais, et qu'aucune dame ni moi, ne nous disons jamais que bonjour et bonsoir, parce que je n'ai pu apprendre la langue du pays, on ne diroit pas que ça été avec les femmes, non plus qu'avec les hommes, dont aucun ne met le pied dans tout l'appartement de la reine. A l'égard du jeune roi, et de sa haine pour les François, qui est grande, je puis dire qu'elle est moins violente pour moi que pour les femmes françoises de la reine, par la raison qu'elles sont plus souvent auprès d'elle que je n'ai cet honneur. Si le premier ministre a fait négocier notre retour en France par l'ambassadeur d'Espagne, qui est à Paris, le roi, leur maître, n'en a rien su; car, le jour qu'on en eut ici la nouvelle, il parut fort étonné quand on la lui apprit, et demanda aussitôt si ce n'étoit point une marque qu'on allât rentrer en guerre avec la France. Jugez, sur cela, de beaucoup d'autres circonstances que je ne vous dis pas. Le roi et la reine sont dans une grande union, et meilleure, depuis deux ou trois mois, qu'elle n'a jamais été. Je ne me vanterai pas de m'être mêlée de donner des conseils à la reine; elle a un assez bon esprit pour n'en avoir pas besoin. Je ne sais si le roi lui communique les secrets de l'état; c'est ce qui n'est jamais entré dans les conversations que j'ai eu l'honneur d'avoir avec elle. Je ne sais plus que vous dire; car, en vérité, je ne trouve pas la moindre chose digne de remarque en tout ce qui s'est passé depuis que je suis en ce pays. Avec toute la tranquillité que doit inspirer le repos d'une bonne conscience, je suis pourtant affligée du malheur que j'ai de ne pouvoir quasi douter que mon nom n'a jamais été proféré que bien sinistrement devant tout ce qu'il y a de plus grand et de plus respectable dans le monde; et ce que je souffre à cet égard, me fait porter une véritable envie aux gens dont on n'a jamais entendu parler ni en bien ni en mal. Le jour que M. de Villars reçut son ordre pour son retour, je tremblois qu'il ne portât aussi de me faire partir incontinent. Mais, quand je sus qu'il n'y en avoit pas un mot, je pris patience. J'ai plus de reconnoissance de cette bonté du roi, malgré mon innocence, que n'en ont mille gens pour les solides bienfaits qu'ils reçoivent tous les jours de sa majesté. Je ne laisserai point de partir la première, parce que M. de Villars s'en ira plus vîte, quand il sera tout seul, dès le moment qu'il aura reçu les derniers ordres du roi. Adieu, madame; laissez dire de moi tout ce qu'on voudra. Je vous verrai bientôt; ce me sera une véritable joie. Quel voyage ai-je à faire, et quelle fatigue à essuyer!
LETTRE XXXV
Je vous rends grâces de l'impatience que vous me marquez de savoir le temps de mon retour; je ne puis vous le dire. On a mille choses à faire avant que de partir. C'est M. de Villars qui règle tout cela. J'ai pris congé de la reine ayant son départ pour Aranjuez. Elle m'a fort commandé de l'y aller voir; mais je ne sais si j'irai. Vous me demandez des raisons pour alléguer contre les torts qu'on me donne au pays où vous êtes; mais il me les faudroit apprendre auparavant. Tout ce que je sais de Paris, est qu'on publie que j'ai eu un grand démêlé avec un maître-d'hôtel de la jeune reine; mais, comme j'ai déjà répondu que je n'en connois pas un, et que jamais je n'ai eu le moindre mot avec homme ni femme, dedans ou dehors le palais, je ne saurois plus en rien dire. Toutes ces choses seront des nouveautés pour moi, quand j'arriverai à Paris. Il me semble qu'on dit encore que je vois trop souvent la reine. Si elle ne l'avoit pas voulu, cela n'eût pas été; et si, de France, on avoit ordonné à M. de Villars que mes visites fussent moins fréquentes, on ne se le seroit pas laissé dire deux fois. Je vous conterai un jour plus au long comme je m'y divertissois. Je vous supplie instamment encore une fois, ma chère madame, de laisser dire, sur mon sujet, tout ce qu'on voudra, pourvu que ces mensonges ne fassent point d'impression sur votre esprit: c'est tout ce que je désire de vous.
Ce que l'on vous mande de Rome de la connétable Colonne seroit meilleur pour elle que ce qui se passe ici. La pauvre femme est peut-être bien près d'éprouver de pires aventures que toutes celles qu'elle a eues par le passé. Il ne faut rien imputer à toutes ces sortes de têtes-là; mais on ne peut s'empêcher de la plaindre. C'est la meilleure femme du monde, à cela près qu'il n'est pas au pouvoir humain de lui faire prendre les meilleurs partis, ni de résister à tout ce qui lui passe dans la fantaisie. Son mari part samedi ou lundi avec ses enfans. Il a marié l'aîné, comme vous savez, avec une fille de Medina Celi, premier ministre, qu'il emmène aussi à Rome. La connétable demeure dans son couvent, où apparemment elle va manquer de tout. Elle y est déjà misérablement. Si je n'avois pas autant compati à son malheur, je n'aurois pu m'empêcher de me divertir à l'entendre parler comme elle fait. Elle a de l'esprit. Elle écrit que cela est surprenant, avec ses hauts et bas. Il étoit, en quelque sorte, facile à M. de Nevers, son frère, de la tirer du malheureux état où elle est, s'il étoit venu ici pour soutenir ses intérêts. Elle n'auroit pas été réduite à jouer la religieuse. Je pensai tomber de mon haut, quand le confesseur de la reine me dit qu'il lui alloit écrire la proposition de se faire religieuse pour sortir du château de Ségovie. Elle n'hésita pas un moment, comme je vous l'ai mandé, à trouver qu'elle en avoit la vocation. Je crus, au moins, qu'étant entrée dans le couvent, elle déclareroit qu'elle se moquoit, et que tout ce qu'elle avoit promis étoit pour sortir de prison; mais, au lieu de cela, elle prend l'habit dès l'instant qu'elle a mis