Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé. de Lenclos Ninon
fort bien commencé et fini le carême; je n'en suis pas malade, Dieu merci. Le chocolat est une chose merveilleuse. N'en voudrez-vous point prendre?
On parle beaucoup de guerre avec le Portugal. Les deux princes veulent absolument qu'une certaine île soit à eux. Ils assurent qu'ils vont faire la guerre, si l'on ne la leur cède. On est pourtant tout-à-fait tranquille dans cette cour. Adieu, madame; je vous aime de tout mon cœur.
LETTRE XXXVI
Jamais rien au monde ne m'a paru moins un compliment que tout ce que vous me dites, ma chère madame, sur l'obligeante envie que vous me marquez que j'aille loger chez vous en arrivant à Paris. Soyez bien persuadée que je pense et que je sens sur cela tout ce qu'il faut pour inspirer une tendresse vive et reconnoissante. Mes enfans vous feront mille excuses de ma part, de ce que je ne puis faire ce que vous souhaitez. Ce sont des excuses bien différentes de celles que l'on emploie pour refuser une grâce ou un service que l'on ne peut rendre. Mais votre cœur est fait de manière que je ne puis douter que ce ne soit vous faire une espèce d'offense de mettre quelque obstacle aux services que vous voulez rendre. Je vous demande donc une infinité de pardons; je m'en demande à moi-même de m'opposer à la joie que j'aurois de me trouver à portée de vous voir, de vous parler à tout moment. Je ne suis pas destinée à des plaisirs continuels, il s'en faut bien; et, pour changer de discours, je vous avouerai que, depuis quelque temps je suis moins empressée de mon retour à Paris; car vous saurez que M. de Villars prit la résolution de me faire partir, quand il sut, par la lettre du roi, son maître, qu'il le rappeloit. Il crut, pour plus grande commodité, qu'il étoit plus à propos que je m'en allasse la première, pour être en état de faire plus de diligence, débarrassé de femmes, de hardes et d'équipages; ne doutant point qu'au plus tard, trois semaines ou un mois après, il n'eût ordre du roi pour partir, et qu'il n'y eût un autre ambassadeur nommé. Mais je vois présentement qu'on ne parle de rien, et que M. de Villars peut demeurer encore ici long-temps. Cela étant, je ne voudrois plus m'en aller, pour ne pas laisser mon mari dans cet ennuyeux pays, où je puis être comptée pour quelque chose, par rapport au dénuement de toute sorte de plaisirs. Cependant M. de Villars ne pouvant s'imaginer d'être ici pour long-temps, et les chaleurs approchant, veut que je parte. A propos de cela, si vous trouvez par hazard, sur votre chemin, quelqu'un qui dise que le roi ait ordonné que je m'en revinsse en France, dites hardiment, madame, qu'il n'en est rien; sa majesté n'en a jamais écrit un mot à M. de Villars. Si ce que je vous écris là n'étoit pas vrai, vous croyez bien que je ne vous manderois pas le contraire. Vous voyez à quoi se réduisent mes vanteries, qui sont de vouloir établir, parce que cela est vrai, que le roi n'ordonne point de me faire partir, par la raison de mes malversations. Je vous entretiendrai bien, madame, quand je vous verrai. Il ne me sera, je crois, guère difficile de vous faire avouer que je ne mérite pas beaucoup de blâme sur ma conduite en cette cour; et, sans me vanter, peut-être n'ai-je fait tort à la conduite de personne. Adieu, ma chère madame.
LETTRE XXXVII
Je ne suis point encore partie; les pluies ont été si excessives et si continuelles ici, que les carrosses ni les litières ne peuvent se mettre en chemin. Présentement que le temps se met au beau, et qu'on nous fait espérer que nous apprendrons par le premier courrier, que le roi a nommé le successeur de M. de Villars, je partirai plus volontiers avec la certitude qu'il ne demeurera pas long-temps ici après moi. Leurs majestés Catholiques revinrent samedi d'Aranjuez. La reine a eu la bonté de me dire qu'elle eût été au désespoir d'en revenir sitôt, sans la joie qu'elle avoit de me revoir. Elle n'a pas pourtant engraissé dans ce charmant séjour. Je l'ai trouvée changée. J'ai vu la reine mère ces jours passés, dont j'ai tous les sujets du monde de me louer, par toutes les choses obligeantes qu'elle dit de la conduite de M. de Villars et de la mienne, quant à l'union de sa belle-fille avec elle; et je suis bien persuadée qu'elle en écrit conformément à la reine en France. Je suis à vous, ma chère madame, plus que je ne puis vous le dire.
LETTRES DE MADAME DE COULANGES, A MADAME DE SÉVIGNÉ
NOTICE SUR MADAME DE COULANGES
Madame de Coulanges a laissé d'elle la réputation d'une femme très-aimable et de beaucoup d'esprit; mais on ne trouve dans les livres, pour ainsi dire, aucune particularité, aucun détail sur sa personne. Il seroit aujourd'hui fort difficile, et peut-être même impossible, de suppléer entièrement à leur silence. A la distance où nous sommes déjà du siècle de Louis XIV, comment puiser dans la tradition des renseignemens certains sur les personnages de ce siècle, lorsque les écrivains du temps ont négligé de nous en transmettre? Les Lettres de madame de Sévigné sont presque le seul écrit où il soit question de madame de Coulanges. Nous allons en extraire le peu de notions biographiques qu'elles offrent sur cette femme spirituelle.
Madame de Coulanges naquit en 1631, de M. du Gué-Bagnols, intendant de Lyon.
Elle épousa Philippe-Emmanuel de Coulanges, conseiller au parlement de Paris, puis maître des requêtes, mort en 1716, âgé de 85 ans. M. de Coulanges était cousin-germain de madame de Sévigné, dont sa femme devint l'amie intime et presque inséparable. Plein d'esprit et sur-tout de gaîté, très-agréable en société, à cause de ses saillies et de ses chansons, il avoit peu d'aptitude ou du moins peu de goût pour les fonctions graves et laborieuses de la magistrature. On raconte qu'étant chargé de rapporter une affaire, où il s'agissoit d'une marre d'eau que se disputoient deux paysans dont l'un s'appeloit Grapin, il s'embarrassa tellement dans le détail des faits, qu'il fut obligé d'interrompre son récit: Pardon, messieurs, dit-il aux juges; je me noie dans la marre à Grapin, et je suis votre serviteur. Depuis cette aventure, il ne voulut plus être rapporteur, et il finit par se démettre de sa charge pour faire des voyages, des chansons et de bons dîners.
Madame de Coulanges, fille d'un simple intendant de province, et femme d'un homme de robe, qui avoit renoncé à son état, n'avoit aucun rang à la cour; et cependant elle y jouissoit de beaucoup de considération. Elle étoit nièce de la femme de le Tellier, ministre d'état, depuis chancelier, et cousine du fameux Louvois, ministre de la guerre. La parenté lui donnoit un certain crédit auprès de ces deux hommes puissans; et, comme on peut croire, ses amis lui fournissoient quelquefois l'occasion d'en faire usage. C'étoit sur-tout auprès de Louvois qu'on réclamoit ses bons offices, dans ce temps de guerres continuelles, où les emplois de l'armée passoient si rapidement de main en main.
C'étoit beaucoup, pour avoir des succès à la cour, que d'être nièce et cousine de ministre; mais ceux de madame de Coulanges tenoient encore à une autre cause bien plus honorable pour elle. C'est ce que madame de Sévigné a exprimé d'une manière si vive et si ingénieuse, en disant: l'esprit de madame de Coulanges est une dignité. Cet esprit consistoit à dire avec grâce, avec aisance, des choses fines et imprévues, des mots vifs et piquans. On appeloit cela les épigrammes de madame de Coulanges. Voici ce qu'en dit madame de Caylus dans ses Souvenirs. «Madame de Coulanges, femme de celui qui a fait tant de chansons… avoit une figure et un esprit agréables, une conversation remplie de traits vifs et brillans; et ce style lui étoit si naturel, que l'abbé Gobelin dit, après une confession générale qu'elle lui avoit faite: Chaque péché de cette dame est une épigramme. Personne en effet, après madame de Cornuel, n'a dit plus de bons mots que madame de Coulanges.» Madame de Sévigné, qui, dans ses Lettres, nous a conservé plusieurs bons mots de madame de Cornuel, que l'on cite encore tous les jours, en a rapporté aussi quelques-uns de madame de Coulanges; mais ils n'ont pas fait la même fortune. Il semble qu'ils avoient quelque chose de plus délié, de plus fugitif, qui tenoit