Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé. de Lenclos Ninon

Lettres de Mmes. de Villars, de Coulanges et de La Fayette, de Ninon de L'Enclos et de Mademoiselle Aïssé - de Lenclos Ninon


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et ces huit belles demeures, si l'on peut nommer de la sorte celles que les morts habitent, et où sont déjà quatre rois19 et quatre reines. Tout de bon, madame, je ne saurois vous entretenir de rien aujourd'hui. Je vous embrasse de tout mon cœur; et c'est tout ce que je puis faire, affligée comme je le suis.

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      LETTRE XII

Madrid, 27 avril 1680.

      Si j'avois été dimanche à une belle procession qui se fit encore, je vous en rendrois un léger compte; mais je ne jugeai pas raisonnable de passer de propos délibéré toute la matinée du dimanche des Rameaux sans prier Dieu. Je me contentai la veille de voir l'habit de la reine qu'elle me fit apporter. Il y en a toujours un exprès pour cette cérémonie, où il s'agit de marquer le deuil et la mortification. Le fond de cet habit est de satin noir tout brodé de jais blanc et d'acier, mais, sans nulle comparaison, mieux qu'on ne les emploie en France. C'est la seule broderie que j'aie vue dans sa perfection. La reine avoit beaucoup de pierreries, mais avec de petits morceaux de gaze plissés, attachés en quelques endroits sur le corps de jupe; l'on prétend marquer une grande modestie. Les dix filles d'honneur avaient des pointes de gaze blanche sur leurs têtes, et leurs amans à leurs côtés. Je ne vous dirai rien, de tout ce qui se passe les trois jours saints, mercredi, jeudi et vendredi. Toutes les femmes sont parées, et courent d'église en église toute la nuit, hors celles qui ont trouvé dans la première où elles ont été, ce qu'elles y cherchoient; car il y en a plusieurs, qui, de toute l'année, ne parlent à leurs amans que ces trois jours-là.

      Je vous écris par un courrier que le roi a envoyé à M. de Villars. Vous aimeriez peut-être davantage cet ambassadeur, si vous saviez à quel point il sait bien se gouverner dans cette cour. Comme je suis toujours sur mes gardes pour ne rien écrire qui vise aux affaires d'état, je ne vous ai point informée de plusieurs choses qui se sont passées ici, quoique publiques; mais, en général, vous pouvez dire que M. de Villars a fait rétablir toutes choses comme le roi le désiroit. On lui a tendu mille panneaux depuis deux ou trois mois, pour lui donner dans son quartier, à Madrid, des sujets de batterie, et pour faire piller et brûler notre maison, en animant le peuple. Tout est à craindre, quand il arrive de semblables esclandres: il faut avoir une attention continuelle à les empêcher, et même, s'il se peut, à les prévoir, quoique cela soit quelquefois bien difficile. Le cardinal Bonzi, étant ici ambassadeur, y a passé. Quand ces désordres-là arrivent, les plaintes ne manquent pas d'être portées en France, et un pauvre ambassadeur est condamné, sans avoir pu dire ses raisons. Ils ont eu ici un tel dépit que Juvenozo, leur ambassadeur en France, n'ait pas reçu les traitemens qu'il vouloit, qu'ils auroient acheté bien cher quelques sujets d'attaquer la conduite de M. de Villars, sur le fait ou le caractère de l'ambassade. Personnellement on ne peut être plus aimé, ni plus estimé qu'il l'est. Ce roi a une haine effroyable contre les François; je ne cesse pas de vous l'écrire. La conduite de la reine est toujours très-bonne. Vous la louez du bon goût qu'elle a pour moi; mais savez vous à quelle sauce je me mets pour être trouvée de si bon goût? Adieu, ma chère madame; M. de Villars vous assure de mille véritables respects.

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      LETTRE XIII

Madrid, premier mai 1680.

      Tout ce que je puis vous dire de la reine, c'est qu'elle continue à bien faire. Le roi fut mercredi à l'Escurial, et en revint vendredi. Il faut des airs ici: la reine eut tous ceux qui étoient nécessaires pour marquer une grande mélancolie de cette absence. Je ne serois pas bonne comédienne; mais je sais bien comme il faut louer, et donner des avis à propos, quand je me trouve dans l'occasion de le faire. Ils se sont envoyé, pendant cette courte absence, des présens riches et galans.

      Je reviens du palais. C'est aujourd'hui la fête de Monsieur. La reine étoit belle comme le jour. Je ne sais pas comment elle peut être si belle à Madrid. Elle étoit extraordinairement parée de très-grosses perles, et de beaucoup de diamans. J'ai été quelque temps seule avec elle. Nous avons chanté quelques airs d'opéra: car il n'est pas question, dans nos conversations, de la gravité que comporteroit mon âge. En vérité, si je dressois bien mon intention, je ne crois pas que ce fût une œuvre très-bonne que de la divertir. La vie du palais de Madrid ne se peut guère comprendre. Le roi se trouva un peu mal hier: il se porte bien aujourd'hui. J'ai laissé toute la maison royale aller à la comédie; j'ai senti un grand plaisir de n'y point aller, et de revenir chez moi. Je ne vous dis point tout ce que M. de Villars voudroit que je vous fisse entendre de sa part. On ne peut vous honorer ni vous respecter plus qu'il fait, et ma fille aussi, qui aime M. de Coulanges de tout son cœur. Adieu, madame.

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      LETTRE XIV

Madrid, 26 mai 1680.

      Vous dites, madame, que j'attire des louanges à la reine par le goût qu'elle paroît avoir pour moi, et le désir qu'elle fait voir que je sois presque toujours auprès d'elle. Elle en mérite, en vérité, d'autres, par la manière dont elle supporte cette vie affreuse du palais. Elle joue trois ou quatre heures par jour aux jonchets, qui est le jeu favori du roi, sans lui marquer de chagrin. Il lui fait souvent des présens qu'elle aime fort, et voilà par où il la console.

      Le marquis de Grana et sa femme sont arrivés. On dit que cette femme parle cinq ou six sortes de langues; je serai bien simple auprès d'elle. Je ne sais si elle verra souvent la jeune reine. Si cela est, nous serons souvent ensemble; car il n'y a que les ambassadrices de France et d'Allemagne, qui entrent dans la chambre des reines. Toutes les autres femmes de ministres étrangers ne les voient que dans un lieu destiné pour les cérémonies. Avec cette prérogative, peut-on ne se pas trouver heureuse à Madrid?

      M. de Villars vous assure de mille très-humbles respects, et ma fille aussi. Elle aime un peu mieux M. de Coulanges que vous. Elle porta hier à la reine la lettre et les chansons de M. de Coulanges. Elles les chantèrent long-temps. N'avez-vous pas reçu une petite boîte par des religieux?

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      LETTRE XV

Madrid, 28 mai 1680.

      J'ai vu M. et madame de Grana; le mari me vint voir il y a deux ou trois jours; il fut toute l'après-dînée avec moi. Il parle mieux françois qu'un François même; il est de bonne conversation. Il s'ennuie à la mort à Madrid, quoiqu'il y ait demeuré long-temps, et qu'il y ait beaucoup de parens. Il est épouvanté du gouvernement, quoiqu'il n'en parle que comme en doit parler un ambassadeur de l'Empereur, à une Françoise. Il dit qu'il ne sera pas long-temps ici. Il me soutient qu'il n'y avoit qu'un ambassadeur de France qui pût présentement trouver quelque plaisir dans cette cour, en entendant parler du méchant état où on la voit. Pour moi, madame, vous croyez bien que je n'entre dans aucun de ces détails.

      Je jouis du beau temps, qui est admirable présentement. Depuis un mois, il est tempéré. Nous ne voyons ni ne sentons de soleil que ce qu'il en faut pour réjouir. La reine m'ordonne, et, si je l'ose dire, me prie instamment de la voir souvent. L'ennui du palais est affreux, et je dis quelquefois à cette princesse, quand j'entre dans sa chambre, qu'il me semble qu'on le sent, qu'on le voit, qu'on le touche, tant il est répandu épais. Cependant je n'oublie rien pour faire en sorte de lui persuader qu'il faut s'y accoutumer, et tâcher de le moins sentir qu'elle pourra; car il n'est pas en mon pouvoir de la gâter, en la flattant de sottises et de chimères, dont beaucoup de gens ne sont que trop prodigues. On a cru deux mois qu'elle étoit grosse; c'est à elle à savoir s'il y en avoit sujet. On ne peut être moins propre à questionner que je le suis sur de pareils chapitres. De plus, vous savez que, quand elle est partie de Paris, je n'étois pas beaucoup dans sa confiance, ni connue et considérée au Palais-royal. Je ne m'entremets de rien ici: la reine a du plaisir à voir une Françoise, et à parler sa langue naturelle. Nous chantons ensemble des airs d'opéra. Je chante quelquefois un menuet qu'elle danse. Quand


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<p>19</p>

Les quatre Rois sont:

Charles-Quint, Empereur.

Philippe II.

Philippe III.

Philippe IV.