Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile. Pierre Augustin Caron de Beaumarchais

Le barbier de Séville; ou, la précaution inutile - Pierre Augustin Caron de Beaumarchais


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Comédiens avec force:

      Enfans! un sacrifice est ici nécessaire.

      Alors, faisant la part au Diable et déchirant mon manuscrit: «Dieu des Siffleurs, Moucheurs, Cracheurs, Tousseurs et Perturbateurs, m'écriai-je, il te faut du sang? Bois mon quatrième Acte et que ta fureur s'appaise.»

      A l'instant vous eussiez vu ce bruit infernal qui faisoit pâlir et broncher les Acteurs, s'affoiblir, s'éloigner, s'anéantir, l'applaudissement lui succéder, et des bas-fonds du Parterre un bravo général s'élever, en circulant, jusqu'aux hauts bancs du Paradis.

      De cet exposé, Monsieur, il suit que ma Pièce est restée en cinq Actes, qui sont le 1er, le 2e, le 3e au Théâtre, le 4e au diable et le 5e avec les trois premiers. Tel Auteur même vous soutiendra que ce 4e Acte, qu'on n'y voit point, n'en est pas moins celui qui fait le plus de bien à la Pièce, en ce qu'on ne l'y voit point.

      Laissons jaser le monde; il me suffit d'avoir prouvé mon dire; il me suffit, en faisant mes cinq Actes, d'avoir montré mon respect pour Aristote, Horace, Aubignac15 et les Modernes, et d'avoir mis ainsi l'honneur de la règle à couvert.

      Par le second arrangement, le Diable a son affaire; mon char n'en roule pas moins bien sans la cinquième roue, le Public est content, je le suis aussi. Pourquoi le Journal de Bouillon ne l'est-il pas? – Ah! pourquoi! C'est qu'il est bien difficile de plaire à des gens qui, par métier, doivent ne jamais trouver les choses gaies assez sérieuses, ni les graves assez enjouées.

      Je me flatte, Monsieur, que cela s'appelle raisonner principes et que vous n'êtes pas mécontent de mon petit syllogisme.

      Reste à répondre aux observations dont quelques personnes ont honoré le moins important des Drames hazardés depuis un siècle au Théâtre.

      Je mets à part les lettres écrites aux Comédiens, à moi-même, sans signature et vulgairement appellées anonymes; on juge à l'âpreté du style que leurs Auteurs, peu versés dans la critique, n'ont pas assez senti qu'une mauvaise Pièce n'est point une mauvaise action, et que telle injure, convenable à un méchant homme, est toujours déplacée à un méchant Ecrivain. Passons aux autres.

      Des Connoisseurs ont remarqué que j'étois tombé dans l'inconvénient de faire critiquer des usages François par un Plaisant de Séville à Séville, tandis que la vraisemblance exigeoit qu'il s'égayât sur les mœurs Espagnoles. Ils ont raison; j'y avois même tellement pensé, que pour rendre la vraisemblance encore plus parfaite, j'avois d'abord résolu d'écrire et de faire jouer la Pièce en langage Espagnol; mais un homme de goût m'a fait observer qu'elle en perdroit peut-être un peu de sa gaieté pour le Public de Paris, raison qui m'a déterminé à l'écrire en François; ensorte que j'ai fait, comme on voit, une multitude de sacrifices à la gaieté, mais sans pouvoir parvenir à dérider le Journal de Bouillon.

      Un autre Amateur, saisissant l'instant qu'il y avoit beaucoup de monde au foyer, m'a reproché du ton le plus sérieux, que ma Pièce ressembloit à: On ne s'avise jamais de tout. «Ressembler, Monsieur, je soutiens que ma Pièce est: On ne s'avise jamais de tout, lui-même. – Et comment cela? – C'est qu'on ne s'étoit pas encore avisé de ma Pièce.» L'Amateur resta court, et l'on en rit d'autant plus, que celui-là qui me reprochoit, on ne s'avise jamais de tout, est un homme qui ne s'est jamais avisé de rien.

      Quelques jours après, ceci est plus sérieux, chez une Dame incommodée, un Monsieur grave, en habit noir, coiffure bouffante et canne à corbin, lequel touchoit légèrement le poignet de la Dame, proposa civilement plusieurs doutes sur la vérité des traits que j'avois lancés contre les Médecins. «Monsieur, lui dis-je, Etes-vous ami de quelqu'un d'eux? Je serois désolé qu'un badinage… – On ne peut pas moins; je vois que vous ne me connoissez pas, je ne prends jamais le parti d'aucun, je parle ici pour le Corps en général.» Cela me fit beaucoup chercher quel homme ce pouvoit être. «En fait de plaisanterie, ajoutai-je, vous savez, Monsieur, qu'on ne demande jamais si l'histoire est vraie, mais si elle est bonne. – Eh! croyez-vous moins perdre à cet examen qu'au premier? – A merveille, Docteur, dit la Dame. Le Monstre qu'il est! n'a-t-il pas osé parler mal aussi de nous? Faisons cause commune.»

      A ce mot de Docteur, je commencai à soupçonner qu'elle parloit à son Médecin. «Il est vrai, Madame et Monsieur, repris-je avec modestie, que je me suis permis ces légers torts, d'autant plus aisément, qu'ils tirent moins à conséquence.

      Eh! qui pourroit nuire à deux Corps puissans dont l'empire embrasse l'univers et se partage le monde? Malgré les Envieux, les Belles y règneront toujours par le plaisir et les Médecins par la douleur, et la brillante santé nous ramène à l'Amour, comme la maladie nous rend à la Médecine.

      Cependant, je ne sais si, dans la balance des avantages, la Faculté ne l'emporte pas un peu sur la Beauté. Souvent on voit les Belles nous renvoyer aux Médecins, mais plus souvent encore les Médecins nous gardent et ne nous renvoient plus aux Belles.

      En plaisantant donc, il faudroit peut-être avoir égard à la différence des ressentimens et songer que, si les Belles se vengent en se séparant de nous, ce n'est là qu'un mal négatif; au lieu que les Médecins se vengent en s'en emparant, ce qui devient très-positif;

      Que, quand ces derniers nous tiennent, ils font de nous tout ce qu'ils veulent; au lieu que les Belles, toutes belles qu'elles sont, n'en font jamais que ce qu'elles peuvent;

      Que le commerce des Belles nous les rend bientôt nécessaires; au lieu que l'usage des Médecins finit par nous les rendre indispensables;

      Enfin, que l'un de ces empires ne semble établi que pour assurer la durée de l'autre, puisque, plus la verte jeunesse est livrée à l'Amour, plus la pâle vieillesse appartient sûrement à la Médecine.

      Au reste, ayant fait contre moi cause commune, il étoit juste, Madame et Monsieur, que je vous offrisse en commun mes justifications. Soyez donc persuadés que, faisant profession d'adorer les Belles et de redouter les Médecins, c'est toujours en badinant que je dis du mal de la beauté; comme ce n'est jamais sans trembler que je plaisante un peu la Faculté.

      Ma déclaration n'est point suspecte à votre égard, Mesdames, et mes plus acharnés ennemis sont forcés d'avouer que, dans un instant d'humeur où mon dépit contre une Belle alloit s'épancher trop librement sur toutes les autres, on m'a vu m'arrêter tout court au 25e Couplet, et, par le plus prompt repentir, faire ainsi dans le 26e amende honorable aux belles irritées:

      Sexe charmant, si je décèle

      Votre cœur en proie au desir,

      Souvent à l'amour infidèle,

      Mais toujours fidèle au plaisir;

      D'un badinage, ô mes Déesses!

      Ne cherchez point à vous venger:

      Tel glose, hélas! sur vos foiblesses

      Qui brûle de les partager.

      Quant à vous, Monsieur le Docteur, on sait assez que Molière…

      – Au désespoir, dit-il en se levant, de ne pouvoir profiter plus long-temps de vos lumières: mais l'humanité qui gémit ne doit pas souffrir de mes plaisirs.»Il me laissa, ma foi, la bouche ouverte avec ma phrase en l'air.«Je ne sais pas, dit la belle malade en riant, si je vous pardonne; mais je vois bien que notre Docteur ne vous pardonne pas. – Le nôtre, Madame? Il ne sera jamais le mien. – Eh! pourquoi? – Je ne sais; je craindrois qu'il ne fût au-dessous de son état, puisqu'il n'est pas au-dessus des plaisanteries qu'on en peut faire.

      Ce Docteur n'est pas de mes gens. L'homme assez consommé dans son art pour en avouer de bonne foi l'incertitude, assez spirituel pour rire avec moi de ceux qui le disent infaillible: tel est mon Médecin. En me rendant ses soins qu'ils appellent des visites; en me donnant ses conseils qu'ils nomment ordonnances, il remplit dignement et sans faste la plus noble fonction d'une âme éclairée et sensible. Avec plus d'esprit, il calcule plus de rapports, et c'est tout ce qu'on peut dans un art aussi utile qu'incertain. Il me raisonne, il me console, il me guide, et la nature fait le reste. Aussi, loin de s'offenser de la


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Hédelin, abbé d'Aubignac, né en 1604, mort en 1676. Il a composé, d'après Aristote, un ouvrage assez médiocre, Pratique du théâtre (1669, in-4º), auquel Beaumarchais fait ici allusion. Il détestait Corneille, dont il était jaloux, et il a donné une tragédie, Zénobie, qui n'eut aucun succès.