Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers. Dumesnil Antoine Jules
déjà disposé, par des considérations personnelles, à amener cette rupture, s'il est vrai, comme on l'a écrit, qu'il ait eu à se plaindre de la conduite de sa femme avec le séduisant Buckingham. Quoi qu'il en soit, en attendant l'occasion d'une rupture que chacun désirait peut-être, mais n'osait pas brusquer, les fêtes, les spectacles, les courses de taureaux, les chasses au Pardo, les divertissements de tous genres se succédèrent à Madrid, pendant les cinq mois du séjour du prince Charles.
La cour d'Espagne était alors la plus brillante de l'Europe: les grands seigneurs castillans, comblés d'honneurs et de dignités, chargés de l'or du Mexique et du Pérou, enrichis des dépouilles du duché de Milan, des vice-royautés de Naples et de Sicile, vivaient dans un luxe et un éclat faits pour éblouir les autres nations. Depuis Charles-Quint, le goût des arts s'était répandu en Espagne, à la suite des guerres et des conquêtes de Milan et de Naples. La construction de l'Escurial par Philippe II avait attiré à Madrid un grand nombre d'artistes italiens, et il s'en fallait de beaucoup, à l'avénement de Philippe IV, que les travaux de cet immense monument, à la fois palais, couvent et sépulture des rois d'Espagne, fussent entièrement terminés. Le jeune roi, nous l'avons dit, aimait et cultivait la peinture; à son exemple, ou par inclination naturelle, bon nombre de seigneurs de la cour se livraient à l'exercice de cet art, et s'appliquaient à en réunir les œuvres les plus remarquables. Parmi les premiers, Pacheco cite97 avec le plus grand éloge: Don Geronimo de Ayança si connu, dit-il, pour son talent et ses excellentes qualités; don Geronimo Muñoz, digne des plus grandes louanges à cause de la place qu'il occupe dans la théorie et la pratique de cette profession; l'un chevalier d'Alcantara, l'autre de Santiago; don Juan de Fonseca i Figueroa, père du marquis de Orellana, professeur et chanoine de Séville, et depuis huissier du rideau de Philippe IV, lequel, avec son esprit pénétrant et une grande érudition, n'estime pas peu le noble exercice de la peinture. —
«J'ai connu dans notre heureuse patrie, ajoute Pacheco, un grand nombre de cavaliers et d'hommes haut placés, qui possédaient un talent remarquable pour le dessin, parmi lesquels on doit citer: don Francisco Duarte, qui fut président de la contractation98, et sa sœur doña Mariana, très-habile en l'art d'écrire, desquels j'ai vu de merveilleux dessins à la plume; Diego Vidal, et son cousin du même nom, tous les deux prébendiers (rationeros) de cette église (de Séville); don Estevan Hurtado de Mendoça, chevalier de Santiago, qui, dans sa jeunesse, donna des preuves de son rare talent pour cet art; le marquis del Aula; Juan de Xauregui, connu de tous, lequel a pris une place avantageuse et honorable parmi ceux qui professent la peinture, et dont l'esprit élevé doit faire, comme de raison, espérer d'illustres œuvres.»
Au premier rang des amateurs de son temps, Pacheco cite encore: «Notre duc de Alcala (don Fernando Enriquez de Ribera), vice-roi de Barcelone, qui a joint à l'exercice des lettres et des armes celui de la peinture99. Le nom de ce grand seigneur revient souvent sous sa plume, comme celui d'un véritable Mécènes. Il raconte que, dans son ambassade extraordinaire à Rome, où il fut envoyé en 1625, pour faire acte d'obédience, au nom de Philippe IV, au souverain pontife Urbain VIII, le duc s'était fait accompagner par un jeune peintre, Diego Romulo Cincinnato, né à Madrid, fils d'un autre Romulo, peintre du roi Philippe II, et qui était originaire de Florence100. Comme le roi d'Espagne n'avait pas de portrait du pape, Diego avait obtenu de faire celui d'Urbain VIII, et le pontife en avait été tellement satisfait, qu'il avait conféré à l'artiste l'ordre du Christ, de Portugal, et lui avait donné une chaîne d'or avec une médaille à son effigie. «Mais, dit Pacheco, que la gloire humaine est peu durable! À peine venait-il de recevoir cet honneur de la main du cardinal espagnol Trexo de Paniagua, commis par le pape à cet effet, que le jeune homme mourut le 14 décembre 1625, et fut enterré dans l'église de San-Lorenzo, de Rome, avec les insignes de chevalier de l'ordre du Christ101.»
Le duc d'Alcala, qui fut ensuite vice-roi de Naples, rapporta d'Italie un grand nombre de tableaux, et continua, lorsqu'il fut rentré en Espagne à protéger les artistes, ses compatriotes. Il avait formé à Séville une belle galerie et une riche collection de livres rares et curieux, et toute sa vie se partagea entre le maniement des plus grandes affaires et l'amour des lettres et des arts.
Le prince Francisco de Borja y Esquillache, qui cultivait la poésie avec succès, comme Xauregui, n'était pas moins amateur des œuvres de la peinture, dont il possédait de remarquables spécimens. Le duc d'Alba se faisait également remarquer par le même goût; il en était ainsi d'un grand nombre de nobles qui avaient rapporté ce goût d'Italie, et parmi lesquels on doit citer, d'après Pacheco102: don Francisco de Castro, ambassadeur d'Espagne, puis vice-roi de Sicile, qui offrit quatre mille ducats d'un tableau du Corrège au cardinal Sforza, sans pouvoir l'obtenir; le duc d'Ossuna, qui rapporta plus tard, en 1629, à Madrid, un grand tableau de Raphaël, peint sur bois, de la Sainte-Vierge, l'Enfant Jésus et saint Jean-Baptiste, que le duc de Florence lui avait offert lorsqu'il était vice-roi de Naples, et qui fut payé par don Gaspar de Monterey seize cents ducats; et le marquis de Leganes, vice-roi du duché de Milan.
Au milieu de tous ces grands seigneurs, le tout-puissant ministre de Philippe IV se faisait remarquer par son luxe, et par les encouragements qu'il accordait aux lettres et aux arts. Le vieux Lope de Vega, devenu son chapelain, vivait dans sa maison: sa bibliothèque était une des plus nombreuses et des plus curieuses de l'Espagne, et l'on y comptait beaucoup de manuscrits et de livres rares. À l'une des portes de Madrid, il avait fait bâtir le palais du Buen Retiro, qu'il offrit au roi peu de temps après son avénement. Il n'avait d'abord fait construire qu'une petite maison qu'il avait nommée Galinera, parce qu'il y avait mis des poules fort rares qu'on lui avait données. «Comme il allait les voir assez souvent, dit madame d'Aulnoy103, la situation de ce lieu, qui est sur le penchant d'une colline, et dont la vue est très-agréable, l'engagea d'entreprendre un bâtiment considérable. Quatre grands corps de logis et quatre gros pavillons font un carré parfait. On trouve au milieu un parterre rempli de fleurs, et une fontaine dont la statue, qui jette beaucoup d'eau, arrose, quand on veut, les fleurs et les contr'allées par lesquelles on passe d'un corps de logis à l'autre. Ce bâtiment a le défaut d'être trop bas. Ses appartements en sont vastes, magnifiques et embellis de bonnes peintures. Tout y brille d'or et de couleurs vives, dont les plafonds et les lambris sont ornés. Je remarquai dans une grande galerie l'entrée de la reine Élisabeth, mère de la feue reine. Elle est à cheval, vêtue de blanc, avec une fraise au cou et un garde-infant. Elle a un petit chapeau garni de pierreries avec des plumes et une aigrette. Elle était grasse, blanche et très-agréable; les yeux beaux, l'air doux et spirituel. La salle pour les comédies est d'un beau dessin, fort grande, tout ornée de sculpture et de dorure… le parc a plus d'une grande lieue de tour. Il y a des grottes, des cascades, des étangs, du couvert, et même quelque chose de champêtre en certains endroits, qui conserve la simplicité de la campagne et qui plaît infiniment.»
Telle est la description du Buen Retiro, donnée par une personne qui l'avait vu quelques années après la mort du comte-duc. Ce ministre y avait employé les artistes les plus renommés de son temps, tels que le Mayno, Eugenio Caxes, Vicencio Carducho et Velasquez. L'architecte Crescenzi, dont nous parlerons plus tard, dirigea la construction des bâtiments. Le système des eaux, le dessin des jardins ainsi que la disposition de la salle de spectacle, furent confiés au florentin Cosimo Lotti, peintre et ingénieur, au service de Philippe III, et sur lequel nous reviendrons104. Le Buen Retiro fut, pendant toute la durée du règne de Philippe IV, la résidence préférée par ce prince. Il s'y retirait souvent, et s'y livrait avec passion à son goût pour les pièces de théâtre, parmi lesquelles las comedias de repente, ou pièces improvisées sur un sujet convenu, faisaient ressortir toutes les ressources de son esprit vif et piquant.
L'arrivée inattendue du prince de Galles, et le motif de sa visite, ne pouvaient qu'exciter encore davantage l'ardeur du jeune roi pour les plaisirs et les divertissements de toutes
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Voy. Palomino, p. 24, nº 38, et p. 41, nº 59.
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Voy. le chapitre XII.