Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers. Dumesnil Antoine Jules
d'un Doge vénitien, et beaucoup d'autres tableaux en dehors de ceux que le roi possède. Il copia le portrait du roi Philippe II, en pied, et avec son armure. Il changea quelque chose au tableau de l'Adoration des rois, de sa main, qui est au palais. Il fit pour don Diego Mexia, son grand ami, un tableau de la Conception, de deux verges, et pour don Jaime de Cardenas, frère du duc de Maqueda, un Saint Jean évangéliste, de grandeur naturelle. Il paraît incroyable qu'il ait pu peindre tant de choses en si peu de temps, et avec de si grandes préoccupations. Il fréquenta peu les peintres; il se lia seulement avec mon gendre, avec lequel il avait échangé des lettres, avant son voyage; il loua beaucoup ses ouvrages et sa modestie, et ils allèrent ensemble voir l'Escurial.»
Le catalogue du Real Museo de Madrid énumère soixante et un ouvrages de Rubens, et cette collection ne possède pas tous les tableaux de ce maître qui sont en Espagne. Il ne faudrait pas croire que Rubens ait pu exécuter ces œuvres si nombreuses, et dont quelques-unes présentent une énorme dimension, pendant son séjour en Espagne. Malgré sa prodigieuse facilité et son travail continuel, et bien qu'il se soit fait aider, si l'on en croit Palomino136 par ses deux élèves Sneyders et Pierre de Vos, qu'il aurait amenés avec lui en Espagne, sa prodigieuse activité n'aurait pu suffire à tant de besogne. Baldinucci, dans la vie de Rubens137 donne l'explication de l'origine d'un grand nombre d'ouvrages du peintre flamand qui se trouvent en Espagne. «Lorsqu'il fut de retour à Anvers, dit-il, il eut à peindre pour le roi Philippe IV beaucoup de tableaux, qui devaient servir à décorer le palais de la Torre della Perada, éloigné de trois lieues de Madrid. À cet effet, le roi fit fabriquer dans cette ville les toiles de la grandeur voulue, et les fit envoyer au peintre à Anvers. C'est chose digne d'admiration de voir comme Rubens, dans ses inventions et compositions de fables, métamorphoses et autres sujets, s'y prit de telle sorte, que l'on pouvait joindre un tableau à un autre, ayant fait disposer dans quelques intervalles ménagés entre eux, des combats et des jeux d'animaux peints par Sneyders, excellent peintre en ce genre.» Suivant Baldinucci, ce serait également à Anvers que Rubens aurait peint les cartons des tapisseries, exécutées ensuite en Flandre, pour l'église des Carmélites de Loëches. Cette version paraît plus probable que celle de Palomino, qui veut que ces cartons aient été exécutés par Rubens lorsqu'il était à Madrid.
On a raconté deux aventures qui seraient arrivées à Rubens pendant son séjour en Espagne; l'une avec le duc de Bragance, l'autre avec un moine peintre, nommé Collantès. On trouvera la première dans l'histoire de Rubens par Michel138, et M. Van Hasselt, après l'avoir répétée, raconte la seconde139. Pacheco, fort bien instruit de ce que fit l'artiste flamand à Madrid et dans les environs, ne parle ni de l'une ni de l'autre anecdote: il est donc vraisemblable qu'elles auront été inventées à plaisir. Nous nous bornerons à remarquer, en ce qui concerne la première, que l'avarice reprochée au duc de Bragance n'est nullement dans le caractère que l'histoire attribue à ce seigneur, qui devint quelques années plus tard roi de Portugal. Quant à la seconde aventure, la rencontre de Rubens avec un moine peintre, du nom de Collantès, elle ne paraît pas plus vraie. Il y avait bien alors un peintre de ce nom, Francisco Collantès, dont nous parlerons plus tard; mais aucun biographe ne dit qu'il ait été moine. Nous croyons donc que l'on doit révoquer en doute l'authenticité de ces deux récits.
Après avoir passé près de neuf mois en Espagne, Rubens réussit enfin à recevoir les instructions secrètes qu'il attendait pour entamer les négociations avec la cour d'Angleterre. Si, pendant tout le temps de son séjour, le roi, le comte-duc et les grands seigneurs espagnols lui avaient témoigné toute l'estime qu'ils faisaient de sa personne et de son talent, il reçut, au moment de son départ, des marques encore plus éclatantes de la bienveillance royale. D'abord, Philippe IV, dans une lettre adressée à l'infante Isabelle, et dont Rubens était porteur, autorisait cette princesse à lui faire payer tout ce qu'il réclamerait pour les dépenses de son voyage140. Ensuite, ce prince lui octroya un office de secrétaire du conseil privé de la cour de Bruxelles, pour toute sa vie, avec la survivance à son fils Albert, ce qui vaut, dit Pacheco141, mille ducats par an. En outre, il est probable, d'après ce que rapporte Baldinucci142, que le maître flamand emporta un grand nombre de commandes du roi et du comte-duc, tant pour des tableaux, que pour des cartons de tapisseries.
CHAPITRE XI
Voyage de Velasquez en Italie. – Ses études à Rome, tableaux qu'il exécute dans cette ville. – Accueil qu'il reçoit du roi à son retour. – Indication de quelques-uns de ses ouvrages.
La liaison qui s'était établie entre Velasquez et Rubens, pendant le séjour de ce dernier en Espagne, dut beaucoup profiter à l'élève de Pacheco. À cette époque, le peintre d'Anvers était dans toute sa gloire: la fécondité de son imagination, la facilité prodigieuse de son pinceau, l'éclat de son coloris, frappèrent, sans nul doute, son jeune émule, non moins que la variété de ses connaissances et la supériorité de son esprit. Comme Rubens avait fait un très-long séjour en Italie, et qu'il admirait avec passion les œuvres des maîtres de ce pays, et surtout celles du Titien, on doit croire qu'il engagea vivement le peintre espagnol à visiter cette contrée, pour y étudier, à la source même de la peinture chez les modernes, toutes les beautés de cet l'art. Depuis longtemps Velasquez, avait formé le projet de faire ce voyage; mais il lui fallait l'agrément du roi qui, après le lui avoir promis plusieurs fois143, ne pouvait se décider à le laisser s'éloigner. Après le départ de Rubens, Velasquez renouvela ses instances, et le roi finit par consentir. Il lui donna même pour son voyage quatre cents ducats d'argent (en plata), lui faisant payer deux années de son traitement. Le comte-duc, lorsque Velasquez vint pour prendre congé, ajouta deux cents autres ducats d'or, une médaille avec le portrait du roi, et un grand nombre de lettres de recommandation144.
Velasquez partit de Madrid, par ordre du roi, avec le marquis de Spinola, qui allait prendre le commandement des troupes espagnoles dans le duché de Milan. Il gagna Barcelone, où il s'embarqua le jour de Saint-Laurent (10 août) 1629, et vint aborder à Venise. Il y fut logé dans le palais de l'ambassadeur d'Espagne, qui l'admit à sa table, et le fit accompagner par ses domestiques, lorsqu'il sortait pour visiter la ville et ses environs, à cause des troubles qui agitaient alors l'Italie. Après un court séjour à Venise, il prit la route de Rome, par Ferrare, où, selon Palomino145, il ne s'arrêta que deux jours pour admirer les œuvres du Garofolo. Pacheco raconte qu'il se présenta dans cette ville, chez le cardinal Sachetti, légat du pape, et autrefois nonce en Espagne, auquel il remit une lettre d'introduction d'Olivarès. Le cardinal accueillit le peintre de Philippe IV avec empressement; il lui fit beaucoup d'instances pour qu'il logeât dans son palais, pendant le temps qu'il étudierait à Ferrare, et pour qu'il mangeât à sa table. Velasquez s'en excusa modestement, en disant qu'il ne mangeait pas aux heures ordinaires; mais que, néanmoins, si Son Éminence désirait être obéie, il changerait ses habitudes. Le cardinal ayant reçu cette réponse, envoya un gentilhomme espagnol, qui était à son service, avec ordre de se mettre à la disposition du peintre, de le faire servir de la même manière que s'il eût mangé à sa table, et de lui montrer les choses les plus curieuses de la ville. Informé que le départ de Velasquez devait avoir lieu le lendemain, le prélat ordonna de commander des chevaux et le fit accompagner pendant seize milles, jusqu'à un pays nommé Cento (la patrie du Guerchin). De là, Velasquez se dirigea, en toute hâte, vers Rome, en passant par Bologne et Lorète, mais sans s'y arrêter, et même sans se donner le temps de remettre aux cardinaux Ludovisi et Spada, qui se trouvaient dans la première de ces villes, les lettres de recommandation qui leur étaient adressées.
Arrivé à Rome, le peintre de Philippe IV fut reçu avec beaucoup de distinction par le cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII, qui lui offrit un logement dans le palais du
136
P. 50, nº 70.
137
138
P. 169.
139
P. 131-133.
140
Voy. le texte de cette lettre en espagnol, dans l'introduction aux lettres inédites de Rubens, par M. Gachet, p. XLIV.
141
P. 100,
142
143
Pacheco, p. 103.
144
145
Vº Velasquez, p. 78, nº 406.