Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers. Dumesnil Antoine Jules
Pharaon. Velasquez refusa de loger au Vatican, pour ne pas être seul; il se contenta d'accepter l'offre qui lui fut faite de donner l'ordre aux gardiens qu'on le laissât entrer sans difficulté, toutes les fois qu'il le voudrait, pour dessiner le Jugement dernier de Michel-Ange, ou les ouvrages de Raphaël; et il vint étudier souvent ces peintures, avec grand profit. Plus tard, charmé par la situation du palais ou Vigne des Médicis, sur la Trinité des Monts, et croyant ce site très-favorable à l'étude pendant le printemps, parce qu'il s'étendait sur la partie la plus élevée et la plus aérée de Rome, et qu'il s'y trouvait un grand nombre de statues antiques, il obtint la permission du grand-duc de Florence, par l'intermédiaire de l'ambassadeur d'Espagne, le comte de Monterey, de s'y établir. Il y passa deux mois, jusqu'à ce qu'une fièvre tierce l'eut obligé à chercher un refuge dans la maison du comte. Pendant cette indisposition, l'ambassadeur, beau-frère d'Olivarès, prit le plus grand soin du peintre favori du roi son maître, et de son premier ministre. Il lui envoya son médecin le visiter, et voulut supporter seul toutes les dépenses occasionnées par sa maladie. En outre, il donna l'ordre de lui procurer tout ce qu'il pourrait demander, vint le voir quelquefois, et envoya savoir souvent de ses nouvelles. Tel est le récit que Pacheco146 fait du premier voyage de son gendre et de son séjour à Rome. À part les études faites par Velasquez dans le Vatican, Pacheco ne mentionne d'autres peintures de son gendre que son propre portrait, donné à Pacheco lui-même, et un portrait sur toile de la reine de Hongrie, fille de Philippe III, que l'artiste fit à Naples, où il alla s'embarquer, et qui était destiné au roi d'Espagne147. Palomino et d'autres biographes disent que Velasquez fit à Rome le tableau de Joseph vendu par ses frères, et celui de Vulcain averti par Apollon de l'infidélité de Vénus148. Palomino ajoute149 que Velasquez emporta ces deux tableaux en Espagne, où il les offrit au roi, à son retour à Madrid, au commencement de 1631, après une absence de dix-huit mois. Le roi les reçut avec une grande satisfaction, et les fit placer au Buen Retiro, d'où le Joseph fut bientôt transporté à l'Escurial dans la salle du chapitre.
C'était d'après le conseil d'Olivarès que Velasquez s'était présenté chez le roi, pour le remercier de ce qu'il avait bien voulu tenir la promesse qu'il lui avait faite en partant, de ne se laisser pourtraire par aucun autre artiste pendant son absence. «Philippe IV, dit Pacheco150, se réjouit beaucoup de son retour, et la distinction ainsi que la générosité avec lesquelles le traita un si grand monarque sont à peine croyables. Il lui donna, dans sa galerie, un atelier dont il garda la clef, venant le voir peindre presque tous les jours. Mais ce qui dépasse tout ce qu'on pourrait imaginer, c'est que le roi, lorsque l'artiste le peignit à cheval, posa, dans une seule séance, trois heures de suite, de son plein gré et avec une véritable bienveillance.»
Parmi les nombreuses récompenses que ce prince lui donna dans l'espace de six mois, Pacheco compte trois offices de secrétaires de la ville de Séville, qui furent octroyés au père de Velasquez, et dont chacun valait mille ducats par an. En moins de deux années, le peintre de Philippe IV reçut un office de garde-robe (guarda-ropa), et celui d'aide de la chambre (ayuda de camara), en 1638; l'honorant de la clef de chambellan, distinction fort enviée de beaucoup de cavaliers de l'habit (de Santiago et de Calatrava). «Pour moi, ajoute Pacheco151, à qui revient une si grande part de son bonheur, j'espère que, grâce au soin et à la ponctualité qu'il apporte chaque jour au service de Sa Majesté, il augmentera et améliorera son art, ainsi qu'il le mérite; et qu'il recevra les prix et les récompenses dus à son heureux génie, dont les qualités supérieures sauront le maintenir, sans aucun doute, à la hauteur où il s'est élevé maintenant.» Ces souhaits du bon Pacheco, qui terminent sa trop courte notice sur son élève et gendre, ont été pleinement réalisés. C'est à partir du retour de son premier voyage d'Italie, que Velasquez a exécuté ses plus beaux ouvrages: d'abord, ses portraits de cour, si brillants, si vrais, si originaux, si espagnols; ensuite, ses tableaux de scènes intérieures du palais, comme ses Meninas152, où les usages, les costumes et les personnages du temps sont rendus avec une perfection incroyable; ses compositions di mezzo carattere, comme son tableau de Las hilanderas153, délicieuse scène d'un naturel exquis, relevée par les plus charmants détails, et par une admirable disposition de la lumière; enfin, ses tableaux d'églises, ses paysages et ses Bodegones, scènes vulgaires dans le genre d'Adrien Brawer ou de Van Ostade, mais traitées, comme celles de Ribera, dans un style tout espagnol. L'ensemble de ces œuvres si diverses, mais toutes également remarquables, prouve que Philippe IV et son ministre ne s'étaient point trompés, lorsqu'à l'apparition du portrait de Gongora, ils avaient deviné le génie d'un grand maître.
CHAPITRE XII
Artistes italiens au service de Philippe IV. – Juan Bautista Crescencio. – Pompeo Leoni. – Le Panthéon de l'Escurial. – Le Buen Retiro. – Cosimo Lotti. – Baccio del Bianco. – Angel Michele Colonna et Agostino Mitelli. – Pietro Tacca et la statue équestre de Philippe IV.
Depuis Charles-Quint et Philippe II, l'Italie était en possession de fournir un grand nombre d'artistes à la cour d'Espagne. Parmi ceux qui furent employés avec honneur sous les règnes de Philippe III et de son fils, Juan Bautista Crescencio, que nous avons déjà indiqué, mérite une mention particulière. Il était d'une noble famille romaine, et frère du cardinal Crescenzi (Pietro Paolo). Il peignait d'une manière remarquable des fleurs et des fruits, et Palomino154 rapporte qu'il y avait de son temps, au palais de Madrid, une toile qui donnait une haute idée de son talent dans ce genre. Mais sa réputation, comme architecte, était beaucoup plus assurée, et c'est à cet art que son nom doit d'être parvenu jusqu'à nous. Le Baglione, dans sa notice sur Crescenzi155, rapporte qu'après avoir été fait, par Paul V, surintendant de la belle chapelle Pauline, à Sainte-Marie-Majeure, et de tous les autres travaux exécutés par ordre de ce pontife, il fut emmené en Espagne, en 1617, par le cardinal Zappada, qui le recommanda au roi Philippe III. Ayant présenté à ce prince quelques tableaux qui lui plurent, il fut admis à concourir, avec d'autres artistes, au plan des tombeaux des rois d'Espagne à l'Escurial. Le modèle de Crescenzi fut exposé avec les autres, dans la galerie de ce palais, et le roi l'ayant jugé le meilleur, le chargea de l'exécuter. Mais, comme il n'y avait sur les lieux ni matériaux de bonne qualité, ni ouvriers assez capables, Crescenzi retourna en Italie avec des lettres du roi adressées à différents princes. À Florence, il engagea Francesco Generino, sculpteur; à Rome, Pietro Gatto, Sicilien, graveur; Francuccio Francucci et Clemente Censore, fondeurs; Giuliano Spagna, Gio. Bat. Barnici, Siennois, et deux Flamands, doreurs. Revenu avec eux en Espagne, il mit la main à l'œuvre de la sépulture royale, qu'on a nommée Panthéon. C'est une chapelle souterraine, à laquelle on descend par soixante degrés: elle est entièrement privée de la lumière du jour. Sa forme est sphérique; en face de l'escalier est l'autel; au-dessus, un crucifix de bronze de Pietro Tacca, dont nous parlerons bientôt; tout autour, de magnifiques ornements encadrent les tombeaux des rois d'Espagne, depuis Charles-Quint. Chaque tombeau est séparé du plus rapproché par des doubles pilastres de brocatelle, au milieu desquels sont placés des anges qui tiennent des torchères, au nombre de trente, comme les tombeaux. L'œuvre est d'ordre corinthien, et les ornements en bronze, du Francucci et du Censore, sont enrichis d'or et d'argent.
Ce fut Pompeo Leoni, fils du graveur en médailles et sculpteur, Leone Leoni, d'Arezzo, dont nous avons raconté ailleurs156 la vie aventureuse, qui fit toutes les statues de ces tombeaux, ainsi qu'un grand nombre d'autres pour l'Escurial. Il avait également travaillé pour des particuliers, et l'on cite de lui la statue du duc de Lerme, faisant partie du tombeau de ce ministre de Philippe III, dans l'église de Saint-Paul, à Valladolid157.
Le
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Il est au
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Ce dernier tableau est au
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P. 105.
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Ou
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P. 76, nº 105.
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Voy. l'
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Baldinucci,