Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers. Dumesnil Antoine Jules
Mengs place ce portrait au nombre des meilleurs de Velasquez: – «Ce qui est surtout extraordinaire, dit-il, c'est la manière facile et franche avec laquelle est peinte la tête, dont la peau brille d'un teint naturel, et tout, jusqu'aux cheveux qui sont très-beaux, est exécuté avec la plus grande légèreté117.»
Plusieurs beaux esprits de la cour composèrent, en l'honneur de ce portrait, des pièces de vers dans lesquelles, tout en louant l'artiste, ils flattaient encore plus le monarque. Pacheco rapporte ceux de don Geronimo Gonzalès de Villanueva, poëte distingué de Séville, qui fit, dans cent vingt-deux vers ampoulés, l'éloge emphatique du roi, qu'il appelle:
«Copia felix de Numa o de Trajano.»
«Heureuse ressemblance de Numa ou de Trajan118.» Pacheco, alors à Madrid, et au comble de la joie, voulut aussi féliciter son élève et gendre de son éclatant succès, et lui chanter le sic itur ad astra. Il le fit dans le sonnet suivant, où éclatent à la fois l'attachement du père, la satisfaction du maître, l'admiration de l'artiste et l'enthousiasme d'un fidèle Espagnol:
«Vuela, o joven valiente, en la Ventura
De tu raro principio, la privança
Onre la possesion, no la esperança
D'el lugar que alcançaste en la pintura.
Animete l'Augusta alta figura
D'el monarca mayor qu'el orbe alcança,
En cuyo aspecto teme la mudança
Aquel que tanta luz mirar procura.
Al calor d'este sol tiempla tu buelo,
I veras cuanto estiende tu memoria
La Fama, por tu ingenio i tus pinzeles.
Qu'el planeta benigno a tanto cielo,
Tu nombre illustrara con nueva gloria
Pues es mas que Alexandre, i tu su Apeles119»
«Vole, ô vaillant jeune homme, soutenu par le succès de ton rare début: la faveur et non l'espérance honore maintenant la place que tu as su conquérir dans l'art de la peinture. Anime la noble figure de l'auguste monarque, le plus grand de ceux qui gouvernent le monde; crains de rien changer à la ressemblance du prince qui t'accorde la grâce de contempler un si grand astre. Élève ton vol à la chaleur de ce soleil, et tu verras comme la Renommée étendra ta mémoire, à l'aide de ton génie et de tes pinceaux. Cet astre, si bienfaisant dans le ciel, illustrera ton nom d'une gloire nouvelle, puisqu'il est plus grand qu'Alexandre, et que tu es son Apelles.»
Le roi fut encore plus satisfait de ce portrait que du premier. Il en témoigna sa satisfaction à Velasquez en lui donnant, d'abord une gratification de trois cents ducats, une pension annuelle de pareille somme et un logement évalué deux cents ducats par an. Mais, comme la pension était assignée sur un bénéfice ecclésiastique, et qu'il fallait, pour pouvoir la toucher, obtenir une dispense du pape, l'artiste ne put commencer à en jouir qu'en 1626.
Il est probable qu'après avoir exécuté le portrait équestre du roi, Velasquez ne manqua pas de faire celui du premier ministre, son protecteur. Le musée de Madrid en possède un120 d'une grande beauté, qui peut rivaliser avec celui de Philippe IV: on dirait même qu'il a été composé pour lui servir de pendant. Le comte-duc est également monté sur un magnifique cheval lancé au galop; il tient dans sa main droite le bâton de commandement, il est revêtu d'une armure sur laquelle se détache une écharpe cramoisie, et sa tête est couverte d'un large sombrero à bords rabattus.
Bientôt, le roi voulut mettre Velasquez à une épreuve plus sérieuse. Pour conserver le souvenir de l'expulsion des Maures, ordonnée par son père, événement qui, pour le dire en passant, dépeupla plusieurs provinces, et enleva plus de deux cent mille habitants à l'Espagne, Philippe IV décida qu'un concours serait ouvert entre les peintres de la cour. Pacheco ne nomme pas ces peintres: il dit seulement que Velasquez peignit: «une grande toile avec le portrait du roi Philippe III, et l'expulsion inespérée des Maures, en concurrence avec trois peintres du roi121.» Il est probable que ces artistes étaient Eugenio Caxes, Vicencio Carducho et Angelo Nardi, dont nous avons parlé précédemment. Les juges de ce concours furent le frère Juan Mayno, que nous avons également fait connaître, et le marquis Jean-Baptiste Crescenzi, chevalier de Santiago, et alors architecte de l'Escurial, tous les deux, dit Pacheco, grands connaisseurs en peinture. Ces juges décidèrent en faveur de Velasquez. Malheureusement, son tableau n'est pas parvenu jusqu'à nous; soit qu'il ait été perdu, soit qu'il ait été détruit dans un incendie, ou pendant les guerres qui ont désolé l'Espagne: Palomino, qui l'avait vu, en a donné une description détaillée122.
C'est à la suite de ce concours, que Velasquez fut investi de la charge, très-recherchée alors, d'huissier de la chambre, avec le traitement y attaché. En outre, le roi lui donna une pension de douze réaux par jour pour sa nourriture, et beaucoup d'autres gratifications123.
CHAPITRE X
Rubens envoyé à Madrid pour négocier la paix. – Emploi de son temps pendant son séjour. – Portraits de Philippe IV, d'Olivarès, et autres peintures.
Après la rupture du mariage projeté entre le prince de Galles et l'infante Marie, la guerre avait éclaté avec violence, non-seulement en Europe, mais dans les autres parties du monde. L'Angleterre, la France, la Hollande, la Savoie, unies contre l'Espagne et l'Empire, avaient fait subir à la monarchie espagnole plus d'un revers, compensés néanmoins par quelques succès. Les trésors des combattants étaient à sec, les populations épuisées lorsqu'elles commencèrent à songer à la paix. La France, la première, s'était détachée du traité d'Avignon, et avait conclu séparément une trêve avec l'Espagne124. L'Angleterre, livrée au gouvernement de Buckingham, bien que souhaitant la paix, se laissait traîner à la remorque de Maurice de Nassau, qui avait abaissé l'orgueil espagnol dans les Pays-Bas et en Flandre. Néanmoins, dès 1625, elle penchait vers un accommodement honorable. C'est à cette époque que le peintre Rubens avait fait, à Paris, la connaissance du favori de Charles Ier. Employé depuis longtemps dans des négociations secrètes par l'archiduc Albert, gouverneur des Pays-Bas pour le roi d'Espagne, Rubens, à ce qu'on croit, avait reçu à Paris les confidences du duc de Buckingham, et les avait transmises à l'archiduchesse Isabelle, restée, après la mort de son mari, gouvernante des Pays-Bas. Ces ouvertures communiquées au roi d'Espagne par l'infante, avaient déterminé ce prince, ou plutôt le comte-duc, à autoriser Rubens à continuer, avec les agents du duc, les relations commencées à Paris. Rubens fut donc chargé par l'archiduchesse, de se mettre en rapport avec Balthasar Gerbier, qui représentait en Hollande la cour d'Angleterre, et de savoir quelles pouvaient être les intentions de cette cour, en laissant entrevoir les conditions que l'Espagne mettrait à un accommodement. Mais, comme ces négociations traînaient en longueur, Isabelle, de l'avis de son ministre, le marquis de Spinola, proposa au roi d'envoyer Rubens en Espagne, afin qu'il lui fût plus facile de donner toutes les explications désirables. Philippe IV et Olivarès s'empressèrent d'adhérer à cette proposition: s'ils ne connaissaient pas l'homme, ils avaient pu juger déjà de sa supériorité comme artiste; et en véritables amateurs, ils désiraient le voir à l'œuvre à Madrid même. Ils autorisèrent donc l'archiduchesse à l'envoyer en Espagne, afin de mieux connaître le véritable état des choses, et de lui donner ensuite les instructions secrètes dont il devait se servir à la cour d'Angleterre pour ramener, s'il était possible, le bienfait de la paix en Europe125.
Rubens était à la hauteur d'une pareille mission: connaissant à fond la docte antiquité, ainsi que nous l'expliquerons, il écrivait et parlait également bien presque toutes les langues de l'Europe, et son génie
117
Lettre de Raphaël Mengs à D. Antonio Ponz, dans le
118
P. 106-109,
119
P. 110,
120
121
P. 103.
122
T. III, p. 486.
123
Pacheco,
124
125
Voy. sur les négociations de Rubens, l'introduction mise par M. Émile Gachet en tête des lettres inédites de cet artiste qu'il a publiées. Bruxelles, 1840, in-8º, p. XXXV et suivantes.