Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers. Dumesnil Antoine Jules

Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers - Dumesnil Antoine Jules


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est réfutée avec indignation par le biographe de don Diego de Mendoza, et il a d'autant plus de raison, que les travaux de Zanetti, et la publication qu'il a faite des bibliothèques grecque et latine, ont démontré l'existence de ces manuscrits à la bibliothèque de Saint-Marc16.

      Le palais de l'ambassadeur de Charles-Quint à Venise était le rendez-vous de la société lettrée de cette ville. Les étrangers de passage, cardinaux, évêques, nobles, savants, tant Espagnols qu'Allemands, Italiens et Flamands, s'empressaient de venir le visiter. On aimait à s'instruire dans sa conversation et à écouter ses explications sur la philosophie des anciens, qu'il connaissait à fond, et qu'il étudiait tous les jours. En considération de son savoir et de sa bienveillance, Paul Manuce lui dédia les œuvres philosophiques de Cicéron, corrigées avec le plus grand soin; «encore bien, dit-il, dans son épître dédicatoire, que, par ses lectures continuelles et sa sagacité, don Diego les possède encore plus correctes.» On voit par cette dédicace, qu'il s'appliquait principalement à la philosophie; qu'il prit chez lui une de ses sœurs, fort instruite dans la langue latine et également distinguée, et que l'opinion de don Diego, dans la méthode de l'enseignement de la jeunesse, était que l'on gâte les longues années destinées à l'étude de la langue latine, en apprenant aux jeunes gens les sciences dans leur langue maternelle; opinion que lui avait inspirée le cardinal Alcolti, qui demeurait dans sa maison.

      La bonté de son caractère, sa générosité, son amour pour les lettres, le portèrent à venir en aide à un grand nombre de Grecs, qui s'étaient réfugiés à Venise, fuyant la dure servitude des Turcs. À cette occasion, Lazaro Bonamico lui adressa une épître en vers latins17, dans laquelle, décrivant sa manière de vivre et les études auxquelles il se livrait, il l'engage à s'abandonner à son génie, c'est-à-dire à l'étude et à la contemplation de la nature; il vante son application à la philosophie, sa vigilance à défendre les droits de l'empereur, ses efforts pour résister au Turc, l'ennemi commun; il loue son éloquence, rappelle l'estime que le sénat vénitien faisait de sa personne et le secours de blé qui, par son intervention, évita une horrible famine à la sérénissime république; il loue la libéralité avec laquelle il envoyait dans la Grèce, à ses frais, des savants chargés d'en rapporter des monuments anciens; il termine en montrant le crédit dont il jouissait auprès de Charles-Quint, et dont il savait faire l'emploi le plus utile, soit pour obtenir la grâce des uns, soit pour favoriser l'avancement des autres18.

      Vivant ainsi à Venise dans l'étude, avec les savants et les lettrés, tout en dirigeant des négociations qui le mettaient en rapport avec les personnages les plus influents de cette république, don Diego ne pouvait manquer de prendre bientôt goût aux beautés de l'art, et de rechercher l'amitié des principaux maîtres de la brillante école de la couleur. L'art, l'amour et la politique étaient alors les seules occupations dignes d'un habitant de Venise, fût-il même étranger. Mais l'aristocratie du livre d'or, par ses priviléges et par ses richesses, était seule en position de mener de front ces trois grands mobiles de la vie vénitienne. Elle dominait dans le sénat, au Conseil des Dix, dans les élections; commandait les flottes et les armées, gouvernait Chypre et les États de terre ferme; ce qui ne l'empêchait pas de céder aux attraits de ces beautés faciles célébrées par Le Bembo, l'Arioste et tant d'autres poëtes. Cette noblesse patriotique et intelligente, avait compris l'importance de l'art. Depuis plusieurs siècles, il s'était établi entre les principales familles comme une rivalité publique, pour construire les plus beaux édifices, églises, palais et autres monuments, et pour les faire décorer des fresques et des mosaïques les plus belles et les plus curieuses. Ce grand mouvement artistique redoubla vers le milieu du seizième siècle, alors que l'école vénitienne dans tout son éclat, vit briller à la fois Gio-Bellino, Giorgione, Tiziano et beaucoup d'autres peintres éminents. Mais au milieu de cette pléïade, il manquait un architecte et un statuaire: Venise les trouva dans le toscan Sansovino, qui chassé de Rome, à la suite du sac de cette ville par les bandes du connétable de Bourbon en 1527, vint se fixer au milieu de ses lagunes, et décora sa patrie d'adoption des chefs-d'œuvre de la sculpture et de l'architecture.

      Comment don Diego de Mendoza aurait-il pu rester insensible aux merveilleuses peintures exposées alors, non-seulement dans l'intérieur des palais et des églises, mais sur les murs extérieurs des monuments et des maisons particulières? Le Giorgione et le Titien ne venaient-ils pas de lutter de génie dans ces fresques fameuses, peintes sur les différentes façades du fondaco de' Tedeschi, qui sont aujourd'hui détruites, mais dont Zanetti nous a conservé une idée par ses gravures19? Le palais ducal, la basilique de Saint-Marc, n'étaient-ils pas ornés à la fois des œuvres les plus remarquables de la peinture, de la sculpture, de la ciselure et de la mosaïque? L'ambassadeur de Charles-Quint, admirablement préparé par ses études pour comprendre et aimer les belles choses, ne pouvait donc pas échapper à l'influence de l'art vénitien.

      L'Arétin fut sans doute l'instigateur des relations que le comte établit avec le Titien et le Sansovino, ses amis intimes. L'écrivain avait besoin de l'appui de l'ambassadeur du César pour obtenir et conserver les bonnes grâces, c'est-à-dire les pensions et les gratifications du puissant empereur, en échange de ses flatteries outrées et de ses impudentes bassesses. Il s'attacha donc à gagner la faveur de don Diego, non-seulement en le louant, comme toutes les puissances, mais surtout en lui inspirant le désir de posséder des œuvres du Titien, dont il était a peu près certain de pouvoir disposer. L'artiste, de son côté, avait intérêt à ménager le représentant du souverain dont il cherchait à devenir le peintre. Quant à don Diego, il était déjà sous le charme du génie véritablement irrésistible du chef de l'école vénitienne. Avec ces dispositions réciproques, une étroite intimité s'établit entre l'homme d'État, l'écrivain et les deux artistes. Cette intimité ne fut point inutile à Titien pour le soutenir à la cour de Charles-Quint et l'accréditer parmi les grands seigneurs espagnols. Mais elle fut surtout favorable au Sansovino, et l'aida efficacement à se tirer d'une situation difficile, ainsi qu'on va le voir.

      Depuis longtemps, l'ancien bâtiment de la Monnaie (Zecca), sur la place Saint-Marc, menaçait ruine, et on avait reconnu qu'il n'était pas possible de le réparer. Il fut résolu, en l'année 1535, d'en construire un autre à la même place, et trois architectes furent chargés d'en préparer les plans. Le conseil des Dix choisit celui de Sansovino, qui fut ensuite exécuté. Ce magnifique édifice est tout entier en pierres d'Istria. Les salles attenant à la fonderie du rez-de-chaussée ont des voûtes qui s'élèvent jusqu'au-dessous de la toiture. Mais il n'est pas exact, ainsi que l'a écrit Francesco Sansovino20, fils de l'architecte, de dire qu'il n'est pas entré de bois dans la construction de ce bâtiment, puisque le feu y prit et que, par bonheur, cet événement arriva pendant le jour. La façade sur la Pescheria est très-noble. La grande cour du milieu est entourée de vingt-cinq ateliers dans lesquels étaient distribuées autrefois les différentes industries nécessaires à la fabrication de la monnaie. Il n'y a que deux entrées, l'une sur l'eau, du côté du canal qui règne derrière les Procuraties neuves; l'autre sur la place Saint-Marc, qui débouche sur un petit espace correspondant à une arcade du portique de la Bibliothèque de Saint-Marc.

      Cette bibliothèque est elle-même une œuvre remarquable du Sansovino. Le motif qui la fit construire fut de placer convenablement les précieux manuscrits et les livres qui avaient été légués à la république, en partie par Francesco Petrarca, en partie par le cardinal Bessarion. Cet édifice ne se compose que de deux ordres, un dorique très-orné, et un gracieux ionique dont l'entablement présente une frise d'une remarquable exécution. Au-dessus de la corniche qui fait gouttière au toit, règne une balustrade, sur les piédestaux de laquelle sont disposées des statues fort belles, ouvrages des plus célèbres élèves du Sansovino. À l'entrée est un portique élevé de trois marches au-dessus du niveau de la place, qui comprend vingt et une arcades, avec autant d'autres correspondant à l'intérieur. Celle du milieu donne accès à un magnifique escalier divisé en deux branches, qui conduit à une grande salle consacrée à un très-précieux musée de statues antiques données, pour la plus


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<p>16</p>

Voy. l'Histoire des plus célèbres amateurs français, Mariette, p. 57.

<p>17</p>

Imprimée dans ses Poésies, publiées à Venise en 1552, in-8, et en 1572, in-4.

<p>18</p>

Vida de don Diego Hurtado de Mendoza, par don Gregorio Mayans, en tête de l'édition qu'il a donnée à Valence en 1776, in-4, de la Guerra de Granada; réimprimée dans la même ville par don Benito Montfort, 1830, in-12, de la p. 1re à 16, passim.

<p>19</p>

Voy. l'Histoire des plus célèbres amateurs français. Mariette, p. 57 et suiv.

<p>20</p>

Dans son ouvrage intitulé: Venezia città nobilissima e singolare descritta in XIIII libri, in Venezia appresso Giacomo Sansovino. 1581.