Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers. Dumesnil Antoine Jules

Histoire des Plus Célèbres Amateurs Étrangers - Dumesnil Antoine Jules


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sans contrôle la vaste monarchie espagnole.

      Nous n'avons point à considérer ici le comte-duc d'Olivarès du côté de la politique; fidèle au plan que nous nous sommes imposé, nous nous attacherons exclusivement à retracer les services qu'il rendit aux arts, la protection qu'il accorda aux artistes, et particulièrement celle dont il couvrit le plus grand peintre espagnol, don Diego Velasquez.

      La vie du favori de Philippe IV a été racontée de diverses manières par plusieurs de ses contemporains, selon que l'intérêt personnel ou la haine de l'écrivain le portait à dire du bien ou du mal du ministre et de son gouvernement. Voiture42, envoyé de Gaston d'Orléans à Madrid, où il fut accueilli avec le plus grand empressement par le comte-duc, ennemi naturel du cardinal de Richelieu, a tracé d'Olivarès un portrait que Plutarque ne désavouerait pas pour un de ses hommes illustres de l'antiquité. Mais l'habitué de l'hôtel de Rambouillet exagère, de parti pris, les qualités du ministre, et amoindrit ses défauts. Représentant à la cour d'Espagne l'adversaire du grand cardinal, et venant demander à Olivarès l'appui des subsides et des armes espagnoles pour un prince, chef de mécontents incapables de lutter contre Richelieu, il dut flatter le favori de Philippe IV, tandis que la politique de celui-ci consistait à encourager les troubles en France, et à caresser ceux qui en étaient les fauteurs ou les soutiens. Voiture, de tout temps fort sensible à la louange, en sa qualité de poëte, paraît donc, dans cette circonstance, avoir été la dupe des avances et des cajoleries du ministre de Philippe IV. Néanmoins, sous la réserve de la vérité, qui ne se trouve point dans le portrait d'Olivarès, ce morceau est, peut-être, ce que le précurseur des grands écrivains du siècle de Louis XIV a laissé en prose de plus remarquable. Si la flatterie tient une trop grande place dans cet éloge, elle ne doit pas néanmoins rendre injuste envers la mémoire d'Olivarès. Nous n'admettrons donc pas complètement avec Voiture que: «Pour ce qui est de son esprit, il ne peut être mis en doute de personne; pour en faire imaginer la grandeur, il suffit de dire qu'il s'étend aux deux bouts du monde; qu'il gouverne en Orient et en Occident, et conduit seul en même temps les plus importantes affaires de l'Europe. Pour ce que j'en ai pu connaître, il est merveilleusement prompt, actif, pénétrant, subtil, charmant et agréable, plein de feu et de lumières.» Mais nous conviendrons avec lui: «Qu'il entra dans les affaires en un temps où il semblait que le génie de l'Espagne commençait à se lasser, et que cette monarchie, qui avait été mise au dernier point de sa grandeur par Charles-Quint, et subsisté à peine sous Philippe second, semblait vouloir décliner sous les autres rois.»

      Un autre écrivain, le comte de la Rocca, a publié43 sous ce titre: «Le ministre parfait, ou le comte-duc, dans les sept premières années de sa faveur,» une histoire d'Olivarès, qui est un véritable panégyrique. Il le propose aux rois et aux ministres comme un modèle accompli, à imiter en toutes choses, et l'exagération de la louange doit faire douter de l'exactitude de bon nombre de faits, que l'auteur a probablement présentés à sa manière.

      Le comte Virgilio Malvezzi, de Bologne, ne se montre pas moins flatteur. Parvenu, par la protection d'Olivarès, à faire partie du conseil suprême de guerre du roi catholique, on ne doit pas trop s'étonner de lui voir entonner les louanges de ce prince et de son ministre. Mais, ce qui est fort curieux, c'est l'emphase avec laquelle cet écrivain raconte les choses les plus simples, et les réflexions, plus que naïves, mais visant à l'effet, dont il accompagne les faits les plus ordinaires44.

      Si la vérité historique ne se trouve guère dans ces trois ouvrages, elle ne paraît pas mieux respectée dans le roman de Gil Blas, où Le Sage nous représente, au physique, le comte-duc sous un aspect repoussant45; tandis qu'il en fait, au moral, un portrait tout opposé à celui de Voiture46. Mais Le Sage n'avait pas la prétention de mettre l'histoire dans son admirable roman de mœurs qui peint si bien le cœur humain. Il faut donc prendre pour un tableau de fantaisie et d'humour, ce qu'il dit des relations du ministre avec Santillane.

      Ce qui a tout l'intérêt d'un roman, c'est le récit passionné de la chute du comte-duc par le père Camillo-Guidi, religieux dominicain, résident à la cour d'Espagne pour le duc de Modène. Ce bon père, nous ne savons pour quel motif, se montre l'ennemi acharné du favori de Philippe IV, soit qu'en cela il ait obéi aux instructions ou aux tendances de son prince, soit qu'il n'ait fait que suivre ses propres rancunes:

      …Tantæ ne animis cœlestibus iræ!

      Toujours est-il qu'il n'a pour le ministre tombé que haine et mépris. Ce moine dit quelque part47: «Uno che sia ingiustamente perseguitato, e che si possa giustamente vendicare, ha tutta l'energia nelle parole e una certa divinita nelle ragioni,» – «Celui qui est injustement persécuté, et qui peut justement se venger, a toute l'énergie dans les paroles – et une certaine ardeur divine dans ses raisons.» – Il fallait que le favori de Philippe IV eût bien vivement offensé le prêtre, pour qu'il savourât ainsi le plaisir de la vengeance. Quoi qu'il en soit, son libelle, rapproché des louanges excessives du comte de la Rocca et du marquis Malvezzi, nous servira, comme un acide, dans une expérience chimique, à analyser et à rechercher la vérité.

      Don Gaspar de Gusman, troisième comte d'Olivarès, était le second fils de don Henri de Gusman, ambassadeur à Rome pour Philippe III, et de dame Maria Pimentelli, femme, dit-on, d'un grand mérite. Il naquit à Rome en 1587, et pendant l'espace de douze années il suivit son père, toujours chargé de négociations importantes, et qui devint successivement vice-roi de Sicile, puis de Naples. Rentré en Espagne avec son père, il fut, en sa qualité de puîné, destiné à l'Église, et commença ses études par le droit canonique, alors la base de toute éducation solide. Sa naissance et le crédit de son père lui firent bientôt obtenir le grade de recteur de l'université de Salamanque, la plus célèbre alors de l'Espagne. Il aurait sans doute poursuivi paisiblement la carrière ecclésiastique, et serait probablement parvenu aux plus hautes dignités de l'église, si la mort de son frère aîné n'était pas venue changer sa destinée. Le marquis Malvezzi remarque avec justesse48, qu'il vaut mieux vivre pendant quelque temps au second rang, et arriver ensuite au premier, que de naître dans cette condition. L'histoire d'Olivarès prouve la vérité de cette réflexion. Il devait à la place que lui assignait sa naissance l'instruction sérieuse qu'il avait acquise: la mort de son frère aîné, don Girolamo, et bientôt après celle de son père, en lui donnant l'espoir de prendre part un jour aux plus hautes affaires de l'État, le mirent à même d'ajouter à l'influence de sa famille et de sa fortune les avantages d'une éducation aussi brillante que sérieuse. Au dire même de ses ennemis les plus impitoyables, le comte-duc parlait et écrivait la noble langue castillane avec la plus rare perfection: il était versé dans les idiomes anciens, et savait également bien le français et l'italien. Il se présenta donc à la cour, non comme un grand seigneur ordinaire, mais avec tous les avantages que donnent des connaissances nombreuses et variées à un esprit vif et pénétrant.

      Son mérite le fit bientôt distinguer; et, soit qu'on voulût utiliser les dons de son intelligence, soit que ses envieux désirassent l'éloigner pour avoir le champ libre, on lui offrit l'ambassade de Rome. C'était alors, comme aujourd'hui, un poste important, mais difficile, et que la rivalité de la France et de l'Espagne rendait encore plus délicat. Aussi, n'y envoyait-on que les hommes les plus capables et les plus prudents; et lorsqu'ils avaient acquis l'expérience des négociations avec la cour de Rome, il était rare qu'on ne les y laissât pas longtemps. Le jeune Gusman le savait bien: rempli d'ambition, ayant la conscience de sa valeur, et visant déjà, peut-être, à vivre dans la familiarité de l'héritier présomptif de la couronne, il refusa les hautes fonctions qui lui étaient offertes, bien qu'on lui eût promis qu'elles le mèneraient à la Grandesse. Mais il considérait cette ambassade, dit le marquis Malvezzi, comme un temps d'arrêt dans sa carrière49.

      Son avenir prouva qu'il avait raison: la fortune se chargea de lui offrir


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<p>42</p>

Œuvres de Voiture, édit. de M. Ubicini, 2 vol. in-12, chez Charpentier. 1855, t. II, p. 271 et suivantes.

<p>43</p>

À Cologne, chez Pierre Van Egmondt, à la Sphère, 1673; petit in-16. – Bibliothèque impériale, nº 1963.

<p>44</p>

Par exemple, après avoir dit du comte-duc: «Andò alla corte e vi andò addottrinato, non vi andò ignorante, il ajoute: La corte non è una scuola di grammatica; ella non da i primi alimenti e non insegna e primi elementi; il di lui cibo non è latte; di rado produce, raffina, etc. Telle est la manière du marquis, pleine de recherche, et au fond très-vide. – Le passage ci-dessus est extrait, p. 14, de son ouvrage intitulé: Il ritratto del privato politico cristiano, estratto dall'originale d'alcune attioni del co-duca di san Lucar; dédié à Philippe IV, Bologne, 1635, presso Giacomo Monti, etc., in-8º de 135 pag., plus l'Introduction. – Le marquis Malvezzi a composé un autre livre à la louange de Philippe IV et de son ministre, sous ce titre: Introduttione al raconta de' principali successi accaduti sotto il commando del potentissimo Re Philippo quarto. —Roma, 1651, in-8º de 107 pages, plus le bref d'Innocent X, la dédicace au roi d'Espagne et l'avertissement. Les deux ouvrages sont à la Bibliothèque impériale, contenus dans le même volume, avec la Caduta del conte Olivarès, l'anno 1643, du père Camillo Guidi, in Ivrea, 1644, – 0,388. – L'Histoire d'Olivarès a encore été écrite en italien par D. J. – J. d'Ischia, Udine, 1653, in-24, et par le comte Ferrante Pallavicini, opere scelte.

<p>45</p>

Gil Blas, t. III, liv. XI, chap. II, p. 238-9; édit. in-8º des Classiques latins, de Lefebvre.

<p>46</p>

Ibid., chap. V, p. 249-250.

<p>47</p>

La caduta del conte d'Olivarès, p. 33-4. Bibliothèque impériale, 0,388, à la fin du volume.

<p>48</p>

Il ritratto del privato politico, etc., ut suprà, p. 41.

<p>49</p>

Conoscendo che questa ambasciaria era un fermarsi, non la volle accettare.Ut suprà, p. 15.