Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin

Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin


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des dames; qu'il le prioit de mettre tout en usage pour lui gagner celui de la comtesse de L… remettant à sa prudence la manière dont il devoit s'y prendre pour expliquer ses sentiments à cette fière personne; que, de peur de l'effaroucher, il lui fît entendre que toute la grâce que le Roi demandoit d'elle, étoit de souffrir qu'il lui parlât de sa passion; qu'il aimeroit mieux mourir mille fois plutôt que d'avoir la moindre pensée de la déshonorer, et qu'il ne se serviroit jamais de son autorité pour lui faire aucune violence; qu'il bornoit tous ses désirs et toutes ses prétentions à la voir, à l'aimer, et à lui parler quelquefois de son amour.

      Le duc reçut cette ambassade avec autant de plaisir que si elle se fût adressée au plus grand prince de l'Europe. Il part comme un autre Mercure, pour exécuter les ordres de son Jupiter; et certainement le Roi ne pouvoit pas jeter les yeux sur une personne plus propre à s'acquitter de ce difficile emploi, que l'étoit le duc de La Feuillade. Il avoit de l'esprit, de la politesse, un grand usage du monde, une éloquence qui lui étoit naturelle, et une bonne mine qui persuadoit déjà avant qu'il ouvrît la bouche. Mais ce qui le rendoit plus propre à la commission que le Roi lui avoit donnée, c'est qu'il avoit une grande expérience dans le commerce des femmes; il en connoissoit le fort et le faible; il avoit eu avec elles de bonnes fortunes et plusieurs galanteries; il avoit en un mot toutes les qualités propres pour plaire au beau sexe. Il étoit civil et entreprenant, insinuant et hardi, libéral, soumis, complaisant, mais aussi vigilant, pressant, actif, et ne perdant jamais une occasion favorable aux amants, qui est ce qu'on appelle l'heure du berger.

      Cet ambassadeur, ayant reçu les instructions de son maître, prit congé de Sa Majesté, et ne songea qu'à exécuter les ordres qu'il venoit de recevoir. Comme il savoit, par une longue expérience, que le vrai moyen de persuader étoit de prendre son temps, et que cela est surtout nécessaire à l'égard des femmes, il tâcha de se servir heureusement de cette circonstance. Il sut bientôt que la comtesse devoit être d'une partie de plaisir dans une maison de campagne; et comme il étoit bien reçu partout, et par son rang et par les qualités de son esprit, il ne lui fut pas difficile d'être du nombre de ceux qui devoient composer cette belle compagnie. Il y devoit avoir un grand nombre de messieurs et de dames de la première qualité; mais comme la présence du comte de L… auroit pu être un obstacle au dessein du duc, il fit connoître à Sa Majesté, qu'il seroit nécessaire qu'il l'éloignât le jour de cette fête, de peur que sa présence ne rompît toutes ses mesures. Le Roi, qui n'avoit en tête que l'intérêt de son amour, trouva bientôt le moyen de lever ce petit obstacle. Il résolut d'aller à la chasse le même jour que la comtesse devoit aller à cette partie de plaisir, et il fit dire au comte qu'il falloit qu'il l'y accompagnât. Quoiqu'il eût compté qu'il seroit de la partie de sa femme, il ne se fit pas pourtant une grande violence de suivre le Roi: c'est toujours un grand honneur à un courtisan, que son maître le choisisse pour être le compagnon de ses plaisirs; mais ce pauvre comte ne savoit pas que le même jour qu'il assisteroit à la chasse du Roi, à la poursuite de quelque cerf, ce grand Monarque avoit donné ordre à son grand veneur en fait d'amour, de faire tous ses efforts pour faire tomber sa femme dans ses toiles. Enfin il ignoroit, ce bon seigneur, qu'on travailloit à arborer sur sa tête les armes de ces animaux connus, dont la chasse devoit faire le plaisir du Roi.

      Le jour venu pour cette double chasse, le comte de L… ne manqua pas de se rendre en diligence auprès du Roi; et le duc de La Feuillade n'eut garde de manquer à se trouver au lieu de l'assignation10, où se devoit trouver cette belle compagnie. Je ne décrirai ni la magnificence de cette fête, ni ce qui se passa dans la chasse du Roi; je ne puis pourtant passer sous silence une particularité qui me semble remarquable, et qui étoit d'un mauvais préjugé pour ce prince, dans le dessein de cette journée. C'est qu'ayant tiré deux fois sur un sanglier, il le manqua, et ne lui fit aucun mal; et le comte de L… ayant tiré après lui, le blessa du premier coup. Quoique le Roi ne soit pas superstitieux, cela n'empêcha pas qu'il n'eût du chagrin de cette aventure; cela ne lui étoit jamais arrivé, car il est fort adroit à toutes sortes d'exercices, et particulièrement à la chasse; mais ce qui augmentoit son chagrin, c'est que le comte de L… venoit de frapper du premier coup la bête, qu'il avoit manquée jusques à deux fois; mais que cela lui fût arrivé précisément le même jour, et peut-être à la même heure que le duc de La Feuillade parloit de sa passion à la comtesse, c'est ce qui achevoit de le désoler. «Cela m'avertit assez, disoit-il en soi-même, que le duc ne sera point écouté, que toutes ses paroles seront regardées comme du vent, et que tous les coups qu'il portera pour moi à la comtesse, ne feront que blanchir11; au lieu que le comte, qui a blessé la bête que j'ai failli toucher, ne manquera pas ce soir de trouver sa femme, qui le recevra d'abord avec les mêmes empressements et les mêmes marques de tendresse qu'elle lui a données depuis leur mariage.» C'est ainsi que le Roi s'entretenoit, et il lui tardoit que le jour fût fini, pour apprendre bientôt son bien ou son mal.

      Cependant le duc de La Feuillade prit le temps qu'il jugea le plus propre pour entretenir la comtesse d'une affaire si chatouilleuse. Il attendit qu'on eût dîné, qu'on eût pris le plaisir du jeu et de la musique, et qu'on exécutât le dessein de prendre vers le soir le plaisir de la promenade. C'étoit en effet le temps le plus propre à son dessein; car, au lieu que, pendant la chaleur du jour, ils avoient été tous ensemble occupés au jeu, lorsque le soleil commença de baisser, on alla se promener dans un bois à haute futaie, où il y avoit plusieurs grandes allées, diverses fontaines, plusieurs jets d'eau, des grottes, des cabinets12, des berceaux, des labyrinthes, et enfin tout ce qui peut embellir un lieu champêtre.

      Quand on fut entré dans le bois, les uns prirent une route, les autres une autre, selon que le désir, le caprice, le hasard ou quelque dessein prémédité les conduisoit. Le duc, qui avoit toujours le sien en tête, conduisit si bien la chose, qu'il se trouva seul avec la comtesse; et quand il se vit assez éloigné pour n'être entendu de personne, il commença de louer les charmes de sa beauté et de son esprit et d'exalter le bonheur du comte, qui possédoit une femme si accomplie.

      Comme elle ne s'attendoit point à ce que le duc avoit à lui dire, elle lui répondit sans façon comme font la plupart des femmes, quand on leur fait de semblables compliments, qu'elle n'avoit point tous ces avantages dont il la vouloit flatter; et que, quand cela seroit, on ne voyoit guère de maris compter pour un grand bonheur celui d'avoir rencontré une belle femme. Le duc qui, comme j'ai dit, savoit profiter de tout, voyant qu'elle le mettoit, quoiqu'innocemment, en si beau chemin, ne manqua pas de relever ce que la comtesse venoit de dire. – «Vous avez raison, Madame, lui dit-il, de trouver que les maris ne rendent pas là-dessus toute la justice qu'ils doivent au mérite de leurs épouses; il semble que le mariage leur ait fait perdre toute leur beauté et tous leurs agréments, ou qu'ils aient perdu eux-mêmes ce goût exquis que les autres ont, et qu'ils soient devenus tout-à-fait insensibles. – Ce n'est point cela, répondit la comtesse, qui vouloit réparer ce qu'elle avoit dit, et qui savoit avec quel homme elle avoit à faire; mais c'est que les maris, qui sont des autres nous-mêmes, nous disent sincèrement ce qu'ils pensent des qualités qu'ils trouvent en nous. Ils ne les exagèrent ni ne les atténuent, mais nous en parlent naturellement. – Croyez-moi, Madame, répliqua le duc, ils font ce qu'ils peuvent pour les amoindrir; ce sont des maîtres qui ne veulent pas louer leurs esclaves, ou plutôt des gouverneurs qui veulent tenir dans la dépendance celles qui sont sous leur conduite; ou, si vous voulez que je vous donne une plus noble idée de l'autorité qu'ils exercent sur leurs femmes, je me servirai des paroles d'un grand poète de notre temps, qui fait dire à sa Pauline dans le Polyeucte,

      Tant qu'ils ne sont qu'amans, nous sommes souveraines,

      Et jusqu'à la conquête ils nous traitent en Reines;

      Mais après l'hyménée, ils sont Rois à leur tour.

      – Qu'ils soient Rois tant qu'il vous plaira, répondit la comtesse, nous ne sommes pas de simples sujettes; nous partageons avec eux cette royauté. – Cela est vrai, Madame, répliqua le duc; mais vous n'avez plus cet encens, ces hommages, ces respects, ni même ces marques d'amour et de tendresse… – Ce que nous avons, dit-elle, est au moins plus sincère, plus solide et plus durable. – Dites


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<p>10</p>

Rendez-vous.

<p>11</p>

Richelet traduit: «Blanchir, faire des efforts inutiles.» – Furetière dit: «Blanchir se dit des coups de canon qui ne font qu'effleurer une muraille, et y laissent une marque blanche. En ce sens on dit au figuré de ceux… dont tous les efforts sont inutiles que tout ce qu'ils ont fait, tout ce qu'ils ont dit n'a fait que blanchir.»

<p>12</p>

Des cabinets de verdure.