Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin

Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin


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c'est l'amour lui-même qui dicte ces paroles à l'amant. Mais un homme qui est lié à une femme par le sacrement, se sent obligé à dire qu'il l'aime, quand même il auroit de l'aversion. Tout ce qui est un effet du devoir nous doit paroître suspect. Et c'est pour cela qu'on dit que les Rois ont tant de peine à distinguer les vrais amis des flatteurs, parce que, comme nous leur devons toutes choses, et qu'ils ont un pouvoir absolu sur nous, ils ne sauroient jamais bien connoître si c'est la crainte, ou si c'est l'amour qui nous fait agir. – Ce que vous dites là, reprit la comtesse, fait contre vous; car comme l'affection qu'un Roi témoigne à son sujet doit être la plus sincère de toutes, par la raison que vous venez de voir, qu'il n'y a rien qui l'y oblige, celle de nos maris, qui sont nos souverains, selon vous et selon Corneille que vous venez de citer, doit être de la même espèce. – Nous voilà d'accord, Madame, reprit le duc, et j'entre aussi bien que vous dans ce dernier sentiment. Oui, plus la personne qui nous aime est au-dessus de nous, plus l'amour qu'il nous témoigne doit être sincère et véritable, et plus nous lui en devons être obligés. Après cela pourriez-vous douter, Madame, qu'un grand Roi, qui est adoré de tous ses sujets, redouté par ses ennemis, et qui est l'admiration de toutes les nations étrangères, n'ait pas pour vous les derniers attachements, puisqu'il vous l'a témoigné de la manière du monde la plus soumise et la plus respectueuse? – Et qui vous a dit, reprit la comtesse, avec un air fier et froid, que le Roi a de l'attachement pour moi? – Lui-même, Madame, me l'a dit, et ce grand Monarque n'osant vous expliquer lui-même ses sentiments, m'a ordonné de vous dire qu'il vous aime, ou plutôt qu'il vous adore; que si l'excès de son amour l'a fait parler si souvent par ses soupirs et par ses regards, le grand respect qu'il a pour vous ne lui a jamais permis de vous le dire. Il m'a choisi pour vous porter cette parole, que vous êtes son unique souveraine, qu'il ne veut recevoir la loi que de vous seule, qu'il met à vos pieds son sceptre et sa couronne; que vous seule pouvez décider de sa destinée, et que sa vie ou sa mort dépendent de la réponse que je lui dois porter de votre part. – Je vous ai écouté sans vous interrompre, lui dit cette sage comtesse, puisque vous m'avez dit que vous parliez de la part du Roi, et qu'étant sujette, je suis obligée d'écouter avec respect tout ce qui vient de la part du souverain; mais le Roi sait-il que je suis mariée? – Oui, Madame, il le sait, répliqua le duc; il sait ce que vous devez à votre époux, et ce que vous vous devez à vous-même. Il veut bien que vous vous en souveniez; il veut bien oublier lui-même qu'il est votre Roi; et il m'a commandé de vous dire par exprès, qu'il ne se servira jamais de son autorité pour vous obliger à rien qui puisse choquer votre devoir; qu'il ne vous demande d'autre grâce que celle de vous voir, et de vous parler quelquefois de sa passion; et qu'enfin, sans prétendre autre chose de vous que ce que je viens de vous dire, et que la vertu la plus austère ne sauroit refuser à un si grand Roi, vous pouvez disposer des premières charges de la Cour en faveur de tous les vôtres; voyez, Madame, vous pouvez contenter le Roi, faire votre fortune et celle de vos amis sans blesser votre devoir. – Ce que vous venez de me dire, répartit la comtesse, mérite d'être pesé»; et prenant dans ce moment un air grave et sérieux, comme feroit une Reine qui répondroit à un ambassadeur: – «Vous direz au Roi votre maître que je lui suis bien obligée de toutes les offres qu'il me fait, que je me reconnois indigne d'un si grand honneur, et, pour lui témoigner que je reçois comme je dois des propositions si avantageuses, vous lui direz, s'il vous plaît, que j'en conférerai tantôt avec mon mari qui y a le même intérêt, et sans lequel je ne puis rien faire. Vous savez, ajouta-t-elle, avec un souris malicieux, que ce sont de petits souverains dans leur famille; ce qui fait que je me sens obligée de lui rendre compte de tout. – Vous savez trop bien le monde, répondit le duc, pour faire cette bévue. – Je sais mon devoir, dit-elle, et ne vous mêlez pas, je vous prie, de me l'apprendre. Vous avez fait votre commission, cela suffit; allez en rendre compte au Roi, et lui rapportez ma réponse. – Mais oserai-je, Madame, répliqua le duc, lui porter une semblable parole? – Cela ne vous regarde point, dit la comtesse; un ambassadeur n'est pas responsable du succès de son ambassade; comme il n'agit que conformément aux ordres qu'il a reçus de son maître, il doit aussi rapporter fidèlement les réponses qu'on lui donne. – Vous voulez donc, Madame, que je dise au Roi… – Que je lui sais bon gré de l'honneur qu'il me fait, lui dit-elle en l'interrompant; mais que la chose étant de la dernière importance, il faut que je la communique au comte mon époux. – Je vois bien, lui dit le duc, comme il vit que le reste de la compagnie les alloit joindre, que vous avez trop d'esprit pour moi, et trop de vertu pour le Roi.»

      Cet amant attendoit le duc avec une extrême impatience. On peut s'imaginer aisément de quelle manière il passa la nuit. Tantôt la comtesse se présentoit à son imagination avec tous ses charmes, tantôt il la voyoit avec cet air sévère dont la seule pensée le faisoit blêmir. Quelquefois il se flattoit qu'il n'étoit pas haï de sa maîtresse, et que ces manières réservées qu'elle affectoit avec lui n'étoient que des mesures qu'elle vouloit prendre contre son cœur, dont elle sentoit la faiblesse. Enfin l'habileté de son confident achevoit de le persuader que sa négociation auroit un fort bon succès. Cependant le malheur qu'il avoit eu à la chasse le jour précédent, lui étoit d'un mauvais présage qui troubloit toutes ces douces pensées; et son esprit, diversement agité, passa la plus longue de toutes les nuits, entre l'espérance et la crainte.

      L'heure du lever du Roi ne fut pas plus tôt venue, que le duc de La Feuillade se rendit auprès de Sa Majesté, et ce prince amoureux, impatient d'apprendre le succès13 de son ambassade, congédia le plus tôt qu'il put cette foule de courtisans, qui ne faisoit alors que l'importuner14. Il ne se vit pas plus tôt seul avec son fidèle confident, qu'il lui demanda des nouvelles de sa maîtresse, et le succès de son entreprise. «Ne me flatte pas, lui dit-il précipitamment; je suis las de tant languir, annonce-moi bientôt la vie ou la mort. – Je ne vous annoncerai ni l'un ni l'autre, lui dit La Feuillade; je dirai seulement au plus grand Roi du monde, ce qu'on rapporte d'Alexandre le Grand, sur le point d'exécuter une entreprise très-difficile: qu'il avoit trouvé un péril digne de lui. Je dis aussi la même chose à Votre Majesté. En fait d'amour, vous n'avez trouvé jusques ici que des places foibles, qui se sont rendues sans résistance, et qui vous ont d'abord ouvert les portes; les plus cruelles se sont soumises à vous avec la même facilité que les villes se rendoient au conquérant de l'Asie, ou, pour faire la comparaison plus juste, avec le même succès qu'elles se rendent à Votre Majesté. Mais voici une place forte où il faut employer toutes les ruses et toutes les forces de l'amour; en un mot, Sire, c'est une conquête digne de vous.»

      Après cela, il raconta au Roi tout ce qui s'étoit passé, et insista surtout sur la réponse malicieuse de cette cruelle: – «Mais, Sire, ajouta-t-il, ne vous alarmez pas; j'en ai bien vu bien d'autres, qui faisoient les fières comme la comtesse, et qui se sont mises à la raison. – Mais que puis-je attendre d'une femme, lui répliqua le Roi, qui n'aime que son mari, et qui m'oppose ce mari fâcheux quand on l'entretient de mon amour? N'est-ce pas m'ôter absolument l'espérance; ou, pour mieux dire, n'est-ce pas se moquer de moi, que de me faire dire qu'il faut qu'elle en parle plutôt au comte son époux? – Je vous avoue, répondit le duc, que sa réponse est tout-à-fait cavalière; mais, Sire, puisqu'elle a besoin du secours de son mari pour se défendre de vos poursuites, c'est une marque qu'elle ne se croit pas assez forte pour y résister. Mais ne craignez pas qu'elle lui fasse une telle confidence, dont peut-être elle seroit la première à se repentir. En un mot, je crois que c'est un rempart qu'elle veut opposer à votre amour, et dont elle veut appuyer cette foiblesse assez naturelle à celles de son sexe.

      Le Roi voyoit bien que le duc vouloit adoucir autant qu'il pouvoit ce qu'il y avoit de rude dans cette entreprise; et comme ce Monarque s'est toujours fait un point d'honneur de réussir dans tout ce qu'il entreprend, quelques difficultés qu'il y puisse rencontrer, celles qui se présentoient dans son dessein amoureux ne firent que l'enflammer davantage par la résistance. Il s'en expliqua ouvertement à son confident; il lui dit que tous les rebuts, qu'il prévoyoit bien qu'il avoit à essuyer, n'étoient pas capables de le guérir; que son mal étoit désormais sans remède, et qu'il n'y avoit point de milieu à prendre; qu'il mourroit de douleur, ou contenteroit son amour.

      Pendant que le Roi s'entretenoit ainsi avec le duc de La Feuillade, la comtesse


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Le texte dit: sujet. —Succès, issue, résultat.

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Voici ce qui se passait au lever du Roi; nous traçons ce tableau en nous guidant sur l'Etat de la France auquel nous avons emprunté tous les noms du quartier, du trimestre de janvier: – Le Roi s'éveille. Aussitôt M. de Chamarande, chevalier de Saint-Michel, qui, en sa qualité de valet de chambre, était couché sur un lit étendu à terre au pied de celui du Roi, s'approche de Sa Majesté pour lui présenter sa robe de chambre et lui donner de l'eau si elle en demande. Le Roi voulant s'habiller, un garçon de la chambre va avertir à la garde-robe pour faire apporter les habits dans la toilette. – Le Roy s'assied alors sur son fauteuil; le sr Roze, premier valet de garde-robe, qui a pris les chaussons dans le coffret, en donne un au premier valet de chambre qui prend la droite et le laisse à gauche pour habiller Sa Majesté. Un simple valet de garde-robe, le sr de Lissalde, leur présente alors le bas de soie qu'il a pris soin d'attacher au caleçon. Alors chacun d'eux aide de son côté à chausser et vêtir le Roi, s'il n'aime mieux le faire lui-même, ce qui arrive le plus souvent. Ensuite six des pages de la chambre attachés au service du gentilhomme de la chambre qui est en fonctions, non plus ce trimestre mais cette année, le duc de Saint-Aignan, ont le privilége de présenter les mules à Sa Majesté. Cela fait, le Roi prend son haut-de-chausses des mains d'un valet de garde-robe qui lui apporte premièrement des canons ou des petits bas s'il désire en porter: le canon est cet ornement de dentelle qui s'attache au-dessous du genou, au bas du haut-de-chausses; les petits bas ou bas à étrier sont des bas qui ne couvrent que la jambe, et s'arrêtent à la cheville. Le Roi met-il des souliers? le valet les lui noue; des bottes? le valet les lui présente ou les lui met; mais l'honneur de donner les éperons est réservé à M. Nicolas Le Febvre, sieur de Bournonville, écuyer de service.

Voilà le Roi chaussé. Un valet de garde-robe tient la chemise du Roi et la présente d'abord à un prince du sang; en cas d'absence, au duc de Bouillon, grand chambellan, au duc de Saint-Aignan, l'un des quatre premiers gentilshommes, ou enfin à M. le marquis de Guitry de Chaumont, l'un des deux maîtres de la garde-robe. Le Roi ôte alors sa chemise de nuit et met celle qu'on lui donne. Les huissiers, qui sont entrés dans la chambre royale dès que Sa Majesté a eu pris sa robe de chambre, et qui se tiennent à la porte pour l'ouvrir ou la fermer, ce que nul autre ne peut faire, demandent alors au grand chambellan ou à celui des quatre premiers gentilshommes de la chambre qui est de service, quelles sont, parmi les personnes de condition présentes, celles qu'il peut faire entrer. Après cette première admission de gentilshommes favorisés, le maître de la garde-robe met au Roi son pourpoint, lui présente ses mouchoirs, ses gants, et enfin son manteau et son épée, s'il les veut prendre; s'il veut sortir sans épée ni manteau, l'épée est remise à l'écuyer, le manteau au porte-manteau; enfin s'il ne veut ni son épée ni son manteau, on les laisse à la garde-robe. C'est quand le Roi est habillé que l'huissier, le sieur de Rassé, par exemple, laisse entrer toute la noblesse à son choix, et selon le discernement qu'il fait des personnes plus ou moins qualifiées.