Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV. Bussy Roger de Rabutin

Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome IV - Bussy Roger de Rabutin


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de cette aventure. Le Roi, qui ne douta pas que le comte n'entrât dans des soupçons qui pourroient faire tort à la comtesse et traverser son amour, aima mieux lui dire la chose comme elle étoit, que de le laisser dans cette cruelle incertitude. Mais il n'eut garde de lui parler de la passion qu'il avoit pour la comtesse. Il lui dit donc sans façon: – «Comte, je vois que tu es en peine de ta femme, et que tu veux savoir la cause de ce grand cri qu'elle a fait. Je te dirai que je suis entré fortuitement dans sa chambre, et, la voyant endormie, j'ai voulu lui donner un baiser, ce qui l'a fait lever en sursaut. Va, comte, tu dois te féliciter d'avoir une femme si chatouilleuse; j'en connois bien d'autres qui, au lieu de s'éveiller, se seroient d'abord rendormies, ou en auroient fait le semblant.»

      Le comte, qui se crut obligé de répondre galamment au Roi, lui dit: «Sire, ma femme n'est pas d'une meilleure trempe que les autres, et si elle eût su que c'étoit votre Majesté, infailliblement elle auroit fait semblant de dormir; mais son sommeil l'a trompée, et l'a empêchée de vous reconnoître quand elle a jeté ce grand cri. – Elle m'a fort bien reconnu, reprit le Roi, et je t'assure que si ta femme est toujours si franche, tu n'as pas sujet d'en être jaloux.»

      La chose ne fut pas poussée plus loin; le Roi se retira dans son cabinet et congédia le comte, qui n'eut pas le moindre soupçon de l'amour du Roi, et la comtesse, revenue de sa frayeur, retourna dans son appartement, après avoir bien grondé ses filles de ce qu'elles l'avoient laissée toute seule.

      Cependant le Roi, qui voyoit que cette affaire n'auroit point de suite fâcheuse, puisque celui qui y avoit le plus d'intérêt la traitoit de bagatelle, et qu'il espéroit de faire bientôt la paix avec la comtesse, ne put s'empêcher de faire un couplet de chanson sur cette aventure, et, quoiqu'elle se chantât en ce temps-là, on n'en a su le véritable sujet que quelques années après. Quoique ces vers soient presque connus de tout le monde, je ne laisserai pas de les rapporter ici:

      Jamais Iris ne me parut si belle,

      Que l'autre jour dans un profond sommeil;

      Sa cruauté sommeilloit avec elle,

      Et je baisai son teint blanc et vermeil,

      Quand, par malheur,

      Je vis à son réveil

      Réveiller sa rigueur.

      Le comte ne vit pas plus tôt sa femme, qu'il lui fit mille railleries sur ce qui venoit de lui arriver. Elle ne savoit d'abord comment y répondre; elle ne traitoit point comme son mari cette affaire de bagatelle; elle connoissoit le cœur du Roi et le motif qui le faisoit agir ainsi; tout cela changeoit la nature de l'affaire; mais c'étoient des mystères pour le comte. Sa femme le reconnut d'abord, quand elle vit qu'il le prenoit sur un ton railleur. De sorte que, revenue de sa première émotion, elle crut qu'elle devoit feindre, dissimuler son juste ressentiment, et prendre le tour que son mari donneroit à cette aventure. Il fallut pourtant qu'elle se fît une grande violence, la liberté que le Roi s'étoit donnée, après les protestations qu'il lui avoit faites, étoit une chose qu'elle ne pouvoit pas lui pardonner et qui lui tenoit fort au cœur. Mais elle voyoit qu'il étoit pour elle de la dernière importance de cacher à son mari une chose si délicate, et qui auroit pu troubler le bonheur de leur mariage. Le voyant donc heureusement prévenu par le discours que le Roi lui avoit tenu en sortant de sa chambre, elle répondit comme elle devoit à toutes ses railleries, et en femme qui entend son monde: – «Je vous trouve fort plaisant, dit-elle au comte, de me railler d'une chose où vous avez pour le moins autant d'intérêt que moi. Il falloit pour la rareté du fait que je fisse toujours semblant de dormir, et que je laissasse pousser l'affaire jusqu'au bout; vous auriez vu si les rieurs seroient de votre côté. – Vous auriez agi en femme prudente, lui dit le comte, qui sait accommoder ses plaisirs avec son honneur; car, ayant toujours dit que vous étiez endormie, on n'avoit rien à vous reprocher; c'est la volonté qui fait tout en ces affaires, et la vôtre n'y ayant point de part, vous étiez innocente au jugement du monde. – Sans mentir, lui dit la comtesse, vous me donnez là de belles leçons; il me prend envie d'en profiter une autre fois. – Il n'est plus temps, Madame, lui dit le comte, qui étoit toujours en humeur de railler; on sait déjà que vous êtes extrêmement chatouilleuse, et que vous avez le dormir fort délicat, et que le mouvement d'une mouche suffit pour vous éveiller. Et puis, ajouta-t-il, qui osera désormais vous approcher, puisque vous ne pouvez souffrir les caresses du Roi? – Voulez-vous que je vous dise ce qui en est? répliqua la comtesse, qui vouloit plaisanter à son tour. Quand on dort, on ne sait ce qu'on fait; mais si le Roi se fût présenté à moi quand j'étois éveillée, peut-être que je n'aurois pas été si cruelle, et que j'aurois mieux reçu ses caresses. Je vous prie, Monsieur le comte, de lui en faire mes excuses. – Vous ferez cela mieux que moi, répondit le comte, ou, pour mieux dire, il n'y a point ici d'excuse à faire. Que savez-vous si le Roi trouveroit en vous les mêmes agréments quand vous seriez éveillée, qu'il a pu y remarquer lorsque vous dormiez? vous savez que ces sortes de choses dépendent entièrement du caprice; un certain air négligé ravit quelquefois un cœur que toute la parure d'une dame ne sauroit jamais attraper. Ainsi consolez-vous, vous avez manqué votre coup; le Roi trouvoit alors de certains charmes en vous, qu'il n'y remarquera plus; vous voilà déchue de vos prétentions, si tant est que vous ayez aspiré à cette gloire, tant recherchée des dames, d'être la maîtresse du Roi.»

      La confiance que le comte avoit en la vertu de sa femme le faisoit parler ainsi. Il avoit raison de s'y confier; mais s'il avoit su que le Roi brûloit pour elle, et qu'elle en étoit bien informée, il n'auroit pas eu tant d'assurance, connoissant, comme il faisoit, la fragilité du sexe.

      Cette petite aventure qui venoit d'arriver au Roi et à la comtesse, servit d'entretien à la cour durant quelques jours; mais tout ce qui s'en dit ne fit aucun tort à la vertu de cette dame, et personne ne soupçonna que le Roi en fût amoureux. On crut seulement qu'il vouloit se divertir, par l'occasion agréable qui s'offrit à lui, sans avoir d'autre dessein. Il n'en étoit pas de même du duc de La Feuillade, qui savoit l'attachement du Roi pour cette comtesse. Il n'ignoroit pas pourquoi le Roi s'étoit ainsi émancipé; mais il regrettoit pour ce prince d'avoir si mal réussi, et il blâmoit dans son cœur la cruauté de la dame. Le lecteur peut bien juger qu'il y en avoit un assez grand nombre à la cour, qui auroient voulu être à sa place, qui n'auroient pas eu tant de honte qu'elle de se montrer en cet état aux yeux du Roi, ou qui, pour cacher cette honte, auroient fait semblant de dormir.

      Tandis que les Messieurs et les Dames s'entretenoient de cette affaire, et que chacun en jugeoit selon son humeur, le Roi étoit fort inquiet, et il ne savoit comment se raccommoder avec sa fière maîtresse. Au fond, l'offense n'étoit pas d'une nature qui méritât une grande punition, et qui dût si fort irriter le cœur d'une dame. Mais il connoissoit l'humeur de la comtesse, et il craignoit toujours cette vertu austère qu'il avoit remarquée en elle. Avant que de se déterminer de quelle manière il devoit se comporter avec elle, il voulut la voir en public, et tâcher de connoître dans ses yeux et par ses manières, quel étoit l'état de son cœur. Il ne l'eut pas plus tôt vue, qu'il jugea d'abord qu'elle n'étoit pas si irritée qu'elle lui avoit paru lorsqu'il s'émancipa de la manière que j'ai déjà dit, et qu'elle dit au Roi ces grosses injures. En effet sa pensée étoit, comme je l'ai remarqué, que ses filles l'avoient trahie et l'avoient abandonnée pour la livrer aux desseins du Roi, et ce fut la cause qu'elle ne put pas retenir son ressentiment. Mais quand elle eut reconnu par les discours de ses filles, qu'elles étoient innocentes d'une si noire trahison, et que ce qui étoit arrivé étoit un effet du hasard, sa plus grande colère fut amortie; et, dans son âme, elle ne pouvoit condamner la liberté d'un amant qui trouvoit une occasion si favorable. Elle joignoit à cela les paroles choquantes qu'elle avoit dites au Roi, et que ce monarque avoit doucement avalées. Toutes ces confidences servoient à désarmer la comtesse. Elle étoit dans cet état, quand le Roi la vit dans une compagnie de dames; et, comme il est bon physionomiste, comme le sont presque tous les amants, il connut d'abord ce qui se passoit dans le cœur de sa maîtresse. Il la vit rougir, dès qu'elle aperçut le Roi, puis baisser doucement les yeux par une espèce de honte, tourner quelquefois la tête d'un autre côté, parler à bâtons rompus, paroître distraite, inquiète, interdite; avec tout cela, il n'y remarqua rien d'ennemi, et il jugea seulement que le souvenir de ce qui s'étoit passé le jour précédent la déconcertoit


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