Voyages loin de ma chambre t.2. Dondel Du Faouëdic Noémie
joûtes pacifiques du progrès; un aperçu de toutes les merveilles que renferme aujourd’hui Paris qu’on pourrait appeler en ce moment le salon de l’univers.
ARRIVÉE A PARIS
Depuis quelques heures je suis à Paris… Dans ce grand Paris entrevu si souvent dans mes rêves, et que je vais trouver ou plus beau ou peut-être moins beau qu’eux. Le rêve est une féerie sans limites, la réalité a toujours des bornes. Ah! que je suis impatiente de connaître toutes ces belles choses qui caressent ma pensée depuis tantôt cinq mois! Demain, dès que l’horloge aura sonné neuf coups, l’heure réglementaire de l’ouverture de l’Exposition, j’en aurai franchi le seuil.
Nos plans sont dressés. Quatre jours par semaine nous irons à l’Exposition, les autres jours nous visiterons Paris; nous nous reposerons aussi de temps en temps, on ne peut pas tout voir à la fois, et pour bien classer ses souvenirs, il faut que la mémoire puisse s’assimiler les choses et les mettre en place, autrement ce serait le chaos.
Je suis arrivée par la belle gare Saint-Lazare: un monde déjà à elle toute seule. J’ai pris une voiture et fouette cocher! Plus heureuse que cette grande dame du siècle de Louis XIV, qui aurait tant voulu se voir passer en carrosse, moi j’ai eu cet agrément, rien qu’en jetant un coup d’œil rapide sur toutes les grandes glaces qui ornent la devanture des magasins.
Quelle animation, quel mouvement, quel tapage! Ah! que je suis loin du calme des champs! Ce soir je vais m’endormir au bruit de mille rumeurs confuses qui me rappelleront la voix du vent dans les bois. Cette nuit je me croirai bercée par la rafale bourdonnante de nos plages bretonnes… Ce sera le doux songe des paupières closes et du pays natal, en attendant le grand rêve des yeux ouverts: Paris et l’Exposition!..
Première impression
Entrées à l’Exposition aujourd’hui, cent soixante-deux mille huit cents personnes.
Je suis émerveillée, enthousiasmée!.. Quelle féerie pour les yeux et la pensée que cette Exposition! et quelle haute idée elle donne de l’intelligence humaine. C’est un amoncellement de splendeurs à donner le vertige.
Nous sommes arrivées par le Trocadéro, cette entrée grandiose entre toutes (il y en a vingt-trois) permet d’embrasser d’un coup d’œil l’aspect général de l’Exposition. De l’avenue de Suffren au quai d’Orsay, cette première impression est inoubliable.
L’intérêt et la curiosité s’éveillent au plus haut point. Tous les âges et tous les goûts peuvent se trouver ici dans leur élément.
Cette joute pacifique, cette grande exhibition ne renferme-t-elle pas une incomparable leçon de choses? Tout ce que l’esprit humain a inventé, dans le domaine de l’art et de l’industrie, de la science et de l’imagination, se trouve là. C’est aussi l’histoire palpable, vivante, de tous les produits naturels et si variés du globe. C’est le monde entier parlant au yeux et à l’imagination.
Le terre à terre des choses pratiques et usuelles les plus minimes coudoie l’idéal des choses artistiques et les plus vastes conceptions; la matière marche de front avec les productions les plus éthérées de l’esprit, et tout cela savamment classé, groupé, accumulé, dans le cadre le plus magistral qui se puisse rêver; et l’on reste stupéfait de tant de merveilles; tout ce qu’on voit paraît extraordinaire, c’est une contemplation sans fin.
Voilà un stock formidable de souvenirs qu’il serait bien difficile d’emmagasiner dans le cerveau; mais dont la mémoire retiendra ce qui l’aura frappée davantage.
L’Exposition de 1889 est la septième des Expositions universelles et la quinzième des Expositions nationales.
La première qui se tint au Champ de Mars en 1798, au sortir de la tourmente révolutionnaire comptait cent dix exposants; celle d’aujourd’hui en compte trente-huit mille.
Elle couvre une surface totale de soixante-dix hectares. Le visiteur intrépide qui voudrait tout parcourir en un jour aurait fait à la fin de ses étapes quarante kilomètres.6
La tour Eiffel est le clou, elle vous saute aux yeux avant même qu’on soit à Paris: mais, au dire des ingénieurs, le Dôme Central et la Galerie des Machines ne sont pas moins remarquables. C’est une trilogie de merveilles.
Sans compter tous les pavillons, les façades, les innombrables constructions qui représentent les cinq parties du monde, il y a sept palais principaux: Le beau palais du Trocadéro, le palais des Arts libéraux, où l’on voit dans tout son développement l’histoire du travail à travers les âges; le palais des Beaux-arts, encombré de chefs-d’œuvre: sculptures, peintures, gravures, dessins; le palais des Industries diverses, aussi magnifique, aussi resplendissant dans son genre; le palais des Machines, où l’esprit reste pétrifié d’étonnement et d’admiration; le palais du Pétrole, mais oui, cette huile minérale, découverte du XIXe siècle a son palais où sont représentés les appareils servant à son extraction; en un mot tout le matériel nécessaire à cette immense exploitation, ainsi que des échantillons de pétrole et de naphte. Cela intéresse les gens de la partie. Quant aux simples visiteurs, ils s’amusent un instant à regarder les grandes vues panoramiques qui décorent les murs intérieurs et qui représentent les ouvriers au travail sous le ciel d’Asie, d’Amérique et même d’Europe, au Caucase. Ces vues sont bien faites, et l’on comprend tout de suite que ces ouvriers ne sont pas de même race. Enfin le palais de l’Alimentation, le palais tentateur.
Et maintenant que j’ai effleuré toutes ces belles choses, voici mon opinion.
Il est impossible, même à l’imagination la plus féconde, de se faire de loin une idée de l’Exposition. Quant à ceux qui l’ont visitée, ils sont quand même dans l’impossibilité de la bien faire comprendre à ceux qui ne l’ont pas vue. Sans doute ces derniers pourront se rendre un compte exact de bien des choses prises séparément; ils pourront lire tous les livres traitant ce sujet aussi vaste qu’intéressant; ils pourront se représenter un palais, une galerie, un atelier, une usine; on pourra leur donner des détails, beaucoup de détails; mais cet ensemble incomparable, comment l’exprimer!
Le Jardin, le Musée et le Palais du Luxembourg
Buffalo-Bill
Temps délicieux, chaud le jour, tiède le soir; journée bien remplie, comme le seront, j’espère, toutes celles qui doivent suivre.
Nous avons passé la matinée en France, au Luxembourg, et l’après-midi au Mexique, à Buffalo-Bill.
Quel admirable jardin, que ce jardin du Luxembourg! il vous conduit jusqu’à la belle fontaine de l’Observatoire, au milieu de pelouses parfumées, à travers des bois ombreux qui vous donnent l’illusion d’une vraie campagne; ici on peut s’isoler, se croire aux champs et rêver à l’ombre des futaies, que l’automne d’un coup de son pinceau fantaisiste va rougir d’abord et bientôt effeuiller, hélas!
Ces belles statues, ces balustres élégants, ces bassins limpides évoquent les souvenirs d’antan. Il me semble que j’entrevois dans les allées, l’ombre de Marie de Médicis. Je crois entendre sous les charmilles chuchoter les grandes dames de la Cour.
En descendant ainsi les âges, j’arrive à des souvenirs plus cruels et plus récents. C’est dans le Jardin du Luxembourg qu’un grand nombre de fédérés furent enterrés, pendant la Commune; et ce mot si vrai d’un penseur me revenait en mémoire: «Tant que le peuple fera de la politique il ne sera pas heureux! Toute horreur appelle une autre horreur, et c’est comme cela que les représailles engendrent les haines éternelles.»
Pour chasser cette triste évocation, je me suis amusée à suivre la flottille en miniature que les enfants lancent sur le grand bassin, à voir les canards s’ébattre dans les ruisseaux et les hardis moineaux quémander familièrement les miettes de pain qu’un
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L’exposition de 1855 qui occupa cent soixante huit mille mètres carrés, dura du 15 mai au 15 novembre. Le nombre des exposants fut de vingt-trois mille neuf cent cinquante quatre; celui des visiteurs de cinq millions cent soixante mille. Les entrées payantes produisirent trois millions deux cent mille francs.