Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV. Doublet Jean

Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV - Doublet Jean


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qu'on l'eut fait sauter et découverte en sa profondeur desdits 32 pieds, elle se trouva au néant, ce qui découragea le sieur Vreiznic notre ingénieur, disant que toutes les minnes qu'il a perçées seulement sur deux à trois lignes de la surface, elles se trouvoient dans la profondeur de 20 pieds plus d'un pied de face sans compter les vaines esparcées en divers endroits.

      Du 15e au 24e septembre l'on perça du costé du Septentrion. Il se trouva à la surface, après avoir osté les terres de dessus le roc, cinq pouces une ligne; et après que la minne fut ouverte il ne s'y trouva que deux lignes. Du 27e au 4e octobre fut ouvert dans la partie du levant sans pertes ny blessés de nos hommes. Nous eusmes quelques espérances de mieux réussir ayant touvé dans la surface neuf pouces et trois lignes, et en profondeur rien du tout. Et pour n'avoir rien à reproche, le 28e octobre il fut ouvert du costé du couchant, ou dans la superficie marquoit seulement 2 pouces ½ et à 20 pieds fonds rien. La saison nous obligea de nous retirer à Québec, n'étant munis de vivres ny de bons logemens pour résister aux grands froids et neiges nous fusmes contrainct d'abandonner, n'ayant pas retiré plus de huit à neuf milliers pesant de plomb. Nous partismes le jour de la St Martin embarqués sur le mesme bastiment qui nous avoit aportés, et la minne mina la bource des mineurs. Nous arrivasmes à Québec le 2e décembre, dont il étoit grand temps puisque la rivière se glaçoit. Mon père fit son raport à Mr. le Vice-roy et autres Mrs. Et on nous donna un logement pour passer notre hiver, mais je fus mis en pension aux Pères Jésuittes31.

      Au printemps 1666, après le débordement des glaces, Mr. le Vice-roy et intendant ordonnèrent à mon père de se rembarquer sur nostre mesme bastiment en qualité de comissaire des Costes, et que le R. Père Chaumonot32, jésuite, qui savoit les langues des sauvages, serviroit d'aumosnier et Missionnaire et pour interpréter aux besoins et en faisant sa mission de convertir les sauvages infidelles, dont mon père leur faisoit des présents pour les attirer dans le party de France contre ceux avec qui on avoit la guerre sur les Iroquois. Nous atirasmes dans notre party deux nations les Esquimaux et les Papinachoïs, qui peu de temps après deffirent vers le grand Saquenay plus de deux cents desdits Iroquois. Ce voyage à parcourir les deux costés du fleuve dura plus de cinq mois et traitèrent avec les susdits sauvages et j'étois resté en pension. Il falut encore hiverner, et au printemps mon père désirant retourner en France sur un navire apartenant à Mr. Grignon, de la Rochelle, qui avoit hiverné à Québec, tomba d'accord du prix de son passage et du mien, et pour des pelletries dont il avoit esté payé pour ses gages. Nous partismes de Québec le 8e de May 1667 et poussasmes nostre navigation jusque entre le banc à vert et le grand banc33 où nous fusmes environnées d'une quantité de montages de glaces flotantes sur l'eau et nous enfermèrent sans pouvoir nous en dégager. Nous suspendismes nos câbles le long de notre navire pendants entre le bord et les glaces pour empescher que le navire ne fut crevé. Les vœux et prières ne manquoient pas, mais en moins de deux jours les câbles se trouvoient coupés et la partie d'entre les glaces aloit au fond de l'eau. Nous continuasmes d'en mettre jusqu'au dernier bout, et puis nous y mismes ensuite toutes nos voiles de rechange toutes freslées, et en trois jours elles furent aussy consommées, et la réverbération des dites glaces nous causoit des froidures insuportables, et la neufviesme journée, sur le soir, notre navire nous manqua tout d'un coup sous nous et nous débarquasmes sur les dites glaces sans avoir eu le temps de sauver aucunes hardes. Mais mon père avoit sur luy double rechange d'habits et sa robe doublée de castors qui le garantissoit du froid. Le pilote du navire avoit eu la précaution d'emplir deux jours avant la paillasse de pains après en avoir vidé les feures, et la jeta heureusement sur la glace voyant le navire couler au fond, et quelques matelots avoient aussy jetté deux petites voilles des peroquets et deux jambons. Nous fismes une petite tente de nos deux voiles; on sauva quelques écoutilles et paneaux qui avoient flotté, ce qui nous servit de plancher soubs la tente pour mettre notre pain et nous retirer tour à tour dessous pour y reposer. Nous ne pusmes où alumer du feu. Nous étions reiglés sur chacun 4 onces du pain sauvé, et la nuit les matelots tuoient des loups marins avec des morceaux de bois qu'on avoit trouves de notre débris; l'on tuoit aussy des mauves et des gros margaux qui dans les commencements nous en sucions les sangs et puis les foix et sur la fin on s'acoutuma à manger leurs chairs crües, et de jour à autre il nous mouroit quelque de nos hommes. Les jours on se disperçoit de tous costés pour découvrir quelque navires, et de plus sy on avoit pas agi à coure le grand froid saisissoit et on étoit gelé. La quatorziesme journée que nous étions sur les glaces, d'un temps très-brun je fus à l'exercisse de marcher avec deux matelots, ayant fait environ deux lieues sur les onze heures le temps s'éclaircit, et j'aperceu un navire pas plus éloigné d'une lieue, qui aparament par la brume n'avoit pas veu le péril où il tomboit car il venoit dessus; je crié: «navire, navire, mes chers frères». Les deux matelots et moy s'aprochant de la mer vers le navire nous crions à gorge déployée: «sauvez-nous la vie». Nous tendions les bras en haut et jettions nos bonnets en l'air pour nous faire voir; nos gens d'autour se joignirent à nous et crioyoient à force; le dit navire ayant aperceu les glaces revira du bord pour s'en écarter, ce qui nous cauza de grandes frayeurs qu'il ne nous eust aperceu ou nous vouloir abandoner, les cris et les pleurs redoublèrent et un de nos gens plus advisé dépouilla sa chemise et la mit à un baston en pavillon, la faisant jouer en haut, et on crioit de toute voix. Le dit navire aparement nous aperceu et serra quelque voille se tenan en estat de fuir les glaces. Il envoya son batteau avec deux hommes: la joye s'étend parmy nous, l'on fit embarquer mon pauvre cher père à demy mort, puis le capitaine et six autres avec moy, et étant embarqués au navire nous embrassions nos libérateurs, l'on renvoya la chaloupe reprendre le reste, et puis l'on se retira sur le grand banc. Nous perdismes sur les glaces huit hommes par misère, et trois qui moururent après estre sauvés deux jours après avoir trop mengé du biscuit et trop tost. Ce cher navire qui nous sauva ainssy la vie étoit un olonois pour la pesche des morues et n'en trouvant presque plus n'étant qu'à moitié de sa charge, il couroit au banc à vert et sans l'éclaircie qu'il nous le découvrit, encore moins de demie heure, il auroit esté en grande risque d'estre surpris comme nous dans les glaces.

      L'augmentation de 26 hommes que nous fusmes dans ce navire leur faisait grande paine de s'en retourner à my-charge. Nous leurs dismes de nous donner seulement troïs à quatre onces de pain chacun par jour et deux verres de leur boisson ordinaire, ces pauvres gens dirent que nous aurions tout et autant qu'eux, et le firent, et pour les soulager dans leur pesche nous les échangions jour et nuit et Dieu les bénit. Nous trouvasmes des morues à sept et huit cents par jour, et en douze jours il conssoma son sel et prit sa routte pour Nantes où il nous débarqua à Pain Bœuf. Et mon père se voyant dépouillé de tout ce qu'il avoit pu gagner emprunta à un de ses amis à Nantes de quoy nous reconduire au pays. – Après quoy, il fut à Paris pour rendre compte de ses gestions, et contre mon inclination ma mère m'obligeoit de prendre les études du latin soubs un nomé Mr. Chabot prestre, et après quelque temps en 1668, j'appris que mon père s'étoit rengagé dans la compagnie du Sénégal34, qui ne voulut plus me recevoir avec luy pour me laisser étudier. Il prit en ma place un de mes frères âgé d'un an plus que moy. Je les laissé partir et puis je fus prier un de mes proches parents qui comendoit un navire pour la terre neufve de me prendre avec luy, ce qu'il m'accorda; et ma mère ne pouvant rien détourner luy pria de m'estre rigoureux pendant le voyage afin qu'il pust me rebuter de la mer pour que je reprist les études, et mon dit capitaine ne manqua pas d'exécuter ces ordres et de m'exposer à tout ce qu'il y avoit de plus fatiguant, et je ne me rebuté nullement et aprenois toujours la maneuvre et la navigation. —

      166935. L'un de nos proche voisins qui avoit longtemps commandé un navire à terre neufve où il avoit augmenté sa fortune et se sentant apesantyr par âge et ses fatigues, ayant son fils aisné à peu près de mon âge il luy fit bastir un bon navire et luy en donna le comandement, et ayant esté camarade d'écolle, et que j'étois plus au fait que luy il me proposa d'aler avec luy et que je serois la 3e perssonne de son navire, et qu'en outre de mon loyer il m'acordoit le tiers sur le sien dont il


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<p>31</p>

Le séminaire des jésuites de Québec fut fondé par M. de Laval-Montmorency suivant lettres patentes du 26 mars 1663.

<p>32</p>

Pierre-Joseph-Marie Chaumonot, mourut à Québec le 21 février 1693. Il est l'auteur d'une grammaire, d'un dictionnaire et d'un catéchisme en langue huronne; la grammaire seule a été publiée.

<p>33</p>

Ces termes que Doublet emploiera souvent désignent les bancs situés à l'ouest et au nord de Terre-Neuve.

<p>34</p>

La compagnie du Sénégal établie en 1679, fut réunie à la compagnie des Indes en 1719. Ses districts s'étendaient depuis le cap Blanc jusqu'à la rivière Serra Leone.

<p>35</p>

Dans le ms. les pages qui suivent sont enregistrées sous la date de 1669. La date exacte est 1676; les faits cités permettent de l'établir.