Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV. Doublet Jean
pillèrent tout ce qu'il y avoit de bon, et le portèrent à leur bord». Je dits: «Pardonnez-moy, monseigneur, leurs chaloupes n'ont fait que deux voyages à notre bord, pour enlever notre monde et enfournir à paine dès leur et la tempeste survint, qui nous sépara, et depuis n'y est entré d'autres que vos gens, – Alés, cets assés, et demain je vous feray passer en France sur un yac du Roy qui porte des chevaux pour M. le Dauphin». Et j'appris que les deux capitaines anglois, furent emprisonnez et cassées. Le lendemain le yac étant prêt à partir l'on nous vint advertir de nous embarquer, mais je voulus pousser la civilité à bout. Je demanda la permission de pouvoir remercier son altesse. Il le permit et on l'habilloit; il me fit donner six écus de France et m'ordonna, d'aler faire ses compliments à M. le marquis de Courtebon44, gouverneur à Calais, à quoy à mon arivée. Je ne manquay pas et m'en trouvay très bien, et sur ma route il se passa quelques particularités qui ennuyeroyent trop. Notre capitaine M. Sansson, qui fut conduit en Holande, eut ordre d'aler reprendre son navire aux Dunes et le ramena à Honfleur avec une partye du chargement. Je me suis pas informé comme l'on a traité pour ce qui fut volé.
(1673). Etant de retour à Honfleur que le sieur Sansson eut ramené son navire on luy fit offre du commandement d'un navire de 30 canons nomé le Florissant pour la compagnie de la Mérique, il commença à l'équiper et m'engagea pour retourner avec luy, et son navire le Chasseur fut donné en commandement au capitaine Berengier dit Vert galant45. Le Florissant presque tout équipé, le sieur Sansson ne le monta pas, soit qu'il eut peur de la guerre qu'il n'aimoit pas ou par sa femme, il se tint à terre, et ce fut le capitaine Acher du Havre, qui eut le commandement et nous fusmes une belle flote de 34 navires ayant pour convoy la frégatte du Roy, le Hardy de 36 canons. Depuis notre départ de la rade du Havre nous fusmes batues des mauvais vents contraires, l'espace de deux mois et demy sans pouvoir les vents alizées, ny aussy sans qu'aucun de nous fut divisé de la flotte, quoyque nous rencontrions souvent des corssaires, tout fut consservé jusque proche de l'ille de Madère où nous voulions aler rafreschir et prendre des eaux, mais nous y trouvasme des corssaires de Flessingue, qui nous ataquèrent où le sieur Despestits-Patin, écrivain du Roy sur le Hardy fut tué et une vingtaine de matelots, et les corssaires laschèrent pied, et craignant qu'il ne leur arivats quelque renfort, M. de la Roque46 tint conseil et l'on prits la résolution d'aler à l'ile de Santiago, au Cap-Vert. Y étant arrivés l'on achepta des rafreschissements pendant qu'on faisoit les eaux à la praye, et devant la ville habitée par les portugois presque tous neigres et mûlâtes, jusqu'à leurs moines et prestres, et tous de mauvaise vie et canaille. L'on pognardoit impunément nos pauvres matelots pour les voller; ils empoissonnèrent toutes nos eaux qui nous causa les diarées et dissenteries dont il nous mourut sur notre flotte plus de deux cens hommes, et j'ay consservé cette maladie deux ans et demy après y avoir bien dépencé de l'argent.
Et après quatre mois de navigation, nous arivassmes aux illes de la Mérique, et nous chargeasmes à celle de Sainct-Cristofle, du sucre et indigot et des cuirs. Nous étions tous prêts et rassemblés soubs nostre mesme convoy, prêts à partir pour France, lorsque le temps se prépara à une branche de houragan, quoy qu'au 2e octobre comme nous avions eu le 4e l'année précédente. Je dits au capitaine Acher qu'il seroit bon de faire porter au loin notre maitre ancre, sur un bon câble, il me rebuta disant que s'y j'avois peur qu'il me boucheroit le derière d'un fêtu. Je luy dits que j'en aurois moins que luy et il dits: «Bon, nous voilà prêts à partir et je ferois mouiller un câble tout neuf pour le gaster!» Le tourbillon survint peu après, notre navire chassoit, il n'étoit plus à tems de jeter ce maître ancre et nous fusmes donner sur les cayes ou rochers; le navire coula à fonds et puis sauve qui peut. Nous y pérismes 27 hommes. Je me tins avec Michel Cécire, contre-mestre sur la poupe qui ne se rompit pas et deux heures après le vent cessa et la chaloupe du Hardy nous sauva, et il n'y eut que notre navire seul de perdu par la faute de notre brutal de capitaine.
Et pour revenir en France, je creu bien faire que de m'embarquer sur le Chasseur, capitaine Berengier, que mon père avoit fait cy-devant capitaine et mesme nostre parent. Cet ingrat, Dieu luy pardonne ses fautes, eut la lâcheté deux jours après nostre départ de m'oster de sa chambre et de la table soubs prétexte que ma dissenterie se communiqueroit ou à son fils, me traita à l'ordinaire des matelots, en beuf salé et de l'eau. Le pain et l'eau vint à manquer, et nous fusmes vingt et un jours sans en voir gros comme un poix. L'on mangeoit des cuirs, et j'ay payé pour un rat une piastre valant 68 s. Enfin Dieu ne voulut disposer de moy; nous allions à dessain d'atérer à Bellille et en étant à 20 lieux nous parlasmes à une caiche angloise qui nous advertit que l'armée de Holande y étoit pour la prendre et sans quoy nous y alions nous livrer plus de 50 navires richement chargés. Nous tournasmes le bord pour Brest ou en deux jours nous y entrions, mais on nous prit pour l'armée d'Holande et de toutes les forteresses l'on tiroit sur nous, sans que M. De la Roque envoya son canot avec le pavillon blanc et advertit qui nous étions, mais les paisants de Bretagne qui vouloient faire révolte arborèrent au haut des clochers des pavillons holandois croyant que nous en étions l'armée; enfin nous entrasmes à Brest, où je me rétablis un peu avant de me mettre en route pour le pays, après trois malheureux voyages de suitte et resté infirme.
CHAPITRE DEUXIÈME
Doublet embarque sur l'escadre de M. Panetié. – Il enseigne les principes de la navigation à son commandant. – Prise de 22 navires chargés de blé. – Doublet passe second lieutenant sur l'Alcyon, commandé par Jean Bart. – Son éloge par M. Panetié. – Son séjour à l'école d'hydrographie de Dieppe. – Il est reçu pilote. – Il commande la Diligente; combats, prises et blessure. – Lettre de M. Engil de Ruyter. – Croisières. – Voyages en Portugal. – Les pirates de Salé.
Cependant j'avois l'ambition de ne vouloir estre à charge à ma merre ny à la famille; quoy qu'avec mon incommodité je cherchois à voyager. Un nommé M. De Lastre47 de Dunquerque, qui avoit commandement d'une frégatte du Roy pour estre de l'escadre de M. le Pannetier48, vint à Honfleur pour y engager sans contrainte des matelots et soldats et volontaires. Je futs le trouver au Soleil49 où il logeoit et m'offrits pour second ou 3me pilotte. Il me dit qu'il en avoit assez et gens connus pour le Nord; je lui demandé déstre patron de son canot et il me l'accorda. Je partis d'Honfleur avec une cinquantaine de jeunes gens accordées comme moy pour nous rendre à Dunkerque soubs la conduite de notre capitaine qui nous défraya par terre, et nous trouvasmes l'escadre de M. Pannetier, composée de sept frégates prestes à sortir du port. Nostre frégate s'apeloit la Vipère, de 18 canons, et notre capitaine me tint parolle et me posa patron de son canot. Mais lorsque nous fusmes en mer, je fut réduis à la gamelle, ce que je trouvai étrange, croyant estre avec les pilotes. J'en fut très chagrin, et je me trouvois déconcerté que j'en perdois l'apétit, qu'un jour sur l'heure du disner je m'étois acoudé sur le bord du navire que nostre maistre chirurgien nommé M. Prevosts me demanda sy j'étois malade de ce que je ne mangeois pas avec mes camarades. Je soupirois et je m'empressa de luy dire qui me tenoit dans cette tristesse. Un nommé Castor Crestey lui dits que je n'étois pas acoutumé à pareille ordinaire ny compagnie. Il le questionna s'informant qui j'estois et Crestey l'en ayant instruit et nommé mon père, M. Prévost dit. «Ah! je l'ay connu, et ay esté à son service.» Et en fut entretenir M. De Latre avec lequel il étoit fort familier. M. De Latre luy dits de m'ameiner dans sa chambre, et me demanda qui j'étois et ce que j'avois à me chagriner. Je lui dits que je plaignois mon sort de ce que la fortune m'avoit esté contraire trois années de suite, et que la suivante en m'étoit pas meilleure. Il dits: «Il ne faut pas qu'un jeune homme se rebute.» Il me demanda si je savois les principes de la navigation, et je luy dits que j'en savois plus que les principes, puisque je luy avois demandé un poste de pillote. Il m'engagea à boire un verre de vin avec luy et me demanda si les principes sont dificiles d'apprendre. Je luy dits qu'à un homme d'esprit comme luy, je les luy aprendrois en moins de six semaines, et sur le champ je luy en donna ouverture dès la première reigle.
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Charles de Calonne, marquis de Courtebourne, d'une famille ancienne du Boulonnais, était lieutenant de roi à Calais et non gouverneur. Le gouverneur particulier de Calais était Armand de Béthune, marquis puis duc de Charost, né en 1640, capitaine des gardes du corps du roi, duc et pair de France, mort en 1717.
Le marquis de Courtebourne servit à Calais jusqu'à sa mort (octobre 1695). On lui accorda le grade de maréchal de camp par brevet du 26 mars 1652 et par la suite une commission pour commander à Hesdin et la lieutenance de roi au gouvernement de Flandre en 1693. – Pinard,
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Jean Bérenger, capitaine de navire du port de Honfleur, commandait la
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Capitaine de brûlot en 1673 et enseigne de vaisseau la même année, il fut mis à la Bastille le 15 décembre 1679. Elargi trois semaines après, il fut fait lieutenant de vaisseau en 1682, capitaine de frégate le 1er janvier 1693 et capitaine de vaisseau le 1er janvier 1703. Il fut tué au fort de Gambie, en Guinée, le 6 novembre 1703.
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Ce capitaine, quoique chirurgien de son métier, avait appris l'art de la navigation dans ses voyages maritimes. En 1673, âgé de 28 ans, il commandait une frégate de 10 pièces de canon, équipée de 100 hommes. Arch. de la marine. Service général, corresp. d'Hubert, intendant à Dunkerque.
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M. Panetié, brave homme et bon manœuvrier, dit M. Jal, devint capitaine de vaisseau le 31 mars 1665 et chef d'escadre le 1er novembre 1689; décédé le 26 avril 1696. Arch. de la Marine.
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Auberge «où pend pour enseigne le