Le Bossu Volume 6. Féval Paul
Dieu!
Je revins à Madrid. Nulle trace des Bohémiens. Lagardère était parti pour un voyage. La gitanita qu'il avait mise à la place de mademoiselle de Nevers était élevée au couvent de l'Incarnation.
Monseigneur, votre volonté est de ne point faire paraître les impressions que vous cause mon récit. Vous vous défiez de cette facilité de parole qu'autrefois vous aimiez. Je tâche d'être simple et bref. Néanmoins je ne puis me défendre de m'interrompre pour vous dire que vos défiances et même vos préventions n'y feront rien. La vérité est plus forte que cela. Du moment que vous avez consenti à m'écouter, la cause est jugée. J'ai amplement, j'ai surabondamment de quoi vous convaincre.
Avant de poursuivre la série des faits, je dois placer ici une observation qui a son importance: au début, Lagardère fit cette substitution d'enfant pour tromper mes poursuites; cela est évident. En ce temps, il avait l'intention de reprendre l'héritière de Nevers à un moment donné, pour s'en servir selon l'intérêt de son ambition.
Mais ses vues changèrent. Monseigneur comprendra ce revirement d'un seul mot: il devint amoureux de la gitanita.
Dès lors la véritable Nevers fut condamnée. Il ne s'agit plus dès lors d'obtenir rançon. – L'horizon s'élargissait. L'aventurier hardi fit ce rêve d'asseoir sa maîtresse sur le fauteuil ducal et d'être l'époux de l'héritière de Nevers…
Le régent s'agita sous sa couverture et son visage exprima une sorte de malaise.
La plausibilité d'un fait varie suivant les mœurs et le caractère de l'auditeur. Philippe d'Orléans n'avait peut-être pas donné grande foi à ce romanesque dévouement de Gonzague, à ces travaux d'Hercule entrepris pour accomplir la parole donnée à un mourant, – mais ce calcul prêté à Lagardère lui sautait aux yeux, comme on dit vulgairement, et l'éblouissait tout à coup.
L'entourage du régent et sa propre nature répugnaient aux conceptions tragiques; – mais les comédies d'intrigue s'assimilaient à lui tout naturellement.
Il fut frappé, – frappé au point de ne pas voir avec quelle adresse Gonzague avait jeté les prémisses de cet hypothétique argument; – frappé au point de ne pas se dire que l'échange opéré entre les deux enfants rentrait dans ces faits romanesques qu'il n'avait point admis.
L'histoire entière se teignit tout à coup pour lui d'une nuance de réalité.
Ce rêve de l'aventurier Lagardère était si logiquement indiqué par la situation qu'il fit rayonner sa probabilité sur tout le reste.
Gonzague remarqua parfaitement l'effet produit. Il était trop adroit pour s'en prévaloir sur-le-champ. Depuis une demi-heure, il avait cette conviction que le régent savait minute par minute tout ce qui s'était passé depuis deux jours.
Il tournait ses batteries en conséquence.
Philippe d'Orléans avait la réputation d'entretenir une police qui n'était point sous les ordres de M. de Machault, – et Gonzague avait souvent eu l'idée que, dans les rangs mêmes de son bataillon sacré, une ou plusieurs mouches pouvaient bien se trouver.
Le mot mouche était particulièrement à la mode sous la régence. Le genre masculin et la désinence argotique que notre époque a donnée à ce nom l'ont banni du vocabulaire des honnêtes gens.
Gonzague cavait au pis. Ce n'était que prudence. Il jouait son jeu comme si le régent eût vu toutes ses cartes.
– Monseigneur, reprit-il, – peut être bien persuadé que je n'attache pas plus d'importance qu'il ne faut à ce détail. Étant donné Lagardère avec son intelligence et son audace, la chose devait être ainsi. Elle est. J'en avais les preuves avant l'arrivée de Lagardère à Paris. Depuis son arrivée, l'abondance des preuves nouvelles rend les anciennes absolument superflues.
Madame la princesse de Gonzague, qui n'est point suspecte de me prêter trop souvent son aide, renseignera Votre Altesse Royale à ce sujet.
Mais revenons à nos faits. – Le voyage de Lagardère dura deux ans. Au bout de ces deux années, la gitanita, instruite par les saintes filles de l'Incarnation, était méconnaissable. Lagardère, en la voyant, dut concevoir le dessein dont nous venons de parler. Les choses changèrent. La prétendue Aurore de Nevers eut une maison, une gouvernante et un page, afin que les apparences fussent sauvegardées.
Le plus curieux, c'est que la véritable Nevers et sa remplaçante se connaissaient et qu'elles s'aimaient. – Je ne puis croire que la maîtresse de Lagardère soit de bonne foi: cependant, ce n'est pas impossible.
Il est assez adroit pour avoir laissé à cette belle enfant sa candeur tout entière.
Ce qui est certain, c'est qu'il faisait des façons pour recevoir chez lui, à Madrid, la vraie Nevers, et qu'il avait défendu à sa maîtresse de la recevoir, – parce qu'elle avait une conduite trop légère…
Ici Gonzague eut un rire amer.
– Madame la princesse, reprit-il, a dit devant le tribunal de famille: «Ma fille n'eût-elle oublié qu'un instant la fierté de sa race, je voilerais ma face en m'écriant: Nevers est mort tout entier!..» Ce sont ses propres paroles… Hélas! monseigneur, la pauvre enfant a cru que je raillais sa misère quand je lui parlai pour la première fois de sa race.
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