Le Bossu Volume 6. Féval Paul

Le Bossu Volume 6 - Féval Paul


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qui tendit la plume à Aurore.

      Elle hésita. Il la regarda:

      – Signez votre vrai nom, murmura-t-il, puisque vous le savez!

      Aurore se pencha sur le parchemin et signa.

      On vit dona Cruz, penchée au-dessus de son épaule, faire un vif mouvement de surprise.

      – Est-ce fait? Est-ce fait? demandèrent les curieux.

      Le bossu, les contenant du geste, prit la plume à son tour et signa.

      – C'est fait, dit-il, – venez voir… Ça va vous étonner!..

      Chacun se précipita. – Le bossu avait jeté la plume pour prendre négligemment l'épée.

      – Attention! murmura Cocardasse junior.

      – On y est, répondit résolûment frère Passepoil.

      Gonzague et Peyrolles arrivèrent les premiers.

      Gonzague et Peyrolles en voyant l'en-tête du contrat reculèrent de trois pas.

      – Qu'y a-t-il? le nom! le nom! criaient ceux qui étaient par derrière.

      Le bossu avait promis d'étonner son monde. Il tint parole. – On vit en ce moment ses jambes déformées se redresser tout à coup, son torse grandir et l'épée s'affermir dans sa main.

      – Apapur! grommela Cocardasse; lou couquin faisait bien d'autres tours dans la cour des Fontaines!..

      Le bossu, en se redressant, avait rejeté ses cheveux en arrière; sur ce corps droit, robuste, élégant, une noble et belle tête rayonnait.

      – Venez le lire, le nom! dit-il en promenant son regard étincelant sur la foule stupéfaite.

      En même temps le bout de son épée piqua la signature.

      Tous les regards suivirent ce mouvement. – Une grande clameur, faite d'un seul nom, emplit la salle.

      – Lagardère! Lagardère!

      – Lagardère! répéta celui-ci, – qui ne manque jamais aux rendez-vous qu'il donne!

      Dans ce premier mouvement de stupeur, il aurait pu percer peut-être les rangs de ses ennemis en désordre.

      Mais il ne bougea pas. – Il tenait d'une main Aurore tremblante serrée contre sa poitrine; de l'autre, il avait l'épée haute.

      Cocardasse et Passepoil, qui avaient dégainé tous deux, se tenaient debout derrière lui.

      Gonzague dégaina à son tour. Tous ses affidés l'imitèrent.

      En somme, ils étaient au moins dix contre un.

      Dona Cruz voulut se jeter entre les deux camps. Peyrolles la saisit à bras-le-corps et l'enleva.

      – Il ne faut pas que cet homme sorte d'ici, messieurs! prononça le prince, la pâleur aux lèvres et les dents serrées. En avant!

      Navailles, Nocé, Choisy, Gironne et les autres gentilshommes chargèrent impétueusement.

      Lagardère n'avait pas même mis la table entre lui et ses ennemis.

      Sans lâcher la main d'Aurore, il la couvrit et se mit en garde. Cocardasse et Passepoil l'appuyaient à droite et à gauche.

      – Va bien! ma caillou! fit le Gascon; – nous sommes à jeun depuis plus de six mois!.. Va bien!

      – J'y suis! j'y suis! cria Lagardère en poussant sa première botte.

      Après quelques secondes les gens de Gonzague reculèrent. Gironne et Albret gisaient sur le sol dans une mare de sang.

      Lagardère et ses deux braves, sans blessures, immobiles comme trois statues, attendaient le second choc.

      – Monsieur de Gonzague, dit Lagardère, – vous avez voulu faire une parodie de mariage… le mariage est bon!.. Il a votre propre signature…

      – En avant! En avant! cria le prince qui écumait de fureur.

      Cette fois il s'avançait en tête de ses gens…

      Quatre heures de nuit sonnèrent à la pendule.

      Un grand bruit se fit au dehors et des coups retentissants furent frappés contre la porte extérieure, tandis qu'une voix criait:

      – Au nom du roi!..

      C'était un étrange aspect que celui de ce salon où l'orgie laissait partout ses traces. La table était encore couverte de mets et de flacons à demi vides. Les verres renversés çà et là mettaient de larges taches de vin parmi les sanglantes éclaboussures du combat.

      Au fond, du côté du cabinet, où naguère était la corbeille de mariage et qui maintenant servait d'asile à maître Griveau aîné, plus mort que vif, le groupe composé de Lagardère, d'Aurore et des deux prévôts d'armes, se tenait immobile et muet. – Au milieu du salon, Gonzague et ses gens, arrêtés dans leur élan par ce cri, au nom du roi! regardaient avec épouvante la porte d'entrée.

      Dans tous les coins, les femmes, folles de terreur, se cachaient.

      Entre les deux groupes, deux cadavres dans une mare d'un rouge noir.

      Les gens qui frappaient à cette heure de nuit à la porte de M. le prince de Gonzague, s'attendaient bien sans doute à ce qu'on ne leur ouvrirait point tout de suite. C'étaient les gardes-françaises et les exempts du Châtelet, que nous avons vus successivement dans la cour de l'hôtel de Lamoignon et au cimetière Saint-Magloire.

      Leurs mesures étaient prises d'avance. – Après trois sommations faites coup sur coup, la porte soulevée fut jetée hors de ses gonds.

      Dans le salon, on put entendre le bruit de la marche des soldats.

      Gonzague eut froid jusque dans la moelle de ses os. – Était-ce la justice qui venait pour lui?

      – Messieurs, dit-il en remettant l'épée au fourreau, on ne résiste pas aux gens du roi…

      Mais il ajouta tout bas:

      – Jusqu'à voir!..

      Baudon de Boisguiller, capitaine aux gardes, parut sur le seuil et répéta:

      – Messieurs, au nom du roi!

      Puis, saluant froidement le prince de Gonzague, il s'effaça pour laisser entrer les soldats.

      Les exempts pénétrèrent à leur tour dans le salon.

      – Monsieur, que signifie ceci? demanda Gonzague.

      Boisguiller regarda les deux cadavres gisant sur le parquet, puis le groupe composé de Lagardère et de ses deux braves qui gardaient tous trois l'épée à la main.

      – Tubieu!.. murmura-t-il; on disait bien que c'était un fier soldat!

      – Prince, ajouta-t-il en se tournant vers Gonzague, je suis cette nuit aux ordres de la princesse votre femme…

      – Et c'est la princesse ma femme…! commença Gonzague furieux…

      Il n'acheva pas. La veuve de Nevers paraissait à son tour sur le seuil. Elle avait ses vêtements de deuil.

      A la vue de ces femmes, de ces peintures caractéristiques qui couvraient les lambris, à la vue de ces débris mêlés de débauche et de bataille, la princesse rabattit son voile sur son visage.

      – Je ne viens pas pour vous, monsieur, dit-elle en s'adressant à son mari.

      Puis s'avançant vers Lagardère:

      – Les vingt-quatre heures sont écoulées, monsieur de Lagardère, reprit-elle; vos juges sont assemblés… rendez votre épée.

      – Et cette femme est ma mère! balbutia Aurore qui se couvrit le visage de ses mains.

      – Messieurs, poursuivit la princesse qui se tourna vers les gardes, faites votre devoir.

      Lagardère jeta son épée aux pieds de Baudon de Boisguiller.

      Gonzague et les siens ne faisaient pas un mouvement, ne


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