Le Bossu Volume 6. Féval Paul

Le Bossu Volume 6 - Féval Paul


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fille! répéta la princesse, dont la voix trembla.

      – Il ment! dit Gonzague.

      Lagardère ne releva point cette injure.

      – J'avais demandé vingt-quatre heures pour vous rendre mademoiselle de Nevers, prononça-t-il avec lenteur, tandis que sa belle tête hautaine dominait courtisans et soldats; la vingt-quatrième heure a sonné… voici mademoiselle de Nevers.

      Les deux mains froides de la mère et de la fille se touchèrent.

      La princesse ouvrit ses bras. Aurore y tomba en pleurant.

      Une larme vint aux yeux de Lagardère.

      – Protégez-là, madame, dit-il en faisant effort pour vaincre son trouble; aimez-la… Elle n'a plus que vous!

      Aurore s'arracha des bras de sa mère pour courir à lui. Il la repoussa doucement.

      – Adieu, Aurore, reprit-il; nos fiançailles n'auront pas de lendemain… gardez ce contrat qui vous fait ma femme devant les hommes, ainsi que vous l'étiez devant Dieu depuis hier… Madame la princesse vous pardonnera cette mésalliance, contractée avec un mort.

      Il baisa une dernière fois la main de la jeune fille, salua profondément la princesse, et gagna la porte en disant:

      – Conduisez-moi devant mes juges!

      LE TÉMOIGNAGE DU MORT

      I

      – La chambre à coucher du régent. —

      Il était huit heures du matin, environ. Le marquis de Cossé, le duc de Brissac, le poëte la Fare et trois dames parmi lesquelles le vieux le Bréant, concierge de la cour aux Ris, avait cru reconnaître la duchesse de Berry, venaient de sortir du Palais-Royal par la petite porte dont nous avons parlé déjà plusieurs fois. Le régent était seul avec l'abbé Dubois dans sa chambre à coucher et faisait, en présence du futur cardinal, ses apprêts pour se mettre au lit.

      On avait soupé au Palais-Royal comme chez M. le prince de Gonzague: c'était la mode. Mais le souper du Palais-Royal s'était achevé plus gaiement.

      De nos jours, des écrivains très-méritants et très-sérieux cherchent à réhabiliter la mémoire de ce bon abbé Dubois, sous différents prétextes: d'abord parce que, disent-ils, le pape le fit cardinal. – Mais le pape ne faisait pas toujours les cardinaux qu'il voulait.

      En second lieu, parce que l'éloquent et vertueux Massillon fut son ami. Cette raison serait mieux sonnante s'il était prouvé que les hommes vertueux ne peuvent avoir un faible pour les coquins.

      Mais depuis que l'histoire parle, l'histoire s'amuse à prouver le contraire.

      Du reste, si l'abbé Dubois était vraiment un petit saint, Dieu lui doit une bien belle place en son paradis, car jamais homme ne fut martyrisé par un tel ensemble de calomnies.

      Le prince avait le vin somnolent. Il dormait debout ce matin, tandis que son valet de chambre l'accommodait et que Dubois à demi ivre (du moins en apparence, car il ne faut jurer de rien) lui chantait l'excellence des mœurs anglaises.

      Le prince aimait beaucoup les Anglais, mais il écoutait peu et pressait la besogne de son valet de chambre.

      – Va te coucher, Dubois, mon ami, dit-il au futur prélat, – et ne me romps pas les oreilles.

      – J'irai me coucher tout à l'heure, répliqua l'abbé, – mais savez-vous la différence qu'il y a entre votre Mississipi et le Gange?.. entre vos escadrilles et leurs flottes?.. entre les cabanes de votre Louisiane et le palais de leur Bengale?.. savez-vous que vos Indes à vous sont un mensonge et qu'ils ont, eux, le vrai pays des Mille et une Nuits, la patrie des trésors inépuisables, la terre des parfums, la mer pavée de perles, les montagnes dont le flanc recèle les diamants?..

      – Tu es gris, Dubois, mon vénérable précepteur… va te coucher!

      – Votre Altesse Royale est sans doute à jeun! repartit l'abbé en riant; – je ne vous dis plus qu'un mot: Étudiez l'Angleterre… resserrez les liens…

      – Vivedieu! s'écria le prince; – tu as fait ce qu'il fallait et au delà pour gagner les pensions dont lord Stair te paye fidèlement les arrérages… Abbé, va te coucher!

      Dubois prit son chapeau en grondant et gagna la porte.

      La porte s'ouvrit comme il allait sortir et un valet annonça M. de Machault.

      – A midi, M. le lieutenant de police, dit le régent avec mauvaise humeur; – ces gens jouent avec ma santé… Ils me tueront.

      – M. de Machault, insista le valet, – a des communications importantes…

      – Je les connais! interrompit le régent; – il veut me dire que Cellamare intrigue… que le roi Philippe d'Espagne est de caractère chagrin… qu'Alberoni voudrait être pape… que madame du Maine voudrait être régente… A midi… ou plutôt à une heure… je me sens mal à l'aise.

      Le valet sortit. – Dubois revint jusqu'au milieu de la chambre.

      – Tant que vous aurez l'appui de l'Angleterre, dit-il, – toutes ces méchantes petites intrigues…

      – Par la corbieu! coquin! veux-tu bien t'en aller! s'écria le régent.

      Dubois ne parut point formalisé. Il se dirigea de nouveau vers la porte, – et de nouveau la porte s'ouvrit.

      – Monsieur le secrétaire d'État le Blanc! annonça le valet.

      – Au diable! fit Son Altesse Royale qui mettait son pied nu sur le tabouret pour monter dans son lit.

      Le valet ferma la porte à demi, mais il ajouta, collant sa bouche à la fente:

      – Monsieur le secrétaire d'État a des communications importantes…

      – Ils ont tous des communications importantes! fit le régent de France en posant sa tête embéguinée sur l'oreiller garni de malines; – cela les divertit de feindre une grande frayeur d'Alberoni ou des du Maine… Ils croient se rendre nécessaires!.. ils se rendent importuns, voilà tout!.. A une heure, M. le Blanc… avec M. de Machault… ou plutôt à deux heures… je sens que je dormirai bien jusque-là!

      Le valet sortit. Philippe d'Orléans ferma les yeux.

      – L'abbé est-il encore là? demanda-t-il à son valet de chambre.

      – Je m'en vais… je m'en vais!.. se hâta de répondre Dubois.

      – Non… viens çà, abbé… Tu vas m'endormir… n'est-ce pas une chose étrange que je n'aie pas une heure pour me reposer de mes fatigues?.. pas une heure!.. ils viennent au moment où je me mets au lit… je meurs à la peine, vois-tu, abbé… mais cela ne les inquiète point.

      – Son Altesse Royale, demanda Dubois, – veut-elle que je lui fasse la lecture?

      – Non… réflexion faite, va-t'en… je te charge de m'excuser poliment auprès de ces messieurs… j'ai passé la nuit à travailler… ma migraine m'a pris, comme toujours quand j'écris à la lampe…

      Il poussa un profond soupir et acheva:

      – Tout cela me tue! positivement!.. et le roi de me demander encore à son lever… et M. de Fleury pincera ses lèvres de vieille comtesse!.. mais avec la meilleure volonté du monde, on ne peut pas tout faire… Palsambleu! ce n'est pas un métier de paresseux que de gouverner la France!

      Sa tête fit un trou plus profond dans l'oreiller moelleux. On entendit sa respiration égale et bruyante. – Il dormait.

      L'abbé Dubois échangea un regard avec le valet de chambre. Ils se prirent à rire tous les deux.

      Quand le régent était en belle humeur, il appelait l'abbé Dubois: maraud. Il y avait du laquais beaucoup chez cette Éminence en herbe. – Mais cela n'empêche pas d'être un saint.

      Dubois sortit. M. de Machault et le ministre le Blanc étaient


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