Le Bossu Volume 6. Féval Paul

Le Bossu Volume 6 - Féval Paul


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te l'éveiller, bossu! dit Navailles.

      Ésope II avait un miroir d'une main et un peigne de l'autre.

      – Chère belle, dit-il à la Desbois au lieu de répondre, un coup par derrière à ma coiffure!

      Puis, se tournant vers Navailles:

      – Elle est à moi, reprit-il, comme vous êtes à Gonzague, mes bons enfants… ou plutôt à votre propre ambition!.. Elle est à moi comme ce cher M. Oriol est à son orgueil… comme cette jolie Nivelle est à son avarice… comme vous êtes tous à votre péché capital mignon!.. Ma belle Fleury, refaites le nœud de ma cravate…

      – Voilà! dit en ce moment maître Griveau aîné; on peut signer.

      – Avez-vous écrit les noms des mariés? demanda Gonzague.

      – Je les ignore, répondit le notaire.

      – Ton nom, l'ami? reprit le prince.

      – Signez toujours, signez, monseigneur, répartit Ésope II d'un ton léger; – signez aussi, messieurs, car j'espère bien que vous me faites tous cet honneur… j'écrirai mon nom moi-même… c'est un drôle de nom, et qui vous fera rire.

      – Au fait, comment diable peut-il s'appeler? dit Navailles.

      – Signez toujours, signez… Monseigneur, j'aimerais avoir vos manchettes pour cadeau de noces.

      Gonzague détacha aussitôt ses manchettes de dentelles et les lui jeta à la volée. – Puis il s'approcha de la table pour signer.

      Ces messieurs s'ingéniaient à trouver un nom pour le bossu.

      – Ne cherchez pas, dit-il en agrafant les manchettes de Gonzague, – vous ne trouveriez jamais… Monsieur de Navailles, vous avez un beau mouchoir.

      Navailles lui donna son mouchoir. Chacun voulut ajouter quelque chose à sa toilette: une épingle, une boucle, un nœud de rubans.

      Il se laissait faire et s'admirait dans son miroir.

      Ces messieurs cependant signaient chacun à son tour. Le nom de Gonzague était en tête.

      – Allez voir si ma femme est prête! dit le bossu à Choisy qui lui attachait un jabot de malines.

      – La mariée! voici la mariée! cria-t-on à ce moment.

      Aurore parut sur le seuil du boudoir en blanc costume de mariée et portant dans ses cheveux les fleurs d'oranger symboliques. Elle était belle admirablement; – mais ses traits pâles gardaient cette étrange immobilité qui la faisait ressembler à une charmante statue.

      Elle était toujours sous le coup du maléfice.

      Il y eut à sa vue un long murmure d'admiration. – Quand les regards se détournèrent d'elle pour retomber sur le bossu, chacun éprouva un sentiment pénible.

      Le bossu, lui, battait des mains avec transport et répétait:

      – Corbleu! j'ai une belle femme!.. A nous deux maintenant, ma charmante!.. à notre tour de signer.

      Il prit sa main des mains de dona Cruz qui la soutenait.

      On s'attendait à quelque marque de répugnance, mais Aurore le suivit avec une docilité parfaite.

      En se retournant pour gagner la table où maître Griveau aîné avait fait signer tout le monde, le regard d'Ésope II rencontra le regard de Cocardasse junior qui venait de rentrer avec son compagnon Passepoil.

      Ésope II cligna de l'œil en touchant son flanc d'un geste rapide.

      Cocardasse comprit, car il lui barra le passage en s'écriant:

      – Capédébiou! Il manque quelque chose à la toilette!

      – Quoi donc? quoi donc?.. fit-on de toutes parts.

      – Quoi donc? répéta le bossu lui-même innocemment.

      – Apapur! répliqua le Gascon, depuis quand un gentilhomme se marie-t-il sans épée?

      Ce ne fut qu'un cri dans toute l'honorable assistance.

      – C'est vrai! c'est vrai! réparons cet oubli! Une épée au bossu! Il n'est pas encore assez drôle comme cela.

      Navailles mesura de l'œil les rapières, tandis qu'Ésope II faisait des façons et murmurait:

      – Je ne suis pas habitué… cela gênerait mes mouvements.

      Parmi toutes ces épées de parade, il y avait une longue et forte rapière de combat, c'était celle de ce bon M. de Peyrolles, qui ne plaisantait jamais.

      Navailles détacha bon gré mal gré l'épée de Peyrolles.

      – Il n'est pas besoin… il n'est pas besoin… répétait Ésope II, dit Jonas.

      On lui ceignit l'épée en jouant.

      Cocardasse et Passepoil remarquèrent bien qu'en touchant la garde, sa main eut comme un frémissement volontaire et joyeux.

      Il n'y eut que Cocardasse et Passepoil à remarquer cela.

      Quand on lui eut ceint l'épée, le bossu ne protesta plus. C'était chose faite. Mais cette arme qui pendait à son flanc lui donna tout à coup un surcroît de fierté. – Il se prit à marcher en se pavanant d'une façon si burlesque, que la gaieté éclata de toutes parts. On se rua sur lui pour l'embrasser; on le pressa; on le tourna et retourna comme une poupée. Il avait un succès fou!

      Il se laissait faire bonnement. – Arrivé devant la table, il dit:

      – La! la!.. vous me chiffonnez… Ne serrez pas ma femme de si près, je vous prie… et donnez-moi trêve, messieurs mes bons amis, afin que nous puissions régulariser le contrat.

      Maître Griveau aîné était toujours devant la table. Il tenait la plume en arrêt au-dessus de l'en-tête du contrat.

      – Vos noms, s'il vous plaît, dit-il, – vos prénoms, qualités, lieu de naissance…

      Le bossu donna un petit coup de pied dans la chaise du notaire-tabellion-garde-note.

      Celui-ci se retourna pour regarder.

      – Avez-vous signé? demanda le bossu.

      – Sans doute, répondit maître Griveau aîné.

      – Alors, allez en paix, mon brave homme, dit le bossu qui le poussa de côté.

      Il s'assit gravement à sa place. – Et l'assemblée de rire.

      Tout ce que faisait le bossu était désormais matière à hilarité.

      – Pourquoi diable veut-il écrire son nom lui-même? demanda cependant Navailles.

      Peyrolles causait bas avec M. de Gonzague qui haussait les épaules.

      Peyrolles voyait dans ce qui se passait un sujet d'inquiétude. Gonzague se moquait de lui en l'appelant trembleur.

      – Vous allez voir! répondait cependant le bossu à la question de Navailles.

      Il ajouta avec son petit ricanement sec:

      – Ça va bien vous étonner… vous allez voir… buvez en attendant.

      On suivit son conseil. Les verres s'emplirent.

      Le bossu commença à emplir les blancs d'une main large et ferme.

      – Au diable l'épée! fit-il en essayant de la placer dans une position moins gênante.

      Nouvel éclat de rire. Le bossu s'embarrassait de plus en plus dans son harnois de guerre. La grande épée semblait pour lui un instrument de torture.

      – Il écrira! firent les uns.

      – Il n'écrira pas! ripostèrent les autres.

      Le bossu, au comble de l'impatience, arracha l'épée du fourreau et la posa toute nue sur la table à côté de lui.

      On rit encore. – Cocardasse serra le bras de Passepoil:

      – Sandiéou! voici


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