Le Bossu Volume 6. Féval Paul

Le Bossu Volume 6 - Féval Paul


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avons tort, monseigneur, interrompit Gonzague en altérant sa voix; Dieu se venge!

      – Comme tu prends cela!.. As-tu quelque chose à me dire?

      – Beaucoup de choses, monseigneur… Deux meurtres ont été commis à mon pavillon, cette nuit.

      – Le chevalier de Lagardère, je parie! s'écria Philippe d'Orléans qui se mit d'un bond sur son séant; tu as eu tort, si tu as fait cela, Philippe… sur ma parole, tu as confirmé des soupçons…

      Il n'avait plus sommeil. Ses sourcils se fronçaient tandis qu'il regardait Gonzague.

      Celui-ci s'était redressé de toute sa hauteur; sa belle tête avait une admirable expression de fierté.

      – Des soupçons! répéta-t-il comme s'il n'eût pu réprimer son premier mouvement de hauteur.

      Puis il ajouta d'un accent pénétré:

      – Monseigneur a donc eu des soupçons contre moi!..

      – Eh bien! oui, répliqua le régent après un court silence; j'ai eu des soupçons… ta présence les éloigne, car tu as le regard d'un homme loyal… tâche que ta parole les dissipe: je t'écoute.

      – Monseigneur veut-il me faire la grâce de me dire quels sont les soupçons qu'il a eus?

      – Il y en a d'anciens… il y en a de nouveaux.

      – Les anciens d'abord, si monseigneur daigne y consentir…

      – La veuve de Nevers était riche… tu étais pauvre… Nevers était notre frère…

      – Et je n'aurais pas dû épouser la veuve de Nevers?

      Le régent remit la tête sur le coude et ne répondit point.

      – Monseigneur, reprit Gonzague qui baissa les yeux, je vous l'ai dit: nous avons trop raillé… ces choses de cœur sonnent mal entre nous…

      – Que veux-tu dire?.. explique-toi.

      – Je veux dire que s'il est en ma vie une action qui me doive honorer, c'est celle-là… Notre bien-aimé Nevers mourut entre mes bras, vous le savez, je vous le dis… vous savez aussi que j'étais au château de Caylus pour fléchir l'aveugle entêtement du vieux marquis… la chambre ardente, dont je vais parler tout à l'heure, m'a déjà entendu comme témoin, ce matin…

      – Ah!.. interrompit le régent, et dis-moi quel arrêt a rendu la chambre ardente? Ce Lagardère n'a donc pas été tué chez toi?

      – Si monseigneur m'avait laissé poursuivre…

      – Poursuis… poursuis… je cherche la vérité, je t'en préviens… rien que la vérité.

      Gonzague s'inclina froidement.

      – Aussi, répliqua-t-il, je parle à Votre Altesse Royale non plus comme à mon ami, mais comme à mon juge… Lagardère n'a pas été tué chez moi cette nuit… C'est Lagardère qui a tué, cette nuit, chez moi, le financier Albret et le cadet de Gironne…

      – Ah!.. fit pour la seconde fois le régent; – et comment ce Lagardère était-il chez toi?

      – Je crois que madame la princesse pourrait vous le dire, répondit Gonzague.

      – Prends garde!.. celle-là est une sainte…

      – Celle-là déteste son mari, monseigneur! prononça Gonzague avec force; – je n'ai pas foi aux saintes que Votre Altesse Royale canonise!

      Il put marquer un point, car le régent sourit au lieu de s'irriter.

      – Allons, allons, mon pauvre Philippe, dit Son Altesse Royale, – j'ai peut-être été un peu dur… mais c'est que, vois-tu, il y a scandale… tu es un grand seigneur… les scandales qui tombent de haut font du bruit… tant de bruit qu'ils ébranlent le trône… je sens cela, moi qui m'assieds tout près… Reprenons les choses de haut… Tu prétends que ton mariage avec Aurore de Caylus fut une bonne action: prouve-le.

      – Est-ce une bonne action, répliqua Gonzague avec une chaleur admirablement jouée, – que d'accomplir le dernier vœu d'un mourant?

      Le régent resta bouche béante à le regarder.

      Il y eut entre eux un long silence.

      – Tu n'oserais pas mentir sur ce sujet, murmura enfin Philippe d'Orléans, – mentir à moi… Je te crois.

      – Monseigneur, repartit Gonzague, – vous me traitez de telle sorte que cette entrevue sera la dernière entre nous deux… les gens de ma maison ne sont point habitués à entendre même les princes leur parler comme vous le faites… Que je purge les accusations portées contre moi et je dirai adieu pour toujours à l'ami de ma jeunesse qui m'a repoussé quand j'étais malheureux… Vous me croyez! c'est bien: cela me suffit…

      – Philippe, murmura le régent dont la voix trahissait une sérieuse émotion; – justifiez-vous seulement, et, sur ma parole, vous verrez si je vous aime!

      – Alors, dit Gonzague, – je suis accusé.

      Comme le duc d'Orléans gardait le silence, il reprit avec cette dignité calme qu'il savait si bien feindre à l'occasion:

      – Que monseigneur m'interroge, je lui répondrai comme à mon juge.

      Le régent se recueillit un instant et dit:

      – Vous avez assisté à ce drame sanglant qui eut lieu dans les fossés de Caylus?

      – Oui, monseigneur, repartit Gonzague; – j'ai défendu votre ami et le mien au risque de ma vie. C'était mon devoir.

      – C'était votre devoir… et vous reçûtes son dernier soupir?

      – Avec ses dernières paroles… oui, monseigneur.

      – Ce qu'il vous demanda, je désire le savoir.

      – Mon intention n'était pas de le cacher à Votre Altesse Royale… notre malheureux ami me dit: je répète textuellement ses paroles: Sois l'époux de ma femme, afin d'être le père de ma fille!

      La voix de Gonzague ne trembla pas tandis qu'il proférait ce mensonge impie.

      Le régent était absorbé dans ses réflexions.

      Sur son visage intelligent et pensif, la fatigue restait, mais les traces de l'ivresse s'étaient évanouies.

      – Vous avez bien fait de remplir le vœu du mourant, dit-il; – c'était votre devoir… mais pourquoi taire cette circonstance pendant vingt années?

      – J'aime ma femme, répondit le prince sans hésiter; – je l'ai déjà dit à monseigneur.

      – Et en quoi cet amour pouvait-il vous fermer la bouche?

      Gonzague baissa les yeux et parvint à rougir.

      – Il eût fallu accuser le père de ma femme, murmura-t-il.

      – Ah!.. fit le régent; – l'assassin fut M. le marquis de Caylus?

      Gonzague courba la tête et poussa un profond soupir.

      Philippe d'Orléans fixait sur lui son regard avide et perçant.

      – Si l'assassin fut M. le marquis de Caylus, reprit-il, – que reprochez-vous à ce Lagardère?

      – Ce qu'on reproche, chez nous, en Italie, au bravo dont le stylet s'est vendu pour commettre un meurtre.

      – M. de Caylus avait acheté l'épée de ce Lagardère?

      – Oui, monseigneur… mais ce rôle subalterne ne dura qu'un jour… Lagardère l'échangea contre cet autre rôle actif qu'il joue de son chef et obstinément depuis dix-huit années… Lagardère enleva pour son propre compte la fille d'Aurore et les papiers, preuve de sa naissance…

      – Qu'avez-vous donc prétendu hier devant le tribunal de famille?.. interrompit le régent.

      – Monseigneur, répliqua Gonzague mettant à dessein


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