Victor, ou L'enfant de la forêt. Ducray-Duminil François Guillaume

Victor, ou L'enfant de la forêt - Ducray-Duminil François Guillaume


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encore au refus que je t'ai fait hier de te laisser voyager? Crois-tu que je puisse aisément me passer de toi, mon ami? Si c'est cela qui t'affecte, si tu viens encore m'en parler, je t'en avertis, nous nous fâcherons nous deux, mais sérieusement… Allons, mon Victor, consulte ton cœur, et s'il te dit que tu peux me quitter sans regret, je te laisserai partir sans peine.

      Ce peu de mots avait foudroyé Victor; il ne venait point réitérer sa demande, ce n'était point là ce qui l'amenait auprès de M. de Fritzierne; mais il avait le projet de lui en parler dans un autre moment, et tout son espoir s'évanouissait. Cependant l'intérêt de la veuve et de l'orphelin l'emporta sur le sien propre: il oublia ses affaires pour s'occuper de celles de ses protégés. Il se remit donc de la première impression que lui a faite la défense du baron. Mon père, lui dit-il, je ne viens point vous parler d'un projet qui a eu le malheur d'affecter hier votre sensibilité; je ne réitérerai point ma demande, puisqu'elle vous déplaît; un motif plus puissant m'engage à réclamer votre générosité – Qu'est-ce que c'est, mon fils? as-tu besoin de quelque chose? Parle, parle; que tes desirs soient inépuisables comme l'envie que j'ai de t'accabler de mes bienfaits. – Homme divin!.. ce n'est pas pour moi; non, ce n'est pas pour moi que je vous intercède; vos bontés savent prévenir mes moindres vœux, et je n'en puis plus former que pour votre bonheur!.. (en souriant un peu.) Vous allez peut-être trouver plaisant l'aveu que je vais vous faire… Une… une femme a passé la nuit dans ma chambre. – (souriant aussi.) Une femme? Quel âge? – Quarante ans, à-peu-près. – Oh! tu ne choisis pas bien. – Pardonnez-moi, mon père; je choisis très-bien, comme vous choisiriez; car c'est la vertu, c'est l'infortune à qui j'ai accordé l'hospitalité depuis une heure du matin. – Bon jeune homme! conte-moi donc cela. T'es-tu trouvé dans les grandes aventures? – Oh! très-grandes, mon père: écoutez-moi.

      Victor lui fait un récit exact de tout ce qui s'est passé pendant la nuit; il n'oublie rien, pas même les plus légères circonstances du songe de madame Wolf. Quand il a fini son récit, le baron s'écrie: Où est-elle, cette femme respectable, où est-elle? je veux la voir: si elle est digne de mon estime, de la tienne, je la garde ici, je la donne à ma fille pour compagne et pour amie.

      Victor court promptement chercher madame Wolf; elle descend, tenant son petit Hyacinthe par la main; elle se précipite aux genoux du baron, qui la relève avec bonté, lui adresse quelques questions, fait venir un domestique, et lui ordonne de préparer, sur-le-champ, un logement pour la veuve. Les larmes de madame Wolf inondent les mains du bon Fritzierne. Victor ne peut retenir les siennes, et le baron lui-même essuie sa paupière, que le sentiment a humectée de ses pleurs délicieux. Madame, dit-il à la veuve, mon fils m'a dit que vos aventures étaient un secret pour tout le monde; je le respecterai, et personne dans cette maison ne vous fera des questions qui pourraient troubler la tranquillité dont je veux que vous y jouissiez. Vous paraissez bien née; soyez la mère de ma fille: elle est encore enfant; c'est volage un peu, c'est étourdi: formez son esprit, son expérience; pour son cœur, je ne vous en parlerai pas; c'est le chef-d'œuvre de la nature, selon moi du moins; et je suis père!.. Mais Victor vous dira… Qu'en penses-tu, Victor? crois-tu que l'éloge soit outré?

      Victor, interdit par cette question, rougit, et balbutie gauchement un oui, monsieur, que l'on n'entend pas. Le baron continue: madame Wolf, dans quelques années d'ici, nous confierons votre Hyacinthe à mon Victor: vous ne pouvez pas lui choisir un meilleur instituteur. Il est jeune encore, mon Victor, il a dix-huit ans; mais je vous réponds que sa raison est solide, que son cœur est pur, que son esprit est cultivé. Je l'aime, oh! je l'aime!.. comme un tendre père aime un fils reconnaissant. Il n'est rien que je ne fisse, rien que je ne lui donnasse pour assurer son bonheur; tous les biens, tous les sacrifices qu'il me demanderait, il aurait tout, et il le sait bien. N'est-ce pas, Victor, que tu me crois bien capable de te donner tout ce qui te ferait plaisir, tout sans exception? – Sans exception; ah, mon père!.. – Il connaît bien mon amitié pour lui: c'est qu'il la mérite aussi. Bon Victor! je ne te ferai point d'éloge sur ta conduite de cette nuit: ton cœur t'a déjà récompensé; mais je te remercierai de m'avoir procuré l'occasion de faire le bien. Tu le sais, Victor; c'est m'obliger au-delà de toute expression, que m'amener des infortunés à secourir.

      M. de Fritzierne, après ce peu de mots, fit quelques tours de jardin avec Victor et madame Wolf. Cette femme estimable, qui entrevoyait enfin l'aurore du bonheur, après avoir éprouvé tant de chagrin, tant d'inquiétudes, sentait son cœur palpiter plus aisément. Elle pressait une des mains du baron tandis que de l'autre côté, Victor serrait contre son cœur l'autre main de cet homme généreux. On parla d'un genre de vie à régler, d'un plan d'éducation à suivre; ensuite tous se rendirent pour déjeûner au château, où Clémence attendait son père, sans se douter de la nouvelle compagne qu'il allait lui amener.

      Par un effet de la sympathie naturelle à deux cœurs qui s'aiment, Clémence avait mal dormi aussi pendant toute cette nuit. Sans savoir quelle était la cause du chagrin de Victor, elle avait remarqué, la veille, que le front de ce frère qu'elle chérissait, était surchargé de nuages; qu'il respirait avec peine, et qu'il semblait méditer quelque grand projet. Quelques mots même échappés à son père, lui avaient fait entrevoir que ce projet était de la quitter, de l'éloigner d'elle. Clémence perdre Victor! s'en voir séparée pour long-temps, peut-être pour jamais! cette idée est affreuse quand on aime! Clémence donc avait souffert toute la nuit, et s'était bien promis de prendre son frère à part dès le lendemain matin, de l'interroger, de lui arracher son fatal secret. Clémence formait ce dessein, lorsqu'elle vit arriver son père, Victor tenant un enfant dans ses bras, et tous deux suivis d'une femme dont les traits annonçaient la vertu et le malheur. Clémence se lève étonnée; son père lui prend la main: Ma fille, lui dit-il, depuis long-temps tu n'as plus de mère; je vais t'en donner une, une bien estimable, une que tu chériras sans doute autant que tu me chéris moi-même. Vois-tu cette respectable femme? nous la devons à Victor; oui, c'est ton bon frère qui, toujours sensible aux maux des infortunés, lui a sauvé la vie cette nuit, à elle et à cet enfant qu'elle a adopté. Elle n'a point d'asyle, ma fille, cette chère madame Wolf; point de parens, point d'amis! qu'elle trouve ici une fille, des frères, et une demeure sûre et tranquille. N'est-ce pas, ma fille, que tu approuves l'accueil et les offres que ton père vient de lui faire? – Mon père, chaque action que vous faites est un nouveau bienfait pour moi: cette dame, dont l'air m'inspire déjà le respect, est bien sûre de trouver en moi une fille, puisque mon père et mon frère l'ont adoptée.

      Madame Wolf, pénétrée de la grace et de la sensibilité de Clémence, lui demanda la permission de l'embrasser, non en qualité de mère, mais comme une amie, une tendre amie qui voulait toujours l'être. Clémence se livra à ces douces effusions, et l'on servit le déjeûner, pendant lequel on parla de la forêt, des dangers que madame Wolf y avait courus, et du secours que le ciel lui avait envoyé, en permettant que Victor entendît ses cris.

      Chacun se retira ensuite pour vaquer à ses diverses occupations. Madame Wolf fut se reposer dans son appartement, et Clémence ne songea plus qu'à chercher le moment favorable de parler en particulier à son frère. Tous deux avaient les mêmes affections, les mêmes inquiétudes; tous deux devaient se chercher, se plaindre, ou se consoler ensemble.

      CHAPITRE III.

      TRAIT DE LUMIÈRE

      Qu'il est délicat, l'amour qu'éprouve un cœur honnête pour un objet que la barrière des préjugés ou des devoirs; sépare pour jamais de lui! Comme il est malheureux aussi, cet amour pur et touchant que l'espoir ne peut alimenter! Tel le voyageur; séparé d'une terre délicieuse par un abîme qu'il ne peut franchir, fixe avec des yeux mouillés de larmes cette terre où tendaient tous ses pas; tel l'amant honnête et timide adore en silence, et sans oser exprimer sa tendresse, l'objet qu'il sait ne pouvoir jamais posséder. Il souffre, l'infortuné Victor; mais il est incapable de manquer aux devoirs sacrés de la reconnoissance et de l'hospitalité. Son amour est cependant à son comble: il lui est impossible d'aimer moins ou d'aimer davantage; il faut absolument qu'il prenne un parti, sans quoi il se trahira, il parlera, ou bien il mourra de douleur. Un jour, un seul jour peut lui faire rompre le silence, le perdre pour jamais, et avec lui, peut-être, l'objet charmant dont il est épris.

      Oh!


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