De l'origine des espèces. Darwin Charles
plus, sous le rapport de la grosseur, que ne le font les graines des espèces distinctes dans un genre quelconque appartenant aux deux mêmes familles. Cette remarque s'applique aux fruits des différentes variétés de pruniers, plus encore aux melons et à un grand nombre d'autres cas analogues.
Résumons en quelques mots ce qui est relatif à l'origine de nos races d'animaux domestiques et de nos plantes cultivées. Les changements dans les conditions d'existence ont la plus haute importance comme cause de variabilité, et parce que ces conditions agissent directement sur l'organisme, et parce qu'elles agissent indirectement en affectant le système reproducteur. Il n'est pas probable que la variabilité soit, en toutes circonstances, une résultante inhérente et nécessaire de ces changements. La force plus ou moins grande de l'hérédité et celle de la tendance au retour déterminent ou non la persistance des variations. Beaucoup de lois inconnues, dont la corrélation de croissance est probablement la plus importante, régissent la variabilité. On peut attribuer une certaine influence à l'action définie des conditions d'existence, mais nous ne savons pas dans quelles proportions cette influence s'exerce. On peut attribuer quelque influence, peut-être même une influence considérable, à l'augmentation d'usage ou du non-usage des parties. Le résultat final, si l'on considère toutes ces influences; devient infiniment complexe. Dans quelques cas le croisement d'espèces primitives distinctes semble avoir joué un rôle fort important au point de vue de l'origine de nos races. Dès que plusieurs races ont été formées dans une région quelle qu'elle soit, leur croisement accidentel, avec l'aide de la sélection, a sans doute puissamment contribué à la formation de nouvelles variétés. On a, toutefois, considérablement exagéré l'importance des croisements, et relativement aux animaux, et relativement aux plantes qui se multiplient par graines. L'importance du croisement est immense, au contraire, pour les plantes qui se multiplient temporairement par boutures, par greffes etc., parce que le cultivateur peut, dans ce cas, négliger l'extrême variabilité des hybrides et des métis et la stérilité des hybrides; mais les plantes qui ne se multiplient pas par graines ont pour nous peu d'importance, leur durée n'étant que temporaire. L'action accumulatrice de la sélection, qu'elle soit appliquée méthodiquement et vite, ou qu'elle soit appliquée inconsciemment, lentement, mais de façon plus efficace, semble avoir été la grande puissance qui a présidé à toutes ces causes de changement.
CHAPITRE II. DE LA VARIATION À L'ÉTAT DE NATURE
Variabilité. – Différences individuelles. – Espèces douteuses. – Les espèces ayant un habitat fort étendu, les espèces très répandues et les espèces communes sont celles qui varient le plus. – Dans chaque pays, les espèces appartenant aux genres qui contiennent beaucoup d'espèces varient plus fréquemment que celles appartenant aux genres qui contiennent peu d'espèces. – Beaucoup d'espèces appartenant aux genres qui contiennent un grand nombre d'espèces ressemblent à des variétés, en ce sens qu'elles sont alliées de très près, mais inégalement, les unes aux autres, et en ce qu'elles ont un habitat restreint.
VARIABILITÉ
Avant d'appliquer aux êtres organisés vivant à l'état de nature les principes que nous avons posés dans le chapitre précédent, il importe d'examiner brièvement si ces derniers sont sujets à des variations. Pour traiter ce sujet avec l'attention qu'il mérite, il faudrait dresser un long et aride catalogue de faits; je réserve ces faits pour un prochain ouvrage. Je ne discuterai pas non plus ici les différentes définitions que l'on a données du terme espèce. Aucune de ces définitions n'a complètement satisfait tous les naturalistes, et cependant chacun d'eux sait vaguement ce qu'il veut dire quand il parle d'une espèce. Ordinairement le terme espèce implique l'élément inconnu d'un acte créateur distinct. Il est presque aussi difficile de définir le terme variété; toutefois, ce terme implique presque toujours une communauté de descendance, bien qu'on puisse rarement en fournir les preuves. Nous avons aussi ce que l'on désigne sous le nom de monstruosités; mais elles se confondent avec les variétés. En se servant du terme monstruosité, on veut dire, je pense, une déviation considérable de conformation, ordinairement nuisible ou tout au moins peu utile à l'espèce. Quelques auteurs emploient le terme variation dans le sens technique, c'est-à- dire comme impliquant une modification qui découle directement des conditions physiques de la vie; or, dans ce sens, les variations ne sont pas susceptibles d'être transmises par hérédité. Qui pourrait soutenir, cependant, que la diminution de taille des coquillages dans les eaux saumâtres de la Baltique, ou celle des plantes sur le sommet des Alpes, ou que l'épaississement de la fourrure d'un animal arctique ne sont pas héréditaires pendant quelques générations tout au moins? Dans ce cas, je le suppose, on appellerait ces formes des variétés.
On peut douter que des déviations de structure aussi soudaines et aussi considérables que celles que nous observons quelquefois chez nos productions domestiques, principalement chez les plantes, se propagent de façon permanente à l'état de nature. Presque toutes les parties de chaque être organisé sont si admirablement disposées, relativement aux conditions complexes de l'existence de cet être, qu'il semble aussi improbable qu'aucune de ces parties ait atteint du premier coup la perfection, qu'il semblerait improbable qu'une machine fort compliquée ait été inventée d'emblée à l'état parfait par l'homme. Chez les animaux réduits en domesticité, il se produit quelquefois des monstruosités qui ressemblent à des conformations normales chez des animaux tout différents. Ainsi, les porcs naissent quelquefois avec une sorte de trompe; or, si une espèce sauvage du même genre possédait naturellement une trompe, on pourrait soutenir que cet appendice a paru sous forme de monstruosité. Mais, jusqu'à présent, malgré les recherches les plus scrupuleuses, je n'ai pu trouver aucun cas de monstruosité ressemblant à des structures normales chez des formes presque voisines, et ce sont celles-là seulement qui auraient de l'importance dans le cas qui nous occupe. En admettant que des monstruosités semblables apparaissent parfois chez l'animal à l'état de nature, et qu'elles soient susceptibles de transmission par hérédité – ce qui n'est pas toujours le cas – leur conservation dépendrait de circonstances extraordinairement favorables, car elles se produisent rarement et isolément. En outre, pendant la première génération et les générations suivantes, les individus affectés de ces monstruosités devraient se croiser avec les individus ordinaires, et, en conséquence, leur caractère anormal disparaîtrait presque inévitablement. Mais j'aurai à revenir, dans un chapitre subséquent, sur la conservation et sur la perpétuation des variations isolées ou accidentelles.
DIFFÉRENCES INDIVIDUELLES
On peut donner le nom de différences individuelles aux différences nombreuses et légères qui se présentent chez les descendants des mêmes parents, ou auxquelles on peut assigner cette cause, parce qu'on les observe chez des individus de la même espèce, habitant une même localité restreinte. Nul ne peut supposer que tous les individus de la même espèce soient coulés dans un même moule. Ces différences individuelles ont pour nous la plus haute importance, car, comme chacun a pu le remarquer, elles se transmettent souvent par hérédité; en outre, elles fournissent aussi des matériaux sur lesquels peut agir la sélection naturelle et qu'elle peut accumuler de la même façon que l'homme accumule, dans une direction donnée, les différences individuelles de ses produits domestiques. Ces différences individuelles affectent ordinairement des parties que les naturalistes considèrent comme peu importantes; je pourrais toutefois prouver, par de nombreux exemples, que des parties très importantes, soit au point de vue physiologique, soit au point de vue de la classification, varient quelquefois chez des individus appartenant à une même espèce. Je suis convaincu que le naturaliste le plus expérimenté serait surpris du nombre des cas de variabilité qui portent sur des organes importants; on peut facilement se rendre compte de ce fait en recueillant, comme je l'ai fait pendant de nombreuses années, tous les cas constatés par des autorités compétentes. Il est bon de se rappeler que les naturalistes à système répugnent à admettre que les caractères importants puissent varier; il y a d'ailleurs, peu de naturalistes qui veuillent se donner la peine d'examiner attentivement les organes internes importants, et de les comparer avec de nombreux spécimens appartenant à la même espèce. Personne n'aurait pu supposer que le branchement des principaux nerfs, auprès du grand ganglion central d'un insecte, soit