Le capitaine Paul. Dumas Alexandre
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Le capitaine Paul
Préface
Habent sua fata libelli.
J'avais déjà écrit cet hémistiche, chers lecteurs, et j'allais inscrire au-dessous le nom d'Horace, lorsque je me demandai deux choses: si je me rappelais le commencement du vers et si ce vers était bien du poète de Venusium.
Chercher dans les cinq ou six mille vers d'Horace, c'était bien long, et je n'ai pas de temps à perdre.
Cependant, je tenais beaucoup à cet hémistiche, qui s'applique merveilleusement au livre que vous allez lire.
Que faire?
Écrire à Méry.
Méry, vous le savez, c'est Homère, c'est Eschyle, c'est Virgile, c'est Horace, c'est l'antiquité incarnée dans un moderne.
Méry sait le grec comme Démosthène, et le latin comme Cicéron.
J'écrivis donc:
«Cher Méry, «Est-ce bien d'Horace, cet hémistiche:
«Habent sua fata libelli?
«Vous rappelez-vous le commencement du vers?
«À vous de coeur.
«Alex. Dumas.»
Je reçus poste pour poste la réponse suivante:
«Mon cher Dumas, «L'hémistiche Habent sua fata libelli est attribué à Horace, mais à tort.
«Voici le vers complet:
«Pro captu lectoris, habent sua fata libelli.
«Il est du grammairien Terentianus Maurus. Le premier hémistiche: Pro captu lectoris, n'est pas de très bonne latinité. Selon le goût, selon le choix, selon l'esprit du lecteur, les écrits ont leur destin.
«Je n'aime pas le pro captu, qu'on ne trouverait chez aucun bon classique.
«Tout à vous de coeur, mon bien cher frère.
«Méry.»
Voilà une réponse, j'espère, comme je les aime et comme vous les aimez, courte et catégorique, où chaque mot dit ce qu'il a à dire et répond à la question faite.
Le vers n'était donc pas d'Horace.
J'avais donc bien fait de ne pas le signer du nom de l'ami de Mécène.
Le premier hémistiche était mauvais.
J'avais donc bien fait de l'oublier.
Mais je m'étais rappelé le second, et cela, à propos du CapitainePaul, dont on préparait une nouvelle édition.
En effet, si un hémistiche a jamais été fait pour un livre, c'est l'hémistiche de Terentianus Maurus pour le livre qui nous occupe.
Laissez-moi, chers lecteurs, vous raconter, non pas l'histoire de ce livre – son histoire est l'histoire de tous les livres – mais sa genèse: ce qui lui est arrivé avant qu'il vît le jour; ses infortunes avant qu'il fût; ses transformations tandis qu'il était encore dans les limbes de l'existence.
Cela vous rappellera, en petit, bien entendu, les sept incarnations de Brahma.
Première phase. – Conception.
Une impression généralement éprouvée par tous les admirateurs du Pilote, l'un des plus magnifiques romans de Cooper – impression que nous avons profondément ressentie nous-même – c'est le regret de perdre aussi complètement de vue, le livre une fois terminé, l'homme étrange que l'on a suivi avec tant d'intérêt à travers le détroit de Devils-Gripp et les corridors de l'abbaye de Sainte- Ruth. Il y a dans la physionomie, dans la parole et dans les actions de ce personnage, indiqué une première fois sous le nom de John, et une seconde fois sous celui de Paul, une mélancolie si profonde, une amertume si douloureuse, un mépris de la vie si grand, que chacun a désiré connaître les causes qui ont amené ce brave et généreux coeur au désenchantement et au doute. Quant à nous, plus d'une fois nous l'avouons, il nous était passé par l'esprit ce désir, au moins indiscret, d'écrire à Cooper pour lui demander, sur le commencement de la carrière et la fin de la vie de cet aventureux marin, les renseignements que je cherchais en vain dans son livre. Je pensais qu'une pareille demande serait facilement excusée par celui auquel elle s'adresserait; car elle portait avec elle la louange la plus sincère et la plus complète de son oeuvre. Mais, je fus retenu par l'idée que l'auteur ne connaissait peut-être, de la vie dont il nous avait donné un épisode, que la partie qui avait été éclairée par le soleil de l'indépendance américaine. En effet le météore brillant, mais éphémère, avait passé des nuages de sa naissance à l'obscurité de sa mort, de sorte qu'il était tout à fait possible que, éloigné des lieux où son héros vit le jour et des pays où il ferma les yeux, l'historien poète, qui peut-être l'avait choisi à cause de ce mystère même, pour lui faire jouer un rôle dans ses annales, n'en eût connu que ce qu'il nous en avait transmis. Alors je résolus de me procurer par moi-même les détails que j'avais tant désiré qu'un autre me donnât. Je fouillai les archives de la marine; elles ne m'offrirent qu'une copie de lettres de marque à lui données par Louis XVI. J'interrogeai les annales de la Convention: je n'y trouvai que l'arrêté pris à l'époque de sa mort. Je questionnai les contemporains; à cette époque – c'était vers 1829 – il en restait encore: ils me dirent qu'il était enterré au Père-Lachaise. Et, de ces premières tentatives, voilà tout ce que je retirai.
Alors, comme je viens d'avoir recours à Méry, j'eus recours à Nodier; Nodier, cet autre ami d'un autre temps, à la mémoire duquel j'ai voué un culte, et que j'évoque chaque fois que mon coeur, aux amis du présent, a besoin d'adjoindre un ami du passé. J'eus recours à Nodier, ma bibliothèque vivante. Nodier recueillit un instant ses souvenirs; puis me parla d'un petit livre in-18 écrit par Paul John lui-même et contenant des mémoires sur sa vie, avec cette épigraphe: Munera sunt laudi. Je me mis aussitôt en quête de la précieuse publication; mais j'eus beau interroger les bouquinistes, fouiller les bibliothèques, battre les quais, mettre en réquisition Guillemot et Techener, je ne trouvai rien qu'un libelle infâme, intitulé Paul John, ou Prophéties sur l'Amérique, l'Angleterre, la France, l'Espagne et la Hollande, libelle que je jetai de dégoût à la quatrième page admirant combien les poisons se conservent si longtemps et si parfaitement, de sorte qu'on les trouve toujours là où l'on cherche en vain une nourriture saine et savoureuse.
Je renonçai donc à toute espérance de ce côté.
Quelque temps après, entre la représentation de Christine et celle d'Antony, je fis un voyage à Nantes; de Nantes, je gagnai les côtes; je visitai Brest, Quimper et Lorient.
Pourquoi allais-je à Lorient? – Admirez la puissance d'une idée fixe! Mon pauvre ami Vatout, qui n'avait pour moi qu'un défaut, celui de vouloir me protéger malgré moi, fait un roman là-dessus. – Pourquoi allais-je à Lorient? Parce que j'avais lu, dans une biographie de Paul John, que le célèbre marin était venu trois fois dans ce port. Cette circonstance m'avait frappé. J'avais pris les dates, je n'eus qu'à ouvrir mon portefeuille. J'allai consulter les archives maritimes, et je trouvai, en effet, la trace des stations qu'avaient faites, à différentes époques, dans la rade, les frégates le Ranger et l'Indienne, l'une de dix- huit et l'autre de trente-deux canons. Quant aux motifs qui les avaient amenées, soit ignorance, soit oubli, le secrétaire qui tenait les registres avait négligé de les consigner. J'allais me retirer sans autre renseignement, lorsque je m'avisai d'interroger un vieil employé et de lui demander si, traditionnellement, on avait conservé dans le pays quelque souvenir du capitaine de ces deux bâtiments. Alors le vieillard me répondit qu'en 1784, étant encore enfant, il avait vu Paul John au Havre, où il était alors, lui qui me parlait, employé à la Santé de la ville.
Quant à Paul John, il était, à cette époque, commodore à bord de la flotte du comte de Vaudreuil.
La réputation de bravoure dont jouissait alors ce marin, et la singularité de ses manières, l'avaient impressionné au point que, de retour en Bretagne, il avait une fois prononcé son nom devant son père, concierge du château d'Auray. Le vieillard avait tressailli, et lui avait fait signe de se taire. Le jeune homme avait obéi tout en faisant ses réserves.
Cependant, quelques questions qu'il fit à son père, celui-ci refusa toujours