Le capitaine Paul. Dumas Alexandre

Le capitaine Paul - Dumas Alexandre


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fait une pièce pour moi.

      – Comment, pour vous?

      – Ce qui veut dire qu'elle ne sera probablement pas du goût de tout le monde.

      – Pourvu qu'elle soit du goût du public.

      – Vous savez que ce n'est pas toujours une raison pour qu'elle soit bonne.

      – Enfin, nous allons voir.

      – Lisons, lisons, dit Harel.

      La place me portait malheur. C'était à la même place que j'avais lu Antony à Crosnier.

      Après le premier acte, qui est assez brillant et tout entier au Capitaine Paul, Bocage s'était frotté les mains et s'était écrié:

      – Eh bien, le voyageur, il n'est donc pas encore si usé qu'on le dit?

      Ainsi, voyez, chers lecteurs, en 1836, il y a juste vingt-cinq ans de cela, on disait déjà que j'étais usé.

      Mais, dès ce premier acte, tout au contraire, George avait commencé de s'assombrir.

      – Mon cher Harel, dis-je en souriant, je crois que le baromètre est à la pluie.

      – Il faudra voir, dit Harel, il faudra voir. On ne peut pas juger d'après un premier acte.

      Comme je l'avais prévu, le baromètre passa de la pluie à l'averse, de l'averse à l'orage, et de l'orage à la tempête.

      Le pauvre Harel était au supplice: il entassait prises sur prises.

      Au troisième acte, il sonna pour qu'on lui remplît sa tabatière.

      George ne soufflait pas le mot.

      Bocage commença à me trouver plus usé que le public n'avait dit.

      La lecture finit au milieu de la consternation générale.

      – Eh bien, fis-je à Harel, je vous l'avais bien dit.

      – Le fait est, mon cher, dit Harel en se bourrant le nez de tabac, le fait est que, cette fois, là, franchement, il faut vous dire ces choses-là en ami, je crois que vous vous êtes trompé.

      – C'est l'avis de George surtout; n'est-ce pas, George?

      – Moi… vous savez bien que je n'ai pas d'avis. Je suis engagée au théâtre de M. Harel; je joue les rôles qu'on me distribue.

      – Pauvre victime! Eh bien, rassurez-vous, ma chère George, vous ne jouerez pas celui-là.

      – Cependant je ne dis pas qu'en faisant quelques corrections…

      – En coupant le rôle du capitaine Paul, par exemple?

      – Allons, bien, voilà que vous pensez que je ne veux pas jouer le rôle à cause de M. Bocage.

      – Vous ne voulez pas jouer le rôle parce qu'il ne vous convient pas, chère amie, voilà tout. J'ai prévenu Harel; c'est lui qui s'est entêté, prenez-vous-en à lui. Seulement vous savez, Harel…

      – Quoi, cher ami?

      – Notre lecture reste entre nous; la pièce ne vous convient pas, elle peut convenir à un voisin.

      – Comment donc! c'est faire…

      Et, tout en portant son pouce et son index à son nez pour absorber une dernière prise de tabac, Harel appuya la main sur son coeur.

      Je roulai mon manuscrit, j'embrassai George.

      – Sans rancune, chère, lui dis-je.

      – Oh! me répondit George, vous savez bien que ce n'est point de cela que je vous en veux.

      – Je m'en vais avec vous, dit Bocage.

      – Non, non, restez, cher ami; je crois que vous êtes en froid avec votre directeur et votre directrice, c'est une occasion de vous raccommoder.

      Et je sortis.

      Le lendemain, la première personne que je rencontrai me dit:

      – Vous voilà donc revenu, vous?

      – Sans doute.

      – Oui, oui, oui, j'ai lu cela ce matin dans le journal.

      – Comment! le journal a eu la bonté d'annoncer mon retour en France?

      – Indirectement.

      – Ah!

      – Oui… à propos d'une pièce que vous avez lue à la Porte-SaintMartin.

      – Et qui a été refusée?

      – Le journal a dit cela; mais je suppose que ce n'est pas vrai?

      – Hélas! mon cher, c'est la vérité pure.

      – Mais qui donc a fait mettre cela dans les journaux?

      – Personne.

      – Comment, personne?

      – Mon cher, ces choses-là se trouvent toutes composées; le metteur en pages les rencontre sur le marbre et les insère par erreur.

      L'erreur faite, il en est désespéré mais que voulez-vous?

      – Ah! n'importe, c'est bien malveillant. – Ah! cher ami que vous avez d'ennemis!

      Et la première personne s'éloigna en levant les bras au ciel.

      Pendant huit jours, ce fut la même gamme.

      Il va sans dire qu'après ce concert de plaintes funèbres, qu'après tous ces discours prononcés sur la tombe de l'auteur d'Henri III et d'Antony, aucun directeur n'eut l'idée de demander à jouer le Capitaine Paul.

      Pauvre Capitaine Paul! il était regardé comme un posthume!

      Quatrième phase. – Transformation.

      Cependant, vers 1835, je crois, la Presse s'était fondée, et j'y avais inventé le roman-feuilleton.

      Il est vrai que l'essai n'avait pas été heureux. Girardin ne m'avait livré qu'un feuilleton hebdomadaire et j'avais débuté par la Comtesse de Salisbury, qui n'est pas une de mes meilleures choses.

      En feuilleton quotidien, le roman eût pu se soutenir.

      En feuilleton hebdomadaire, il ne fit aucun effet.

      Mais les autres journaux n'en adoptèrent pas moins ce nouveau mode de publication.

       Le Siècle m'envoya Desnoyers.

      Louis Desnoyers est un de mes plus vieux camarades. Nous avions fait de l'opposition littéraire et politique ensemble dès 1827. Nous avions fondé, avec Vaillant – je ne sais ce qu'il est devenu – et Dovalle, qui a été tué en duel, un journal intitulé le Sylphe; on oublia ce titre pour l'appeler le Journal rose, attendu qu'il était imprimé sur papier rose; sa couleur lui avait valu de nombreux abonnements de femmes.

      À quoi tient le succès!

      La révolution de Juillet tua le Journal rose! Mira tua Dovalle. J'étais vice-président de la commission des récompenses nationales: je fis Vaillant sous-officier et l'envoyai en Afrique, où les Arabes, selon toute probabilité, ont tué Vaillant.

      Il y avait bien longtemps que nous ne nous étions vus, Desnoyers et moi.

      D'abord, j'arrivais d'un long voyage; puis les gens qui ont beaucoup à faire ne se voient pas.

       Le Siècle ne pouvait donc choisir un ambassadeur qui me fût plus sympathique. Aussi, depuis vingt ans, est-il accrédité près de moi.

      Il fut convenu que je donnerais au Siècle un roman en deux volumes.

      Connu comme auteur dramatique, je l'étais très peu comme romancier.

      Au théâtre, j'avais donné _Henri III, Christine, Antony, la Tour de Nesle, Teresa, Richard Darlington, Don Juan el Marana, Angèle _et Catherine Howard, je crois.

      En librairie, j'avais publié seulement mes Impressions de voyage en Suisse, mes Scènes historiques du temps de Charles


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