Le capitaine Paul. Dumas Alexandre

Le capitaine Paul - Dumas Alexandre


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le capitaine Paul.

      – Paul de quoi?

      – Paul de la Providence, du Ranger, de l'Alliance, selon le bâtiment qu'il monte. N'y a-t-il pas aussi en France quelques-uns de nos jeunes seigneurs qui, trouvant leur nom de famille trop écourté, l'allongent avec un nom de terre, et surmontent le tout d'un casque de chevalier ou d'un tortil de baron, si bien que leur cachet et leur carrosse ont un air de vieille maison qui fait plaisir à voir? Eh bien! il en est ainsi de lui. Pour le moment, il s'appelle, je crois, Paul de l'Indienne: et il en est fier; car si j'en juge par mes sympathies de marin, je crois qu'il ne changerait pas sa frégate contre la plus belle terre qui s'étende du port de Brest aux bouches du Rhône.

      – Mais enfin, reprit Emmanuel, après avoir réfléchi un instant au singulier mélange d'ironie et de naïveté qui perçait tour à tour dans les réponses de son interlocuteur, quel est le caractère de cet homme?

      – Son caractère? oh! mais, mon cher… baron… comte… marquis?

      – Comte, répondit Emmanuel en s'inclinant.

      – Eh bien! mon cher comte, je disais donc que vous me poussez vraiment d'abstractions en abstractions, et lorsque j'ai mis à votre disposition mes connaissances algébriques, ce n'était pas tout à fait pour nous livrer à la recherche de l'inconnu. Son caractère? Eh! bon Dieu! mon cher comte, qui peut parler sciemment du caractère d'un homme, excepté lui-même? et encore… Tenez, moi, tel que vous me voyez, il y a vingt ans que je laboure, tantôt avec la quille d'un brick, tantôt avec celle d'une frégate, la vaste plaine qui s'étend devant nous.

      Mes yeux, si je puis m'exprimer ainsi, ont vu l'Océan presque en même temps que le ciel. Depuis que ma langue a pu souder deux mots, et mon intelligence coudre deux idées, j'ai interrogé et étudié les caprices de l'Océan. Eh bien! je ne connais pas encore son caractère, et cependant quatre vents principaux et trente-deux aires l'agitent: voilà tout. Comment voulez-vous donc que je juge l'homme, bouleversé qu'il est par ses mille passions?

      – Aussi ne vous demandais-je pas, mon cher… duc… marquis… comte?

      – Enseigne, répondit le jeune marin en s'inclinant comme avait fait Emmanuel.

      – Je disais donc que je ne vous demandais pas, mon cher enseigne, un cours de philosophie sur les passions du capitaine Paul.

      Je voulais seulement m'enquérir auprès de vous de deux choses: d'abord, si vous le croyez homme d'honneur?

      – Il faut, avant tout, s'entendre sur les mots, mon cher comte.

      Qu'entendez-vous bien précisément par honneur?

      – Permettez-moi de vous dire, mon cher enseigne, que la question est des plus bizarres. L'honneur, mais c'est l'honneur.

      – Voilà justement la chose: un mot sans définition, comme le mot Dieu. Dieu aussi c'est Dieu, et chacun se fait un Dieu à sa manière: les Égyptiens l'adoraient sous la forme d'un scarabée, et les Israélites sous la forme d'un veau d'or. Il en est ainsi de l'honneur.

      Il y a l'honneur de Coriolan, celui du Cid, et celui du comte Julien. Précisez mieux votre question, si vous voulez que j'y réponde.

      – Eh bien! je demandais si l'on pouvait se fier à sa parole?

      – Oh! quant à cela, je ne crois pas qu'il y ait jamais manqué. Ses ennemis, et l'on n'arrive pas où il en est sans en avoir quelques-uns, ses ennemis mêmes, ai-je dit, n'ont jamais douté qu'il ne tînt pas jusqu'à la mort le serment qu'il aurait fait. Ainsi donc, ce point est éclairci, croyez-moi. Sous ce rapport, c'est un homme d'honneur.

      Passons à la seconde question, car, si je ne me trompe, vous désirez savoir quelque chose encore?

      – Oui, je désirais savoir s'il obéirait fidèlement à un ordre de Sa Majesté?

      – De quelle Majesté?

      – Vraiment, mon cher enseigne, vous affectez une difficulté de compréhension qui me paraît infiniment mieux aller à la robe du sophiste qu'à l'uniforme du marin.

      – Pourquoi cela? Vous m'accusez d'ergotisme, parce qu'avant de répondre je veux savoir à quoi je réponds? Nous avons huit ou dix Majestés, à l'heure qu'il est, assises tant bien que mal sur les différents trônes de l'Europe: nous avons Sa Majesté Catholique, majesté caduque, qui se laisse arracher, morceaux par morceaux, l'héritage que lui a légué Charles-Quint; nous avons Sa Majesté Britannique, majesté entêtée, qui se cramponne à son Amérique comme Cynégire au vaisseau des Perses, et à qui nous couperons les deux mains si elle ne la lâche pas; nous avons Sa Majesté Très Chrétienne, que je vénère et que j'honore…

      – Eh bien! c'est de celle-là que je veux parler, interrompit Emmanuel. Croyez-vous que le capitaine Paul serait disposé à obéir à un ordre que je lui porterais de sa part?

      – Le capitaine Paul, répondit l'enseigne, obéira, comme chaque capitaine doit le faire, à tout ordre émané du pouvoir qui a droit de lui commander, à moins que ce ne soit quelque corsaire maudit, quelque pirate damné, quelque flibustier sans aveu, ce dont je doute à la vue de la frégate qu'il monte, et à la manière dont elle me semble tenue. Il a donc dans un tiroir de sa cabine une commission signée d'une puissance quelconque. Eh bien! si cette commission porte le nom de Louis et est scellée des trois fleurs de lis de France, il n'y a aucun doute qu'il n'obéisse à tout ordre scellé du même sceau et signé du même nom.

      – Alors, voilà tout ce que je voulais savoir, répondit le jeune mousquetaire, qui commençait à s'impatienter des réponses étranges de son interlocuteur. Je ne vous ferai donc plus qu'une seule demande.

      – À vos ordres, monsieur le comte, répondit l'enseigne, pour celle-là comme je l'ai été pour les autres.

      – Savez-vous un moyen d'aller à bord de ce bâtiment?

      – Voilà, répondit le marin en étendant la main vers sa barque, que berçait dans une petite anse le flux de la mer?

      – Mais cette barque, c'est la vôtre?

      – Eh bien! je vous conduirai.

      – Vous connaissez donc ce capitaine Paul?

      – Moi? pas le moins du monde! mais, en ma qualité de neveu d'un amiral, je connais naturellement tout chef de bâtiment, depuis le contremaître qui dirige le canot qui cherche une aiguade, jusqu'au vice-amiral qui commande l'escadre qui va au feu. D'ailleurs, nous autres marins, nous avons certains signes secrets, certaine langue maçonnique à l'aide de laquelle nous nous reconnaissons pour des frères, sur quelque point de l'Océan que nous nous rencontrions. Ainsi donc, acceptez mon offre avec la même franchise que je vous la fais.

      Moi, mes rameurs et ma barque sommes à votre disposition.

      – Eh bien! dit Emmanuel, rendez-moi ce dernier service et…

      – Et vous oublierez l'ennui que je vous ai causé par mes divagations, n'est-ce pas, interrompit l'enseigne en souriant. Que voulez-vous, mon cher comte, continua le marin en faisant un signe de la main qui fut aussitôt compris des rameurs, la solitude de l'Océan nous a donné, à nous autres enfants de la mer, l'habitude du monologue.

      Pendant le calme, nous appelons le vent, pendant la tempête nous appelons le calme, et pendant la nuit nous parlons à Dieu.

      Emmanuel jeta encore un regard de doute sur son compagnon, qui le supporta avec cette apparente bonhomie qui s'était étendue sur son visage chaque fois qu'il était devenu un objet d'investigation pour le mousquetaire.

      Celui-ci s'étonnait de ce mélange de mépris pour les choses humaines et de poésie pour les oeuvres de Dieu; mais ne voyant, au bout du compte, dans l'homme étrange qu'il avait devant lui, qu'une personne disposée à lui rendre, quoique avec des formes bizarres, le service qu'il réclamait, il accepta l'offre qu'il lui avait faite. Cinq minutes après, les deux jeunes gens s'avançaient vers le vaisseau inconnu, de toute la rapidité qu'imprimait à la barque l'effort combiné de six vigoureux matelots, dont les rames se relevaient et retombaient avec tant de régularité, que le mouvement qui les mettait en


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