Le capitaine Paul. Dumas Alexandre

Le capitaine Paul - Dumas Alexandre


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mieux, Porcher! Dieu me tiendra peut-être compte de celle- là.

      – Vous savez que c'est Théodore Nezel qui est directeur du Panthéon?

      – Votre gendre?

      – Oui.

      – Je ne le savais pas.

      – Eh bien, le théâtre ne faisait pas d'argent; mon gendre ne savait où donner de la tête; je lui ai dit: Ma foi, tiens, Nezel, j'ai là une pièce de Dumas, essayes-en. – Mais Dumas? – Quand Dumas saura que sa pièce a peut-être sauvé une famille, il sera le premier à me dire que j'ai bien fait. – Cependant, si on lui écrivait? – Cela prendrait du temps, et tu dis que tu es pressé. d'ailleurs je ne sais pas où il est. – Vous répondez de tout? – Je réponds de tout.» Alors Nezel a emporté la pièce; elle a été bien montée, bien jouée; elle a eu un énorme succès; enfin elle a donné vingt mille francs de bénéfice au Panthéon, ce qui est énorme.

      – Et elle a tiré votre gendre d'affaire, mon cher Porcher?

      – Momentanément, oui.

      – Béni soit le Capitaine Paul!

      Et je tendis la main à Porcher.

      – Eh! je le savais bien, moi, dit-il tout joyeux.

      – Que saviez-vous bien, mon cher Porcher?

      – Que vous ne m'en voudriez pas.

      J'embrassai Porcher pour le rassurer plus complètement encore.

      Sixième phase. – Réhabilitation.

      Trois ans après, vers le mois de septembre 1841, dans un des voyages que je faisais de Florence à Paris, mon domestique me fit passer une carte. Je jetai les yeux sur cette carte et je lus: «Charlet, artiste dramatique.» – Faites entrer, dis-je à mon domestique.

      Cinq secondes après, la porte se rouvrit et donna passage à un beau jeune homme de vingt-trois à vingt-quatre ans. Je dis beau, car, en effet, il était beau dans toute l'acception du mot.

      Il était de taille moyenne, mais parfaitement bien prise; il avait d'admirables cheveux noirs, des dents blanches comme l'émail, des yeux de femme, une voix si douce, que c'était un chant.

      – Monsieur Dumas, me dit-il, je viens vous demander deux choses.

      – Lesquelles, monsieur?

      – La première, c'est que vous me permettiez de débuter à la Porte-Saint-Martin dans le Capitaine Paul.

      – Accordé.

      Ce n'était plus Harel qui était directeur.

      – Et la seconde?

      – La seconde, c'est que vous vouliez bien être mon parrain.

      – Comment! vous n'êtes pas encore baptisé?

      – Dramatiquement parlant, non, j'ai joué à la banlieue sous le nom de Charlet; mais c'est un nom qui représente une si grande illustration en peinture, que je ne puis le garder au théâtre. J'ai déjà ma pièce de début, grâce à vous; que, grâce à vous, j'aie aussi mon nom de début.

      J'avais mon Shakespeare ouvert devant moi; je lisais, ou plutôt je relisais, pour la dixième fois, Richard III. Mon regard tomba sur le nom de Clarence.

      – Monsieur, lui dis-je, il vous faut un nom distingué comme votre figure, doux et harmonieux comme votre voix: au nom de Shakespeare, je vous baptise du nom de Clarence.

      Le Capitaine Paul, repris au théâtre de la Porte-Saint-Martin sous le nom de Paul le Corsaire, fut joué quarante fois avec un énorme succès.

      Clarence y débuta et y fit justement sa réputation.

      Parti de la Porte-Saint-Martin, le Capitaine Paul faisait retour à la Porte Saint-Martin.

      Comme le lièvre, il revenait à son lancer.

      Voilà, chers lecteurs, l'histoire véridique du Capitaine Paul, comme drame et comme roman; vous voyez donc que j'avais bien raison de dire:

       …Habent sua fata libelli!

       A. D.

      Chapitre I

      Vers la fin d'une belle soirée du mois d'octobre de l'année 1779, les curieux de la petite ville de Port-Louis étaient rassemblés sur la pointe de terre qui fait pendant à celle où, sur l'autre rive du golfe, est bâti Lorient. L'objet qui attirait leur attention et servait de texte à leurs discours était une noble et belle frégate de 32 canons, à l'ancre depuis huit jours, non pas dans le port, mais dans une petite anse de la rade, et qu'on avait trouvée là un matin, comme une fleur de l'Océan éclose pendant la nuit. Cette frégate, qui paraissait tenir la mer pour la première fois, tant elle semblait coquette et élégante, était entrée dans le golfe sous le pavillon français dont le vent déployait les plis, et dont les trois fleurs de lis d'or brillaient aux derniers rayons du soleil couchant. Ce qui paraissait surtout exciter la curiosité des amateurs de ce spectacle, si fréquent et cependant toujours si nouveau dans un port de mer, c'était le doute où chacun était du pays où avait été construit ce merveilleux navire, qui, dépouillé de toutes ses voiles serrées autour des vergues, dessinait sur l'occident lumineux la silhouette gracieuse de sa carène, et l'élégante finesse de ses agrès. Les uns croyaient bien y reconnaître la mâture élevée et hardie de la marine américaine; mais la perfection des détails qui distinguait le reste de sa construction contrastait visiblement avec la rudesse barbare de ces enfants rebelles de l'Angleterre.

      D'autres, trompés par le pavillon qu'elle avait arboré, cherchaient dans quel port de France elle avait été lancée; mais bientôt tout amour-propre national cédait à l'évidence, car on demandait en vain à sa poupe cette lourde galerie garnie de sculptures et d'ornements, qui formait la parure obligée de toute fille de l'Océan ou de la Méditerranée née sur les chantiers de Brest ou de Toulon; d'autres encore, sachant que le pavillon n'était souvent qu'un masque destiné à cacher le véritable visage, soutenaient que les tours et les lions d'Espagne eussent été plus à leur place à l'arrière du bâtiment que les trois fleurs de lis de France; mais à ceux-ci on répondait en demandant si les flancs minces et élancés de la frégate ressemblaient à la taille rebondie des galions espagnols. Enfin il y en avait qui eussent juré que cette charmante fée des eaux avait pris naissance dans les brouillards de la Hollande, si la hauteur et la finesse de ses mâtereaux n'avaient point, par leur dangereuse hardiesse, donné un démenti aux prudentes constructions, de ces anciens balayeurs des mers. Au reste, depuis le matin (et, comme nous l'avons dit, il y avait de cela huit jours) où cette gracieuse vision était apparue sur les côtes de la Bretagne, aucun indice n'avait pu fixer l'opinion, que nous retrouvons encore flottante au moment où nous ouvrons les premières pages de cette histoire, attendu que pas un homme de l'équipage n'était venu à terre sous quelque prétexte que ce fût. On pouvait même ignorer, à la rigueur, s'il existait un équipage, car, si l'on n'eût aperçu la sentinelle et l'officier de garde, dont la tête dépassait parfois les bordages du navire, on eût pu le croire inhabité. Il paraît néanmoins que ce bâtiment, tout inconnu qu'il était demeuré, n'avait aucune intention hostile; son arrivée n'avait point paru inquiéter les autorités de Lorient, et il avait été se placer sous le feu d'un petit fort que la déclaration de guerre entre l'Angleterre et la France avait fait remettre en état, et qui étendait en dehors de ses murailles, et au-dessus de la tête même des curieux, le cou allongé d'une batterie de gros calibre.

      Cependant, au milieu de la foule de ces oisifs, un jeune homme se distinguait par l'inquiet empressement de ses questions.

      Sans que l'on pût deviner pour quelle cause, on voyait facilement qu'il prenait un intérêt direct à ce bâtiment mystérieux. Comme à son habit élégant on avait reconnu l'uniforme des mousquetaires, et que ces gardes de la royauté quittaient rarement la capitale, il avait d'abord été pour la foule une distraction à sa curiosité, mais bientôt on avait retrouvé dans celui qu'on croyait un étranger le jeune comte d'Auray, dernier rejeton d'une des plus


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