Le capitaine Paul. Dumas Alexandre
chacun se mit à l'oeuvre, et, au bout d'une heure, le speronare, comme une carène antique, était tiré sur le sable du rivage étayé à droite et à gauche par deux énormes pieux, et orné à son bâbord d'une échelle à l'aide de laquelle on communiquait de son pont à la terre ferme. En outre, une tente fut établie à l'arrière du grand mat, afin que nous pussions nous promener, lire et travailler à l'abri du soleil et de la pluie; moyennant ces petites préparations, nous nous trouvâmes avoir une demeure infiniment plus confortable que ne l'eût été la meilleure auberge de San-Giovanni.
«Au reste, le temps que nous avions à passer ainsi ne devait point être perdu. Jadin avait ses croquis à repasser et moi, j'avais arrêté le plan de mon drame de Paul John, dont ne me restait plus que quelques caractères à mettre en relief quelques scènes à compléter. Je résolus donc de profit de cette espèce de quarantaine pour accomplir ce travail, qui devait recevoir à Naples sa dernière touche, et dès le soir même, je me mis à l'oeuvre.» Voilà ce que je trouve sur mon journal de voyage, et ce que je transcris ici pour servir à l'histoire du drame et du roman du Capitaine Paul, si jamais il prend à quelque académicien désoeuvré l'idée d'écrire, cent ans après ma mort, des commentaires sur le drame ou le roman du Capitaine Paul.
Mais nous n'en sommes encore qu'au drame; le roman viendra après.
C'est donc à bord d'un de ces petits bâtiments – hirondelles de mer, qui rasent les flots de l'archipel sicilien – sur les rivages de la Calabre, à vingt pas de San-Giovanni, à une lieue et demie de Messine, à trois lieues de Scylla, en vue de ce fameux gouffre de Charybde qui a tant tourmenté Énée et son équipage – que le drame du Capitaine Paul fut écrit, en huit jours, ou plutôt en huit nuits.
Un mois après, je le lisais à Naples – près du berceau d'un enfant qui venait de naître – à Duprez, à Ruolz et à madame Malibran.
L'auditoire me promit un énorme succès.
L'enfant qui était au berceau et qui dormait au bruit de ma voix comme au murmure berceur des chants de sa mère, était cette charmante Caroline qui est aujourd'hui une de nos premières cantatrices.
À cette époque, elle s'appelait Lili; et c'est encore aujourd'hui, pour les vieux et fidèles amis de Duprez, le seul nom qu'elle porte.
Troisième phase. – Déception.
Je revins en France vers le commencement de l'année 1836: mon drame du Capitaine Paul était complètement achevé et prêt à être lu.
Avant que je fusse à Paris, Harel savait que je ne revenais pas seul.
La dernière pièce que j'avais donnée au théâtre de la Porte-Saint- Martin était Don Juan el Marana, que l'on s'est obstiné à appeler Don Juan de Marana.
Don Juan avait réussi; mais Don Juan portait avec lui pour Harel du moins, la tache du péché originel.
Don Juan n'avait pas de rôle pour mademoiselle George.
Harel, sous ce rapport, était non pas l'aveuglement, mais le dévouement incarné; – pendant tout le temps qu'il fut directeur, son théâtre demeura un piédestal pour la grande artiste, à laquelle il avait voué un culte.
Auteurs, acteurs, tout lui était sacrifié; si la divinité splendide qu'il adorait eût eu pour ses prêtres les exigences de la mère Cybèle, Harel eût rendu un décret pareil à celui qui régissait les corybantes.
Heureusement que George était une bonne déesse dans toute la force du terme, et qu'il ne lui passa jamais par l'esprit d'user de son pouvoir dans toute sa rigueur.
À peine Harel sut-il donc que je revenais avec un drame et que, dans ce drame, il y avait un rôle pour George, qu'il accourut à la maison.
– Eh bien, me dit-il, tout en découvrant la Méditerranée, – c'est de lui le mot, rendons à César ce qui appartient à César! – nous avons donc pensé à notre grande artiste?
– Vous voulez parler du Capitaine Paul?
– Je veux parler de la pièce que vous avez faite… Vous avez fait une pièce, n'est-ce pas?
– Oui, j'ai fait une pièce, c'est vrai.
– Eh bien, voilà tout… Vous avez fait une pièce: jouons-la.
– Bon!.. pour qu'il lui arrive ce qui est arrivé à Don Juan.
Harel prit une énorme prise: c'était son moyen d'attente, chaque fois qu'un moment d'embarras l'empêchait de répondre à l'instant même.
– Don Juan, dit-il, Don Juan… certainement, c'était un bel ouvrage; mais, mon cher, voyez-vous, il y avait des vers.
– Pas beaucoup.
– C'est vrai… Eh bien, si peu qu'il y en avait, ils ont fait du tort à l'ouvrage…
Le Capitaine Paul n'est pas en vers, n'est-ce pas?
– Non; tranquillisez-vous.
– Il y a un rôle… pour George… m'a-t-on…
– Oui; mais probablement qu'elle n'en voudra pas.
– De vous, mon ami, elle le prendra les yeux fermés. Et pourquoi n'en voudrait-elle pas?
– Pour deux raisons.
– Dites.
– La première, parce que c'est un rôle de mère.
– Elle ne joue que cela! Voyons la seconde raison.
– La seconde, parce qu'elle a un fils.
– Après?
– Et qu'elle ne voudra jamais être la mère de Bocage.
– Bah! elle a bien été la mère de Frédérick.
– Oui; mais le rôle de Gennaro n'avait pas l'importance du rôle du Capitaine Paul; elle dira que la pièce n'est point à elle.
– Bon! et la Tour de Nesle! la pièce était à elle peut-être! elle l'a jouée hier pour la quatre cent vingtième fois. À quand la lecture?
– Vous le voulez, Harel?
– Je vous apporte un traité: mille francs de prime, dix pour cent de droits, soixante francs de billets; tenez, vous n'avez plus qu'à signer.
– Merci. Harel: nous lisons demain, mais sans traité.
– Nous lisons demain?
– Oui.
– Qui voulez-vous à la lecture?
– Mais vous, George et Bocage, voilà tout.
– À quelle heure?
– À une heure.
– Est-ce long?
– Trois heures de représentation.
– C'est la bonne mesure, on peut jouer trois actes avec cela.
– Et même cinq.
– Hum! hum!
– Vous en avez bien joué sept avec la Tour de Nesle.
– C'était dans les jours néfastes; mais ces jours-la sont passés, Dieu merci!
– Vous êtes toujours chef de bataillon dans la garde nationale?
– Toujours.
– Je ne m'étonne plus de la tranquillité de Paris. À demain.
– À demain.
Le lendemain, à une heure, nous étions dans le boudoir de George; George toujours belle et couchée dans ses fourrures, Bocage toujours blagueur, Harel toujours spirituel.
– Eh bien, me dit Bocage, vous voilà donc, vous?
– Oui, me voilà.
– Qu'est-ce qu'on me dit? on me dit que vous avez découvert la Méditerranée?
– On