Amitié amoureuse. Lecomte du Noüy Hermine Oudinot
Je suis un peu saoule du départ et voudrais vous entraîner. J'ai remué, en préparant mes malles, avec ma lingerie, mes tulles, toute la soie froufroutante des dessous, trop de poudre d'iris; la poussière impalpable du fin parfum s'est répandue partout; c'est lui qui m'enivre.
Allons, venez! Vous n'avez aucune idée de l'enchantement de Nimerck en cette saison. Venez, cher paresseux: au village, je vous trouverai une chambre (voyez ici l'hommage discret aux convenances!) Enfin je me mettrai en quatre for you. Est-ce assez, mon maître? N'allez pas, ce soir, chez ma belle-sœur me répondre: «Oui, grosse bête!»
XLII
Philippe à Denise
Encore sous le charme de la beauté de Nimerck, de cette plantureuse et sauvage nature bretonne, de ces bords de la mer retirés et solitaires, je viens vous remercier de m'y avoir entraîné. Je suis heureux de pouvoir vous y suivre en pensée. Je vois tite-Lène entourée des oiseaux sur la pelouse, et vous, et votre chère mère, et tout enfin. J'ai passé là, près de vous trois, des heures inoubliables. Merci!
XLIII
Philippe à Denise
Madame mon amie, vous me laissez sans nouvelles, sans lettres, sans rien. Si vous croyez développer ainsi le sentiment sans nom? Y a-t-il rien de si attristant qu'un silence aussi mortel?
Je me sens tout misérable d'avoir perdu l'horizon. Alors, pour m'en consoler, je cherche comme les fanatiques à être heureux dans la fixation des pensées: les miennes sont toutes à vous, à Hélène la jolie, la délectable.
Vous le voyez, le tumulte de mes idées se réduit à vous et à ce qui vous entoure. L'horizon n'arrive pas dans mon cœur beau premier comme dans ma lettre. Et, tout simplement, je me souhaite les trois cents lieues de cuisses dont parle je ne sais plus quel auteur du XVIIIe siècle, pour tomber, d'ici, à vos genoux.
XLIV
Denise à Philippe
C'est vrai. Je ne vous ai pas écrit. Vous êtes si étrange!
Mon ami, deux fois, pendant votre séjour parmi nous, vous m'avez bouleversé le cœur.
La première fois, c'était le soir où Hélène regardant avec nous le coucher de soleil empourprer l'horizon, et suivant des yeux le vol des oiseaux qui semblaient vouloir s'y perdre, s'écriait: «Oh! le ciel est si beau que les oiseaux vont le caresser!» – Vous souvenez vous? Vous l'avez prise dans vos bras et l'avez embrassée si passionnément que ma fille troublée, murmura: «Mère, mère…» Et vous, fol ami, dites alors si désespérément: «Je vous aime, je vous aime…»
Puis, un autre soir, je chantais. Après chaque Lied de Schumann vous murmuriez: «Encore!» – Ainsi, j'ai chanté longtemps ses amours, ses désespoirs. Quand je me suis arrêtée, vous pleuriez; si triste, si solitaire, si amère semblait votre douleur! Debout près du piano, sans oser vous consoler, aller vers vous, j'attendais. Alors, vous avez dit: «Partez, laissez-moi seul… partez!» – Je vous ai obéi. Mais votre trouble m'a troublée, j'en suis restée endolorie et ne sais plus où nous allons…
Vos pensées sont maladives, énervantes. Elles m'enfoncent doucement dans l'inconnu coupable; le rêve est le mal des âmes qui finissent et s'effondrent. Je me suis affinée auprès de vous, mais j'ai déjà perdu un peu de ma droiture et de ma force. Mon ami, il ne faut plus nous voir, ne plus nous écrire, au moins de quelque temps.
Je vous quitte donc, cher, affaiblie, énervée, assez maîtresse de moi encore pour reprendre ma vie de labeur, d'action, de développement. Je reste dans la solitude éducatrice plus mâle. Elle m'armera de plus saines pensées.
XLV
Philippe à Denise
Ainsi, l'heure est venue… Je l'ai retardée jusqu'ici de toute ma volonté; j'ai vécu dans un désir fou, douloureux comme un mal physique. J'attendais je ne sais quelle occasion d'avoir à vous prouver à quel point je vous suis attaché, à quel point mon cœur, ma vie, sont à vous. J'avais peur de hâter d'une manière vulgaire cet instant. Tentant une épreuve au-dessus de mes forces, j'ai demeuré près de vous dans la solitude; alors, vous avez connu mon cœur.
J'étais pris d'une telle angoisse à l'idée qu'en parlant je vous perdrais peut-être… Ah! ces matins, ces jours, ces soirées où ma vie frôlait la vôtre… Que ce temps de voluptés indécises enfuies à jamais m'était cher! J'épiais, fiévreux, l'instant où votre âme entraînée par mon âme s'allait fondre en elle… j'attendais l'impossible rêve.
Oui, je vous aime. Vos yeux, votre voix si harmonieuse, exercent sur moi une irrésistible fascination… ce timbre limpide, grave et doux de votre voix, comme il me possède! Il donne à vos paroles, lorsqu'un émoi le voile légèrement, je ne sais quoi de caressant, de modulé, de mystérieux, qui fait tressaillir ma pensée, me fait m'extasier de désir pour vos lèvres où passent ces sons. On vous aime dès qu'on vous entend parler. Votre voix, malgré votre volonté, effleure de caresses.
Je vous aime; pouvais-je vivre au contact de ce cœur charmant, de cet esprit fin, enjoué, qui attire, retient, enlace si étroitement d'une magnétique, d'une pénétrante chaleur, sans l'aimer?
Je vous aime; je ne puis plus vivre loin de vous, chère tendresse éclairée qui me guide, vigilante, et a su m'animer par sa chaude aimantation.
Je vous aime, pour la droiture de vos pensées, pour la réserve de vos gestes, pour l'immobilité fascinatrice de vos attitudes.
Je vous aime, parce que vous êtes naturelle, vraie et bonne, ce qui est le suprême charme.
Je vous aime, parce que vous êtes grande, svelte, pâle; parce que vous êtes résolue et forte dans vos décisions; parce que ayant si bien deviné votre âme, je suis curieux de vous, toute. Je vous aime parce que je vous aime, voilà la seule vraie raison.
Denise, je veux sentir la douceur de vos lèvres sur mes lèvres, je veux être le maître de votre âme, je veux vous voir défaillir pour vous consoler et être à cette seule minute toute votre force, toute votre espérance…
Mon amie, soyez clémente; ne me replongez pas dans le néant d'où vous m'avez tiré. Je serai longtemps encore ce qu'il vous plaira que je sois; mais gardez-moi, car je vous aime.
XLVI
Denise à Philippe
Quelle lettre!.. J'en ai le cœur apitoyé et tremblant. Je vous remercie de cette franchise; elle convient à vous, parlant à moi.
Vous vous révélez si loyal, si droit, au milieu de tout ce trouble, que je vous propose ceci: Je vais demeurer ici jusqu'à ce que vous soyez guéri.
Vous comprenez, n'est-ce pas, que je ne puis revenir à Paris près de vous, cet automne, pour vous faire souffrir? Vous vous désaccoutumerez de moi, vous y emploierez toute la force de votre intelligence et vous y arriverez. Personne de nos amis, de notre entourage, n'aura vu ce drame de votre cœur et alors, seulement alors, nous nous reverrons.
J'ai l'air de vous fuir; peut-être allez-vous croire que c'est parce que je me sens susceptible de faiblir? Quelque durs que soient les mots que je vais vous dire, ils sont la vérité même sur l'état de mon cœur: Je ne vous aime pas.
Si nous restions l'un près de l'autre, j'aurais peut-être de vagues coquetteries – n'en ai-je pas déjà eu? – elles pourraient vous induire à croire que je vous aime. Et puis, qui sait? peut-être me prendrais-je à la mélodie de vos mots et arriverais-je à faillir par contagion? Cela ne serait pas l'amour comme je le comprends, comme je l'excuse. Ma faute serait de la surprise et de la lâcheté; car c'est une chose triste et curieuse: quand un homme nous dit «Je vous aime,» – si peu solides que nous apparaissent les bases, les principes, les causes premières de ce sentiment exprimé, quelque chose d'irraisonné, d'irraisonnable,