Les mystères du peuple, Tome III. Эжен Сю

Les mystères du peuple, Tome III - Эжен Сю


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voulez-vous? c'est mon faible; j'aime sa mère comme ma soeur… j'aime son fils comme s'il était le mien. Ne faites-vous pas ainsi que moi, Sampso? mon petit Aëlguen, le fils de votre soeur, ne vous est-il pas aussi cher que vous le serait votre enfant? Croyez-moi… lorsque Aëlguen aura vingt ans et que vous l'entendrez accuser de quelque folie de jeunesse, vous le défendrez, j'en suis sûr, encore plus chaudement que je ne défends Victorin… D'ailleurs, ne commencez-vous pas dès à présent votre rôle de défenseur? Oui, lorsque l'espiègle est coupable de quelque grosse faute, n'est-ce pas sa tante Sampso qu'il va trouver pour la prier de le faire pardonner? vous l'aimez tant!..

      –L'enfant de ma soeur n'est-il pas mien?

      –Voilà donc pourquoi vous ne voulez pas vous marier?

      –Certainement, mon frère, – répondit-elle en rougissant avec une sorte d'embarras; puis, après un moment de silence, elle reprit:

      –Vous serez, je l'espère, de retour ici vers le milieu du jour, pour que notre petite fête soit complète?

      –Mon devoir accompli, je reviendrai. Au revoir, Sampso!

      –Au revoir, Scanvoch!

      Et laissant la soeur de ma femme occupée à placer un bouquet dans l'un des anneaux de la porte de notre maison, je m'éloignai en réfléchissant à notre entretien.

      Souvent je m'étais demandé pourquoi Sampso, plus âgée d'un an que Ellèn, et aussi belle, aussi vertueuse qu'elle, avait jusqu'alors repoussé plusieurs offres de mariage; parfois je supposais qu'elle ressentait quelque amour caché, d'autres fois qu'elle appartenait à une de ces affiliations chrétiennes qui commençaient à se répandre, et dans lesquelles les femmes faisaient voeu de chasteté, comme plusieurs de nos druidesses. Un moment aussi je me demandai la cause de la réticence de Sampso au sujet de Victorin; puis, j'oubliai ces pensées pour ne songer qu'à l'expédition dont j'étais chargé. M'acheminant vers les avant-postes du camp, je m'adressai à un officier, à qui je fis lire quelques lignes écrites de la main de Victorin. Aussitôt l'officier mit à ma disposition quatre soldats d'élite, excellents rameurs choisis parmi ceux qui avaient l'habitude de manoeuvrer les barques de la flottille militaire destinée à remonter ou à descendre le Rhin pour défendre au besoin notre camp fortifié. Ces quatre soldats, sur ma recommandation, ne prirent pas d'armes; moi seul étais armé. En passant devant un bouquet de chênes, je leur fis couper quelques branchages, destinés à être placés à la proue du bateau qui devait nous transporter. Nous arrivons bientôt sur la rive du fleuve; là étaient amarrées plusieurs barques réservées au service de l'armée. Pendant que deux des soldats placent à l'avant de l'embarcation les feuillages de chêne dont je les avais munis, les deux autres examinent les rames d'un oeil exercé, afin de s'assurer qu'elles sont en bon état; je me mets au gouvernail, nous quittons le bord.

      Les quatre soldats avaient ramé en silence pendant quelque temps, lorsque le plus âgé des quatre, vétéran à moustaches grises, me dit:

      –Il n'y a rien de tel qu'un bardit gaulois pour faire passer le temps et manoeuvrer les rames en cadence; on dirait qu'un vieux refrain national répété en choeur rend les avirons moins pesants. Peut-on chanter, ami Scanvoch?

      –Tu me connais?

      –Qui ne connaît dans l'armée le frère de lait de la mère des camps?

      –Simple cavalier, je me croyais plus obscur.

      –Tu es resté simple cavalier malgré l'amitié de notre Victoria pour toi; voilà pourquoi, Scanvoch, chacun te connaît et chacun t'aime.

      –Vrai, tu me rends heureux en me disant cela. Comment te nommes-tu?

      –Douarnek.

      –Tu es Breton?

      –Des environs de Vannes.

      –Ma famille aussi est originaire de ce pays.

      –Je m'en doutais, car l'on t'a donné un nom breton. Eh bien, ce bardit, peut-on le chanter, ami Scanvoch? Notre officier nous a donné l'ordre de t'obéir comme à lui; j'ignore où tu nous conduis, mais un chant s'entend de loin, surtout lorsqu'il s'agit d'un bardit national entonné en choeur par de vigoureux garçons à larges poitrines… Or peut-être ne faut-il pas attirer l'attention sur notre barque?

      –Maintenant, tu peux chanter… plus tard… non.

      –Alors, qu'allons-nous chanter, enfants? – dit le vétéran en continuant de ramer, ainsi que ses compagnons, et tournant seulement la tête de leur côté, car, placé au premier banc, il me faisait face. – Voyons… choisissez…

      –Le bardit des marins, – dit un des soldats.

      –C'est bien long, mes enfants, – reprit Douarnek.

      –Le bardit du chef des cent vallées?

      –C'est bien beau, – reprit Douarnek; – mais c'est un chant d'esclaves attendant leur délivrance, et par les os de nos pères!.. nous sommes libres aujourd'hui dans la vieille Gaule!

      –Ami Douarnek, – lui dis-je, – c'est au refrain de ce chant d'esclaves:

      –Coule, coule, sang du captif!

      –Tombe, tombe, rosée sanglante!

      Que nos pères, les armes à la main, ont reconquis cette liberté dont nous jouissons.

      –C'est vrai, Scanvoch… mais ce bardit est long, et tu nous as prévenus que nous devions bientôt rester muets comme les poissons du Rhin.

      –Douarnek, – reprit un jeune soldat, – si tu nous chantais le bardit d'Hêna, la vierge de l'île de Sên…? Il me fait toujours venir les larmes aux yeux; car c'est ma sainte, à moi, cette belle et douce Hêna, qui vivait il y a des cents et des cents ans!

      –Oui, oui, – reprirent les trois autres soldats-chante-nous le bardit d'Hêna, Douarnek; ce bardit prophétise la victoire de la Gaule… et la Gaule est victorieuse aujourd'hui!

      Moi, entendant cela, je ne disais rien; mais j'étais ému, heureux, et je l'avoue, fier, en songeant que le nom d'Hêna, morte depuis plus de trois cents ans, était resté populaire en Gaule comme au temps de mon aïeul Sylvest, et allait être chanté.

      –Va pour le bardit d'Hêna, – reprit le vétéran, – j'aime aussi cette sainte et douce fille, qui offre son sang à Hésus pour la délivrance de la Gaule; et toi, Scanvoch, le sais-tu ce chant?

      –Oui… à peu près… je l'ai déjà entendu…

      –Tu le sauras toujours assez pour répéter le refrain avec nous.

      Et Douarnek se mit à chanter d'une voix pleine et sonore qui, au loin, domina le bruit des grandes eaux du Rhin:

      «Elle était jeune, elle était belle, elle était sainte.

      Elle a donné son sang à Hésus pour la délivrance de la Gaule!

      Elle s'appelait Hêna! Hêna, la vierge de l'île de Sên.

      -Bénis soient les dieux, ma douce fille, – lui dit son père Joel, le brenn de la tribu de Karnak, – bénis soient les dieux, ma douce fille, puisque te voilà ce soir dans notre maison pour fêter le jour de ta naissance!

      » – Bénis soient les dieux, ma douce fille, – lui dit sa mère Margarid, – bénie soit ta venue! Mais ta figure est triste?

      » – Ma figure est triste, ma bonne mère; ma figure est triste, mon bon père, parce qu'Hêna, votre fille, vient vous dire adieu et au revoir.»

      «-Et où vas-tu, chère fille? Le voyage sera donc bien long? Où vas-tu ainsi?

      » – Je vais dans ces mondes mystérieux que personne ne connaît et que tous nous connaîtrons, où personne n'est allé et où tous nous irons, pour revivre avec ceux que nous avons aimés.»

      Et moi et les rameurs, nous avons repris en choeur:

      «Elle était jeune, elle était belle, elle était sainte.

      Elle


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