Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2 - Charles Athanase Walckenaer


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quelque chose à porter à la cour.

      Mais le portrait de la vraie précieuse, de la précieuse sentimentale, platonique, de la précieuse subtile et doctrinaire, est celui qui est tracé avec le plus de bonheur et de vérité:

      Dans un lieu plus secret, on tient la précieuse

      Occupée aux leçons de morale amoureuse.

      Là se font distinguer les fiertés des rigueurs,

      Les dédains des mépris, les tourments des langueurs.

      On y sait démêler la crainte et les alarmes;

      Discerner les attraits, les appas, et les charmes:

      On y parle du temps que forme le désir

      (Mouvement incertain de peine et de plaisir).

      Des premiers maux d'amour on connaît la naissance;

      On a de leurs progrès une entière science;

      Et toujours on ajuste à l'ordre des douleurs

      Et le temps de la plainte et la saison des pleurs.

      On sait que la reine Christine ayant demandé qu'on lui donnât une définition des précieuses, Ninon lui répondit que «c'étaient les jansénistes de l'amour».

      Les jansénistes faisaient alors encore plus de bruit dans le monde que les précieuses; mais s'ils condamnaient les faiblesses en religion comme les précieuses en amour, ils ne réduisaient pas le culte au sentiment, ils mettaient en pratique ses préceptes. Le nombre des solitaires de Port-Royal s'était accru: cependant il n'allait pas au delà de vingt-sept; mais ces vingt-sept personnes, par leur conviction profonde, par leur zèle ardent, leurs vertus, leur abnégation pour le monde, leur savoir, leur indépendance, le génie supérieur de quelques-uns d'entre eux, leurs amis et leurs nombreux sectateurs, partout répandus, formaient une association qui luttait avec l'ordre puissant des jésuites, avec les abus de la cour de Rome, et la molle complaisance des ecclésiastiques envers les puissants.

      La publication du livre d'Arnauld sur la fréquente communion avait réveillé la haine des jésuites contre la secte qui s'était attachée à l'Augustinus de Jansénius, contenant, selon eux, la véritable exposition de la foi catholique. A l'occasion de ce livre de Jansenius, on fit rédiger cinq propositions, qu'on prétendit être le résumé de sa doctrine, et on les déféra au pape, qui les condamna. Les jansénistes souscrivirent à cette condamnation des cinq propositions, mais ils soutinrent qu'elles n'étaient point dans Jansenius. Une assemblée d'évêques, suscitée par Mazarin et les jésuites, sur le rapport des commissaires qu'elle avait nommés, décida que les cinq propositions étaient dans Jansenius. Le livre d'Arnauld sur la fréquente communion fut en même temps déféré à la Sorbonne, où les docteurs se divisèrent. La dispute s'échauffa: soixante-dix docteurs furent expulsés. Le livre d'Arnauld fut censuré. Une nouvelle bulle du pape reconnut que les propositions étaient dans Jansenius: on rédigea un acte ou formulaire, que tous les prêtres, les religieux et les religieuses devaient souscrire, en signe de leur orthodoxie et de leur entière union avec le saint-siége. On avait à combattre une opinion évidemment contraire aux dogmes de l'Église comme à une saine philosophie; une opinion qui introduisait dans la religion la doctrine du fatalisme, et enlevait à l'homme son libre arbitre. Au lieu de recourir aux moyens de douceur et de persuasion, les seuls permis aux défenseurs de la foi, on employa la rigueur et la persécution; et en intéressant ainsi toutes les âmes généreuses au sort de ceux que l'erreur avait égarée, on fit son succès, on contribua à la propager.

      Les jansénistes voulaient à la fois résister aux décisions du pape et se considérer comme des fidèles qui lui étaient soumis comme au chef de l'Église: c'est alors que, pour justifier leur résistance et tranquilliser leurs consciences, ils imaginèrent la subtile distinction du fait et du droit. Ils reconnaissaient que pour être sauvé on devait une soumission entière, une foi divine au pape et à l'Église, dans tout ce qui concernait le dogme, parce que le pape et l'Église avaient dans ces matières une autorité divine; mais que quand il s'agissait d'un fait, le pape et l'Église ne pouvaient réclamer des fidèles qu'une foi humaine, c'est-à-dire que chacun était libre de décider selon sa conscience. On devait donc condamner les cinq propositions, d'après la décision du pape; mais on n'était pas forcé de croire d'après la seule assertion du pape et des évêques, que ces cinq propositions fussent dans Jansenius.

      Il y a trois principes de nos connaissances, de nos convictions: les sens, la raison, et la foi. Tout ce qui est surnaturel et touche à la révélation se juge par l'Écriture et les décisions de l'Église, et est du ressort de la foi; tout ce qui est naturel, et n'est pas relatif à la révélation, se décide par la raison naturelle. Quant aux faits, on n'est tenu qu'à en croire ses sens. Les propositions qui ne reposent que sur des faits, c'est aux sens seuls qu'il appartient d'en connaître. Dieu n'a pas voulu que jamais la foi pût anéantir la conviction qui résulte du témoignage des sens, ni que cette conviction pût être soumise en nous à aucune autorité; car c'eût été vouloir l'impossible, et anéantir notre propre nature. Les décisions du pape et de l'Église ne peuvent donc enchaîner la conscience en ce qui concerne les faits non révélés.

      Ainsi raisonnaient les jansénistes; et comme ils soutenaient que les propositions condamnées n'étaient pas dans Jansenius, ils refusaient de se soumettre à la bulle du pape qui déclarait qu'elles y étaient; ils prétendaient que le pape avait été surpris et trompé. Toute cette contestation reposait sur une subtilité qui semble presque puérile. Il était bien constant qu'on ne pouvait trouver textuellement les cinq propositions dans le livre de l'évêque d'Ypres; mais, selon les juges les plus impartiaux sur ces matières, ces cinq propositions résultaient des doctrines exposées dans ce livre, et en étaient la substance. Il fallait bien cependant que les jansénistes ne pensassent point ainsi, puisqu'ils donnaient leur consentement à la bulle qui les condamnait.

      Quoi qu'il en soit, le refus de reconnaître que ces cinq propositions fussent dans le livre de Jansenius devint le prétexte d'une persécution contre les vingt-sept solitaires de Port-Royal. On les expulsa de leur champêtre asile, et on les força de se disperser. Seulement Arnault d'Andilly, qui avait rendu de grands services à l'État dans les hauts emplois de la diplomatie, dont l'attachement au gouvernement était connu, qui inspirait la plus entière confiance à la reine et à Mazarin, et était aimé d'eux, obtint qu'aucune violence ne serait exercée contre les paisibles habitants de la vallée. On se contenta de leur intimer les ordres du roi; et la promesse qu'Arnauld avait faite en leur nom, qu'ils y obéiraient sur-le-champ, fut exécutée. «Je ne dirai point à votre éminence, écrivait Arnauld au cardinal, que j'obéirai; mais je lui dirai que j'ai commencé à obéir en quittant la sainte maison où Dieu, par sa miséricorde, m'a donné le dessein de finir mes jours; et je continuerai d'obéir en allant demain à Pomponne, que je ne regarde plus comme ma maison, quoique je l'aie fort aimée, mais comme le lieu de mon exil, et d'un exil si douloureux, que rien ne m'y peut faire vivre que ma confiance en la bonté dont la reine et votre éminence m'honorent. Ainsi mon prompt retour dans mon heureuse retraite n'étant pas une simple grâce que je demande à votre éminence, mais une grâce qui m'importe de tout, je la supplie de considérer les jours de mon bannissement comme elle ferait les années pour d'autres150

      C'est dans ces circonstances, c'est lorsque la violation de tous les droits, des actes d'une tyrannie arbitraire, avaient rendu les jansénistes l'objet de l'intérêt général, que parurent les lettres intitulées les Provinciales151: la première est datée du 23 janvier 1656, et la dernière du 24 mars 1657.

      Jamais pamphlets ne produisirent un effet plus puissant; jamais une cause ne fut défendue avec plus de talent; jamais une attaque ne fut dirigée avec une si terrible énergie, ni combinée et graduée avec un art plus subtil. Pour concevoir le succès que durent avoir ces écrits, qui paraissaient de mois en mois, il faut se rappeler ce que nous avons déjà dit, qu'à cette époque, où l'on remarquait tant d'ardeur pour le plaisir, tant d'intrigues immorales, tant d'aventures scandaleuses, le sentiment religieux était fortement empreint dans les esprits: ceux qui étaient le


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<p>150</p>

ARNAULD d'ANDILLY, Mémoires, t. XXXIV, p. 89, 94.

<p>151</p>

Les Provinciales, ou les Lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial de ses amis et aux RR. PP. jésuites, sur le sujet de la morale et de la politique des saints Pères; Cologne, 1657, in-18, Elzeviers, p. 1 et 369.