Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer
et des personnages objets des madrigaux de cet Apollon enfant. Le poëte Maynard fut l'éditeur de ce beau volume; le portrait de Beauchasteau et les vers composés à sa louange n'y furent pas oubliés. Dès l'année 1656 Beauchasteau avait improvisé des vers devant Christine, et il fut de nouveau présenté à cette reine en 1658. Il alla en Espagne, en Angleterre, et parut devant Cromwell. Partout il excita le même étonnement, la même admiration. La personne qui l'avait conduit en Angleterre l'emmena en Perse, et on n'entendit plus parler de lui. Ainsi s'évanouit, presque aussitôt après sa subite apparition, cette espèce de météore intellectuel. Voici le quatrain que ce jeune enfant improvisa en voyant madame de Sévigné:
Sévigné, suspendez vos charmes
Et les clartés de votre esprit?
Pour nous faire rendre les armes,
Voire extrême beauté suffit160.
CHAPITRE IX.
1657-1658
Les nombreux décès qui ont lieu à la cour ralentissent les fêtes.—L'arrivée des ducs de Modène et de Mantoue et le mariage d'Olympe Mancini les raniment.—Les déguisements en femmes dans les ballets étaient fréquents.—Louis XIV aime la compagnie des femmes.—Il est escorté par plusieurs beautés de la cour dans ses promenades à cheval.—Il prend des leçons de politesse et de galanterie de la comtesse de Choisy.—Se montre indifférent au mariage d'Olympe Mancini.—Joie que la reine en ressent.—Mazarin fait sortir deux de ses nièces du couvent, et les introduit à la cour.—Louis XIV ne fait d'abord aucune attention aux nièces de Mazarin.—Il devient amoureux de mademoiselle de La Mothe d'Argencourt.—Mazarin et la reine également intéressés à s'opposer à cet amour.—La reine emploie la religion.—Le jeune roi fait une retraite, communie, et promet de se vaincre.—Mazarin découvre que mademoiselle d'Argencourt a un amant.—Le roi voit mademoiselle d'Argencourt dans un bal, et s'enflamne de nouveau pour elle.—Mazarin le guérit, en lui prouvant que celle qu'il aime le trahit pour un autre.—D'Argencourt, abandonnée du roi, veut se consoler avec le duc de Richelieu.—Sur la demande de la duchesse, elle est forcée d'entrer au couvent, où elle reste volontairement.—Liaison du roi avec mademoiselle de Beauvais.—Avec une jeune jardinière.—Il en a une fille.—Passage des Mémoires de Saint-Simon sur la destinée de ce premier enfant de Louis XIV.
En se livrant à l'éducation de ses enfants, madame de Sévigné eut cette année moins de sacrifices à faire à ses plaisirs que dans les années précédentes. La mort de madame de Mancini, du duc de Chevreuse, celle du duc de Villars, du maréchal de la Mothe-Houdancourt161, du duc d'Elbœuf162, de Pomponne de Bellièvre163, de la duchesse de Montbazon164, de la duchesse de Mercœur, de la duchesse de Bouillon165, de la duchesse de Roquelaure166, qui eurent lieu dans l'intervalle de quelques mois, contristèrent la cour et la haute société, et ralentirent les fêtes et les divertissements. Mais cela ne pouvait durer longtemps. Le nombre de ceux qui dans un grand royaume sont attachés au service du monarque est trop considérable pour que les chances habituelles de la mortalité n'y portent pas de fréquentes atteintes; et l'habitude de voir presque chaque année disparaître quelques-uns de leurs plus chers serviteurs émousse la sensibilité des rois. Heureux encore quand la perte de ceux qui les ont servis avec le plus de zèle ne leur cause pas une satisfaction secrète, par l'occasion qu'elle leur fournit de conférer des grâces et d'accorder des faveurs aux objets de leurs plus récentes affections!
Les plaisirs reprirent bientôt leur activité accoutumée. L'arrivée du duc de Mantoue à Paris, celle du duc de Modène, qui avait si bien soutenu les armées françaises contre l'Autriche; le mariage de mademoiselle de Longueville avec le duc de Nemours, celui d'Olympe Mancini avec le duc de Soissons, devinrent des prétextes pour bannir tous les signes de deuil et des occasions pour donner mutuellement des fêtes. Il y eut donc encore des repas splendides, des concerts, des mascarades, des danses où le jeune monarque et ses courtisans déployaient leurs grâces et leur habileté, en compagnie avec le célèbre Bauchamp, le Vestris et le Duport de cette époque167. On joua au Louvre, avec les ballets anciens, un nouveau ballet, l'Amour malade, dont Benserade168 avait, comme de coutume, versifié les paroles, mais dont la musique était l'ouvrage d'un jeune et nouveau compositeur, nommé Baptiste Lully: alors on le nommait tout simplement Baptiste. Italien de naissance, il avait été amené jeune en France par le chevalier de Guise, pour être au service de MADEMOISELLE: il l'avait quittée lorsqu'elle fut exilée. Entré depuis dans la musique du roi, il commençait déjà la révolution musicale qui devait lui faire acquérir tant de réputation et de richesses169. Dans ce nouveau ballet il jouait le rôle de Scaramouche; et sa petite taille, sa mine chétive, ses petits yeux, étaient si bien appropriés au burlesque de son rôle, qu'il réjouit encore plus les spectateurs par son jeu que par sa musique. Le goût des nobles figurants de ces ballets et de ces mascarades pour les déguisements de femmes augmentait chaque année, surtout pour ceux qui faisaient partie de la maison de MONSIEUR ou étaient attachés à ce prince170. On remarqua aussi que de jour en jour le jeune roi se plaisait davantage dans la société des femmes; et un essaim de jeunes beautés, portées comme lui sur de superbes coursiers, l'entourait presque toujours à la chasse, et le suivait dans ses rapides et brillantes cavalcades.
Mais les jeunes femmes n'étaient pas celles qu'il recherchait uniquement ni toujours avec le plus d'empressement. La comtesse de Choisy, dont le mari était chancelier de la maison de son frère, femme d'esprit, dans l'âge du retour, qui possédait toutes les grâces de la politesse et du bon ton, toute la science du savoir-vivre, toutes les perfections d'une précieuse du beau temps de l'hôtel de Rambouillet, avait osé dire au jeune roi que s'il voulait devenir un honnête homme (c'est-à-dire, dans le sens qu'on attachait alors à ce mot, un cavalier accompli sous le rapport de la galanterie et de l'élégance des manières), il fallait qu'il eût souvent des entretiens avec elle. Ce conseil fut suivi; Louis allait dîner familièrement chez la comtesse de Choisy, et par la suite il se ressouvint de son institutrice et la récompensa par une pension de huit mille livres171.
Après les préférences marquées que dans toute occasion Louis XIV avait montrées pour Olympe Mancini, on fut étonné de l'indifférence avec laquelle il apprit le mariage qu'elle allait contracter avec le duc de Soissons. On en conclut que Louis était encore trop jeune pour être capable d'éprouver le sentiment de l'amour, et que son goût pour Olympe Mancini, semblable à celui qu'il avait montré autrefois pour la duchesse de Châtillon, n'était encore que l'effet passager des premières habitudes et des souvenirs de l'enfance. La reine le crut ainsi, et témoigna ouvertement la joie qu'elle en ressentait172. Mazarin fit aussi semblant d'en être satisfait; mais, devinant mieux le naturel du jeune monarque, il se hâta de faire sortir du couvent deux de ses nièces et de les produire à la cour.
La plus âgée des deux, Marie Mancini, celle-là même qui devait inspirer à Louis XIV un attachement si vrai et si tendre, était une grande fille maigre, avec de longs bras, un long cou, un teint brun et jaune, une grande bouche, mais de belles dents et de grands yeux noirs, beaux, pleins de feux. Louis fit à elle peu d'attention173. Toutefois il la préférait à sa sœur Hortense Mancini, qui devint une des plus belles personnes de son temps, mais qui était encore dans cet âge dont Louis ne faisait que de sortir. Au moment où la reine se félicitait de l'indifférence de son fils à l'égard des femmes, et où elle espérait que de quelque temps du moins la tendresse qu'il avait pour sa mère ne serait combattue par aucun autre sentiment, elle s'aperçut qu'il était devenu amoureux d'une de ses filles d'atour. Cette fille se nommait de La Mothe
160
161
LORET, liv. VIII, p. 2, 13, 17 et 22,
162
LORET, liv. VIII, p. 182 (1er décembre 1657).
163
MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 405.—GUY-JOLY, t. XLVII, p. 414, 415.—MONGLAT,
164
MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 412.—LORET, t. VIII, p. 63.
165
LORET, liv. VIII, p. 22 (10 février 1657), p. 103 (10 juillet 1657).—MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 398.—MONGLAT, t. LI, p. 20.
166
MONTPENSIER, t. XLII, p. 264, 268.—LORET, liv. VIII, p. 195, 22 décembre 1657.
167
MONGLAT,
168
BENSERADE,
169
MONTPENSIER,
170
LORET, liv. VIII, p. 9, 15, 21 (20 et 27 janvier, et 10 février 1657).
171
LORET, liv. VIII, p. 59 (28 avril).—CHOISY,
172
MOTTEVILLE,
173
MOTTEVILLE,