Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer

Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2 - Charles Athanase Walckenaer


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comme autrefois, la rébellion de son frère, ne cherchait qu'à se concilier la bienveillance du ministre et de la cour. Entièrement livrée à la plus sévère dévotion, elle entretenait une correspondance active avec plusieurs religieuses du couvent des Carmélites, et entre autres avec mademoiselle du Vigean, célèbre par la passion qu'elle avait inspirée à Condé et à Saint-Mégrin. Madame de Longueville eût voulu, à l'imitation de cette amie, consacrer le reste de sa vie à la retraite; mais ses directeurs spirituels ne le lui permirent pas, et lui rappelèrent que ses devoirs marquaient sa place près de son mari, avec lequel il fallait qu'elle se réconciliât. C'était peut-être la plus rigoureuse pénitence qu'ils pussent lui imposer; elle la subit cependant, obtint du duc de Longueville le pardon de ses nombreuses offenses, ne le quitta plus, et se montra désormais soumise à ses moindres volontés186.

      Soit qu'il fût encore, dans le bien comme dans le mal, soumis à l'influence de sa sœur, soit qu'il fût converti par les vertus de sa femme, soit enfin que l'âge eût amorti en lui le feu des passions et lui eût inspiré d'autres pensées, soit enfin par toutes ces causes réunies, le prince de Conti devint aussi régulier dans sa conduite, aussi pieux dans ses sentiments, qu'il s'était précédemment montré déréglé187.

      La duchesse de Chevreuse et la princesse Palatine étaient depuis longtemps dévouées au premier ministre188. Le duc de Beaufort fut de tous les chefs de la Fronde un de ceux qu'on eut le plus de peine à réduire au rôle de suppliant; cependant il s'y résolut, et rentra aussi en grâces: bientôt après il reçut de l'emploi et un commandement189.

      Ainsi Mazarin ne rencontrait plus d'obstacles à l'intérieur. Les partisans du cardinal de Retz, Caumartin, d'Hacqueville, Joly, Laigues, d'Aubigny, Pelletier de la Houssaye, l'abbé de Lameth, Montrésor et autres, étaient trop peu nombreux, trop peu puissants pour former un parti; et Mazarin n'aurait fait aucune attention à eux, s'ils n'avaient pas été, en secret, aidés par les jansénistes. Par cette raison, il les surveillait de près, et faisait enfermer de temps en temps quelques-uns de ces opposants à la Bastille190.

      C'est en quelque sorte en se jouant que Mazarin était parvenu à déconcerter toutes les intrigues qu'on avait ourdies pour le renverser ou pour entraver l'exercice de son pouvoir; mais les difficultés du gouvernement et la politique extérieure demandaient une vue plus vaste et des talents d'un ordre plus élevé. C'est sous ce rapport surtout que Mazarin se montra grand ministre. Continuant toujours l'œuvre de Henri IV et de Richelieu, il cherchait à affaiblir la puissance de la maison d'Autriche. Tous les moyens qui conduisaient à ce but lui paraissaient bons et légitimes. C'est ainsi qu'on le vit se lier avec Cromwell et conclure avec lui un traité. Étranger à toutes les haines comme à toutes les affections, Mazarin ne connaissait plus ni sentiment ni convenance quand la raison politique ordonnait. Là où il trouvait des forces, il cherchait à s'en saisir, quelle que fût leur origine ou leur cause. Il ne craignit pas de froisser tous les cœurs, de choquer les royales répugnances, pour arriver à ses fins; et, sur la demande de l'usurpateur, le roi et les princes d'Angleterre furent expulsés de France; la reine d'Angleterre, comme fille de Henri IV, eut seule la permission d'y rester191. Mazarin obtint aussi de Cromwell un renfort de six mille hommes, qui contribuèrent au succès de la campagne de cette année, signalée par la prise de Montmédy, de Mardick et de Saint-Venant192.

      Lors de la diète qui fut tenue à Francfort pour l'élection d'un empereur, Mazarin parvint à faire admettre les plénipotentiaires du roi de France, qui n'avait aucun droit d'y assister193. L'or et l'intrigue semèrent des divisions dans toute l'Allemagne, obtinrent des alliés pour la France, créèrent des ennemis à l'Autriche. Toujours Mazarin joignait les négociations aux armées, et l'adresse à la force. La guerre se poursuivait avec activité dans les Pays-Bas, en Italie, en Catalogne194, tandis que des plénipotentiaires français en Hollande, à Madrid, à Bruxelles, à Munich, travaillaient à négocier la paix, mais toujours sous des conditions avantageuses à la France195.

      Malgré les succès constants de Turenne, la France souffrait aussi par la guerre, et n'avait pas assez de troupes sur pied pour se garantir des fléaux qu'elle infligeait aux pays ennemis. Les Espagnols s'étaient rendus maîtres de Rocroi, dont la garnison, commandée par l'intrépide Montalte, menaçait Reims, et détachait souvent des partisans. Ceux-ci, pour obtenir de grosses rançons, enlevaient des riches bourgeois dans toute la Champagne, et même s'avançaient jusque près de la capitale. Leur audace s'accrut au point que les habitants de Reims se virent obligés de s'armer pour défendre leur ville contre le pillage, et que le maréchal de l'Hôpital, gouverneur de Paris, fit faire des patrouilles dans la banlieue, pour arrêter ou effrayer ces hardis maraudeurs196.

      Un jeune poëte de Château-Thierry, alors sans réputation, mais non pas sans talent (c'était La Fontaine), avait été invité par une abbesse de Mons à venir la trouver: il s'en excusa par le peu de sûreté de la route, et par la crainte que lui inspiraient Montalte et ses soldats. L'épître en vers qu'il lui adressa à ce sujet surpassait par l'esprit, la grâce, la facilité, l'harmonie, les meilleures lettres de Voiture. La Fontaine en fit la lecture chez le surintendant Fouquet, dont il était le pensionnaire, en présence d'un assez nombreux auditoire. Madame de Sévigné en faisait partie: elle fut charmée de cette pièce; elle exprima le plaisir qu'elle en ressentait, avec cet abandon et ce ton de franchise qui lui étaient ordinaires. La Fontaine, joyeux d'un tel suffrage, adressa deux jours après un dizain à Fouquet, dans lequel il lui dit197:

      De Sévigné, depuis deux jours en çà,

      Ma lettre tient les trois parts de sa gloire,

      Elle lui plut, et cela se passa,

      Phébus tenant chez vous son consistoire.

      Entre les dieux (et c'est chose notoire),

      En me louant, Sévigné me plaça.

      Ingrat ne suis: son nom sera pieçà198

      Delà le ciel, si l'on m'en voulait croire.

      Nous dirons bientôt de quelle manière Fouquet était parvenu à s'emparer de l'administration des finances, et comment il s'était acquis une puissance qui commençait à porter ombrage au premier ministre. Il le surpassait par l'éclat de son luxe et par sa magnificence. Plus généreux que lui, plus homme de goût, meilleur juge en littérature, appréciateur plus éclairé des beaux-arts, il récompensait les auteurs et les artistes avec plus de discernement et plus de libéralité; ce qui était encore préférable, il s'en faisait aimer par son accueil affectueux, par la franchise, la simplicité et l'affabilité de ses manières. Il avait achevé avec une énorme dépense le beau château de Vaux-le-Vicomte, près de Melun. L'architecte du roi Le Vau avait construit les bâtiments, le peintre Lebrun les avait ornés, Le Nostre avait dessiné et planté les jardins et le parc199. C'est dans ce somptueux séjour que Fouquet se plaisait à réunir, avec ce qu'il y avait de plus aimable et de plus considérable en France, les hommes de lettres en réputation et ceux dont la réputation était à faire. Chapelain, Ménage, Costar, la comtesse de La Suze, mademoiselle de Scudéry, s'y trouvaient souvent ensemble; La Fontaine y était admis depuis longtemps; Molière commençait à y paraître, en même temps qu'il venait d'obtenir pour sa troupe la permission de jouer à Paris. L'avocat Pellisson, qui joignait le génie des affaires à celui des lettres, premier commis de Fouquet, était son intermédiaire avec les beaux esprits. Pellisson s'était déclaré l'amant de mademoiselle de Scudéry, mais à la manière poétique de l'hôtel de Rambouillet. C'est là qu'on lui avait donné le nom d'Acante, et à elle celui de Sapho. L'admiration que mademoiselle de


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<p>186</p>

Vie de madame de Longueville, édit. 1739, t. II, p. 10, 11, 18, 22, 24 et 26.

<p>187</p>

MONTPENSIER, Mém., t. XLII, p. 220 et 221.

<p>188</p>

Vie de la duchesse de Longueville; Amsterdam, 1739, in-12, t. II, p. 26.

<p>189</p>

MONTPENSIER, Mém., t. XLII, p. 299.

<p>190</p>

GUY-JOLY, Mém., t. XLVII, p. 410.—PETITOT, Notice sur Port-Royal, t. XXXIII, p. 137.

<p>191</p>

LORET, liv. VIII, p. 136 (18 septembre), p. 156 (13 octobre).

<p>192</p>

MONGLAT, Mém., t. LI, p. 24, 37.—RAGUENET, Vie de Turenne, p. 270.—DESORMEAUX, Hist. de Condé, t. IV, p. 103.—JACQUES II, Mémoires, t. II, p. 116.—LORET, liv. VIII, p. 120, 123, 131, 142 (13 août, 1er et 22 septembre).—RAMSAY, Hist. de Turenne, t. II, p. 72, 80, édit. in-12.

<p>193</p>

MONGLAT, Mém., t. LI, p. 38 et 40.—GRAMONT, Mém., t. LVI, p. 275, 436, 445, 452, 463, 464, 477.—LORET, liv. VIII, p. 106, 136 et 143 (21 juillet, 8 et 12 septembre).—GUY-PATIN, Lettres, t. V, p. 137.

<p>194</p>

MONGLAT, t. LI, p. 64.—LORET, liv. VIII, p. 115 et 116.

<p>195</p>

LORET, liv. VIII, p. 162 (27 octobre).

<p>196</p>

LORET, liv. VIII, p. 111 (28 juillet).—MONGLAT, Mém., t. LI, p. 38; Hist. de la vie et des ouvrages de la Fontaine, 3e éd., t. I, p. 37.

<p>197</p>

LA FONTAINE, Œuvres, édit. 1827, t. VI, p. 260.

<p>198</p>

Longtemps.

<p>199</p>

FOUQUET, Conclusions de ses Défenses; Elzeviers, 1668, in-18, p. 90.