Storey. Keith Dixon
jamais eu le temps de le faire. Trop occupé au pub ou dans son jardin potager, à faire pousser des choses qu’il n’a jamais mangées.
Alors qu’il chauffait un repas au micro-onde, le téléphone sonna.
– Milly.
– Storey. Tu n’appelles pas, tu n’écris pas…
– Lorsque ton père décède, tu as beaucoup de choses à faire. Papoter n’en fait pas partie.
– N’essayes pas de me culpabiliser. La dernière fois que je me sentie culpabilisée, était en 2004 lorsque j’ai heurté un vieil homme en déambulateur.
– Tu conduisais?
– Non, je marchais trop vite sans regarder où j’allais. Mais ce n’est pas pour cela que je t’appelle.
– Pourquoi tu appelles?
Elle laissa échapper un souffle rauque et Paul se l’imagina allongée sur son canapé dans l’appartement qu’elle louait à côté du sien à Battersea. Elle portait sûrement un juste-au-corps noir et transpirait de ses exercices quotidiens de danse en face de la télévision, ses trophées brillants entassés sur l’étagère au-dessus. Elle allait au bal chaque week-end danser avec un type de Fulham, et répétait ses foulées en solo du mieux qu’elle pouvait.
Storey était un plan pour elle. Ils auraient pu avoir une liaison depuis longtemps, mais le moment était mal choisi. Ils avaient arrêté de se parler pendant trois mois, puis recommencèrent mais sur de nouvelles bases. Il aimait le fait qu’elle accepte toujours de lui parler, bien qu’il ne lui ait donné que deux jours de préavis avant son départ et qu’il lui avait laissée la responsabilité de vendre ses meubles avant que le propriétaire ne s’en débarrasse. Elle était débrouillarde – elle assumera.
– Un type est venu te voir hier soir, dit-elle. Je l’ai entendu frapper à ta porte et je suis sortie. Il a dit qu’il travaillait avec toi et qu’il voulait te parler.
– À quoi ressemblait-il?
– Un peu plus grand que toi, cheveux blonds, grosses lèvres rouges écarlates. On aurait cru qu’il portait du rouge à lèvres.
– Rick. Je savais qu’il allait passer.
– Merci de m’en avoir averti.
– Que lui as-tu dis?
– Écoutes bien, c’est là que la conversation devient intéressante. Je suis une fille assez calme pour la plupart du temps, mais tu me fais vraiment chier, Storey. Je n’ai pas besoin que ton passé vienne se déverser devant ma porte. J’ai ma propre vie, tu sais? Ça me va que tu ais été obligé de partir pour t’occuper des funéraires et tout ce qui s’en suit, mais ce n’est pas une raison pour disparaitre. Je m’en fou de ton stress, je m’en fou de ton travail. Je m’en fou de tes étagères. Tu n’as pas le droit de me tout balancer sur le dos et de te casser aux Midlands.
– Je suis tout-à-fait d’accord avec toi. J’ai mal agit. Alors qu’est-ce Rick t’as dit?
Il se l’imaginait fixer le plafond en essayant de se rappeler de ce que son conseiller lui avait dit: ne pas laisser la colère prendre le dessus. Elle était peut-être en train de compter jusqu’à dix ou de s’imaginait des anges. Il n’avait aucune idée de ce qu’elle faisait pour arriver à se calmer.
– Je lui ai dit que tu étais parti. Je ne lui ai pas dit où, ni pourquoi. J’ai fait semblant de ne pas le savoir. C’est ce que tu voulais, non? dit-elle.
– Tu n’as pas mentionné mon père, j’espère? Ni Coventry?
– J’ai suivi tes instructions à la lettre, dit-elle d’un ton familier lui donnant l’impression d’être calme mais un peu contrariée.
– Bref, qu’est-ce que Rick voulait? Je croyais que tu avais démissionné.
– Je l’ai fait. Il pense sûrement arriver à me faire changer d’avis. Il s’est toujours un peu pris pour un psy. Il est convaincu de me connaître mieux que moi-même.
– Merde, Storey, tu ne te connais pas du tout. Tu avances dans le noir.
– Je m’incline devant ton grand savoir.
– Repenses un peu à ton passé. Tu en apprendras beaucoup sur ta personne.
– Je dois y aller. Mon micro-onde vient de bipper.
– Ouais, c’est ça, ne laisse pas ton hamburger refroidir.
– C’est une tourte à la viande.
– Tu as déjà retrouvé tes origines. Je m’inquiète vraiment pour toi, sincèrement!
– Je t’appellerai quand je me sentirai mieux.
– Comme si ça allait arriver un jour, dit-elle en raccrochant.
CHAPITRE TROIS
Avant d’entrer, Janice l’aperçut à travers la vitre. Le culot – prendre sa chaise préférée et se délasser dessus comme si c’était la sienne. Elle pensait qu’il était beau gosse du type basané, comme Pierce Brosnan de parents grecs, une barbe mal rasée et des cheveux noirs secs. Les vêtements semblaient être faits pour lui, dévoilant une poitrine large et des hanches fines, la physionomie d’un homme qui se maintenait en forme et non celui d’un garçon disproportionné. Il n’avait pas de bourrelets, il était soigné et élégant, son regard était si vif qu’on avait l’impression que ses yeux vous transperçaient.
Ce pourrait être intéressant. Ce serait bien de connaître un homme qui prendrait le contrôle, pour une fois. Elle voyait en lui cette envie de dominer, d’imposer sa volonté. Elle aurait aimé vivre le défi, si elle n’avait pas eu d’autres plans en tête.
Le voilà donc, levant les yeux de son livre en la voyant et lui souriant, sachant qu’elle n’avait pas d’autre choix que d’entrer dans le café. Son sourire ne frappe pas à l’œil, pensa-t-elle, c’était quelque chose qu’il faisait avec sa bouche, une impulsion sociale pour signaler que le jeu était sur le point de commencer.
– Je croyais que vous ne reviendriez plus à cause de ma grossièreté. J’avais cru avoir rompu le charme, dit-il.
Elle l’observa: il portait une chemise à col ouvert laissant passer quelques poils bouclés sous une veste bleu marine sûrement de Next, achetée dans une boutique de charité. Il avait posé son livre ouvert à l’envers sur la table – Les raisins de la colère. Elle se demandait ce qu’il faisait pour gagner sa vie. Expert d’assurances: elle ne le croyait pas. Il agissait comme s’il était en mission, quelque chose qu’il allait faire dans sa vie, partir quelque part. Il n’était pas un gratte-papier, ni une personne qui étudiait des chiffres et faisait des calculs. Son regard révélait que beaucoup de choses se passaient dans sa vie. Quelque chose d’effrayant, mais intrigant.
– Offrez-moi un café, dit-elle.
Il la fixa un instant, puis soupira et se leva pour se diriger vers le comptoir en lui faisant un signe désinvolte de la main avant de rejoindre la queue. Il ne lui avait même pas demandé ce qu’elle voulait. Probablement qu’il le savait déjà, depuis le temps qu’il la regardait!
Ne joues pas à ce jeu, se dit-elle. Ne sois pas intriguée.
Elle s’assit et sortit son ordinateur portable Microsoft Surface Pro 3, ouvrit le clavier velouté et glissa l’écran pour ouvrir son document en cours. Elle posa son téléphone Moto G Android sur la table. Elle aimait ses gadgets et connaissait leurs noms et toutes leurs caractéristiques. Pour une raison ou une autre, elle voulait convaincre ce Storey qu’elle était sincère, qu’elle était vraiment journaliste, que son travail était important. D’habitude lorsqu’elle était à Starbucks, elle écrivait son journal ou, de temps en temps, travaillait sur l’une de ses légendes. C’est le nom donné par les espions – les fausses identités qu’ils se créent pour eux-mêmes. Elle avait environ dix en cours et