Dictionnaire érotique moderne. Alfred Delvau
cela soulève sont de la plus haute importance, et j’aurais grande joie à les examiner ici avec détails, afin de vider une bonne fois sur la tête d’un public béotien le panier de mes colères et de mes ironies. Mais, par malheur, la place me manque, mon cadre me force à me borner: à peine me reste-t-il quelques lignes.
J’abrège donc, ne voulant d’ailleurs prouver rien autre que mon droit à réunir en corps de livre une cohue d’expressions pittoresques auxquelles le Dictionnaire de l’Académie fera faire éternellement le pied de grue, sans daigner même entrebâiller un de ses feuillets pour en laisser entrer quelques-unes chez lui. «Toutes les langues roulent de l’or,» a dit Joubert,—et l’argot d’un peuple entier est une langue, spécialement l’argot érotique; s’il vit en marge du Dictionnaire officiel, comme les gens qui le parlent vivent en marge de la société officielle, il n’en finira pas moins, à un moment donné, par se confondre comme eux dans la circulation générale.
Au reste, peu me chaut! C’est déterminément que j’ai composé le recueil pornographique que je publie aujourd’hui, sans arrière-pensée mauvaise; non pour tenter mes contemporains du gaillard péché de luxure,—comme le diable de Papefiguière les nobles nonnains de Pettesec,—mais à titre seul de documents pour l’histoire de la langue et celle des mœurs au XIXe siècle, et avec cette conviction, solidement ancrée dans ma conscience, que s’il n’est utile à personne, à personne non plus il ne sera nuisible. Les lecteurs vraiment chastes ne s’en sentiront pas corrompus; les lecteurs corrompus n’en deviendront pas plus libertins.
Je n’aurai jamais à me couper le poignet par remords de l’avoir écrit.
AVANT-PROPOS
(du Glossaire érotique)
Il faut avoir un certain courage pour faire un livre comme celui-ci; car, tout d’abord, la plupart des personnes qui l’ouvriront s’empresseront de le rejeter comme un tissu d’obscénités, qu’un homme qui se respecte n’aurait jamais dû mettre au jour. Pour beaucoup de gens, sans doute, la première impression sera telle; mais pour ceux qui voudront un peu réfléchir, ils reconnaîtront bientôt qu’il y a un but utile dans cette publication; qui n’est faite ni pour les jeunes filles, ni pour les écoliers.
Pendant plusieurs siècles, on n’attacha aucune idée malhonnête à une multitude de mots et d’expressions qui sont actuellement bannis de la bonne compagnie, et les hommes les plus graves les employaient sans que personne y trouvât à redire. Peu à peu, on a trouvé que certains mots devaient être bannis de la langue, et on les a remplacés par d’autres, ou bien par des périphrases qui expriment, il est vrai, la même idée, mais en bannissant le scandale. C’est sans doute une singulière manière de voir que de regarder un mot comme obscène, et non pas ce qu’il veut dire; car il semblerait raisonnable de ne blâmer dans un écrit que les pensées qui y sont reproduites, et de ne taxer qu’elles seules d’immoralité, sans s’attacher aux mots, qui ne sont que le moyen de rendre les idées palpables. Mais, enfin, la coutume est ainsi établie, et il faut s’y soumettre, sous peine d’être honni. Un auteur qui ne se conformerait pas à cet usage ne serait pas lu, et, de plus, il irait faire un tour en police correctionnelle. Aussi n’avons-nous point le projet de vouloir réformer le monde et de changer sa manière de voir sur un sujet qui a été traité par Bayle beaucoup mieux que nous ne le pourrions faire.
La manière actuelle d’écrire ne doit cependant pas faire proscrire la littérature du XIIe au XVIIe siècle, et empêcher de lire des écrivains distingués, qui n’ont commis d’autres fautes que d’employer dans leurs écrits des mots dont on se servait dans toutes les classes de la société. Tous les dictionnaires ayant soin de bannir de leurs colonnes les mots réprouvés, il arrive que bon nombre d’expressions employées autrefois deviennent inintelligibles pour les lecteurs, qui ne les entendent pas dans la conversation. Cet inconvénient se fait surtout sentir pour les étrangers, car les nationaux ont parfois occasion de les entendre employés par le peuple. Il semble donc que la publication d’un glossaire érotique doit être accueillie favorablement par tous ceux qui veulent lire notre ancienne littérature, et qui sont désireux de bien comprendre les écrivains qui n’ont eu d’autre tort que d’appeler un chat un chat, et qui, sous des obscénités apparentes, ont souvent caché des leçons de morale et de philosophie, que les persécutions religieuses les empêchaient de publier ouvertement.
C’est donc à la partie sérieuse des gens lettrés que nous nous adressons, notre unique but étant de rendre plus familière la lecture d’écrivains d’un grand mérite. Certains d’entre eux, il est vrai, ont été publiés avec un glossaire spécial; mais, en général, il est fort incomplet, surtout en ce qui regarde les termes érotiques. Et puis ces explications manquent presque toujours dans les anciennes éditions, qui sont actuellement fort recherchées.
Dans cet ouvrage, tous les mots sont imprimés en entier, aucune lettre n’étant remplacée par des points; car cette coutume semble s’éloigner tout à fait du but qu’elle se propose. Que veut-on, en effet? Que l’attention ne se fixe pas sur des mots qu’on regarde comme déshonnêtes. Et, de bonne foi, est-il meilleur moyen de l’y fixer que de ne pas imprimer le mot tout entier, puisqu’alors on est forcé de faire des efforts d’imagination pour retrouver ce qui a été omis, tandis que s’il en était autrement on n’y ferait que fort peu d’attention, l’examen ne se portant que sur la pensée exprimée dans la phrase qu’on lit. On croirait vraiment que ce moyen a été inventé par quelque libertin.
Quant à l’orthographe, nous avons suivi en général celle qui est adoptée actuellement, celle des temps anciens étant si variable, même dans le même auteur, que nous n’aurions su laquelle choisir. Seulement, nous avons indiqué toutes les manières diverses d’orthographier le même mot, en renvoyant pour les explications et les citations à celui qui est écrit à la moderne.
L’Auteur
PRÉFACE
(du Recueil du Cosmopolite)
Il semble que la philosophie ne fasse qu’à regret (pour ainsi dire) des progrès dans l’esprit de l’homme; si elle gagne à quelques égards aujourd’hui, elle perd si considérablement par d’autres côtés, que la compensation n’est pas égale. Les connaissances physiques prennent, il est vrai, de jour en jour, un essor plus rapide, mais combien l’esprit de morale n’a-t-il pas dégénéré?
Tandis que nos philosophes s’occupent de cette attraction qui entretient le jeu des différentes parties de l’univers, l’impression conséquente que doivent leur faire les mots les plus estimables de notre langue leur échappe, ou se métamorphose dans leur imagination, et ces mêmes mots ne présentent presque plus, pour la plupart, le vrai sens auquel ils avoient été attachés.
Faut-il chercher d’autre cause de la différence des mœurs de ce siècle-ci à celles des siècles passés? Sans doute, la naïveté avec laquelle nos pères s’énonçoient, et qu’on a depuis si injustement qualifiée du nom de langage libre, étoit la base et le garant de la pureté de leurs mœurs.
Leur façon de vivre étoit aussi simple que leur langage; parmi eux, oui vouloit dire effectivement oui, et non exprimoit exactement non. Point de ces subterfuges qui sont autant de ressources pour la mauvaise foi, et d’écueils de la solidité de l’esprit.
La malignité des termes équivoques, d’autant plus dangereuse qu’elle fait les