La terre et la lune: forme extérieure et structure interne. P. Puiseux

La terre et la lune: forme extérieure et structure interne - P. Puiseux


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silhouette projetée sur le disque de la Lune pendant les éclipses. Il note l'abaissement très sensible de l'étoile polaire sur l'horizon quand on marche du Nord au Sud. Cela prouve non seulement que la Terre est ronde, mais qu'elle n'est pas d'une grandeur démesurée. La surface terrestre n'a pas, à proprement parler, de limites. Rien n'empêche que ce soit la même mer qui baigne les Indes d'une part, les Colonnes d'Hercule de l'autre. Notons au passage cette déclaration, qui a dû être l'origine des audacieux projets de Colomb, et qui lui a permis, en tout cas, de mettre son entreprise sous le patronage révéré du philosophe stagyrite.

      Des mathématiciens, auxquels Aristote fait allusion sans les nommer, attribuent à la Terre 400000 stades de tour. C'est presque deux fois trop s'il s'agit du stade olympique. Aristote paraît, au contraire, trouver cette évaluation bien faible. A ce compte, fait-il observer, on ne pourrait même pas dire que la Terre soit grande par rapport aux astres. Mais Aristote n'admet pas que la Terre soit un astre. Il écarte comme peu sérieuse l'opinion des pythagoriciens d'Italie, qui mettaient la Terre au nombre des astres et la faisaient mouvoir autour de son centre, de manière à produire l'alternance des jours et des nuits.

      Il n'y avait qu'une manière de trancher la question: c'était de procéder à une mesure effective. Ce fut le principal titre de gloire d'Ératosthène, astronome et chef d'école en grande réputation à Alexandrie 200 ans avant notre ère. Il avait observé que, le jour du solstice d'été, le Soleil arrive au zénith à Syène, dans la Haute-Egypte, et que son image apparaît au fond d'un puits. Il mesure le même jour la hauteur méridienne du Soleil à Alexandrie, qu'il considère comme située sur le méridien de Syène. Le complément de cette hauteur est la différence des latitudes. Connaissant la distance et admettant la sphéricité de la Terre, il en déduit la circonférence du globe par une simple proportion.

      Cette opération fut très admirée des anciens, au témoignage de Pline, et le résultat était, en effet, satisfaisant pour l'époque. Le chiffre donné, 250000 stades, aurait dû être remplacé par 246000 d'après l'évaluation la plus probable du stade employé. Maintenant comment Ératosthène savait-il qu'Alexandrie et Syène sont sur le même méridien? Comment avait-il déterminé en stades la distance des deux stations? Il est probable qu'il avait fait usage de plans cadastraux dressés depuis longtemps pour les besoins de l'administration et de l'agriculture et orientés par des observations gnomoniques. L'intérêt que les Égyptiens attachaient à une orientation exacte est d'ailleurs attesté par la construction des pyramides.

      La nécessité de combiner les observations de longitude avec les mesures de latitude a été bien mise en lumière par Hipparque, le plus grand astronome de l'antiquité, qui professait à Rhodes de 165 à 125 avant notre ère. Il est l'auteur de la division du cercle en 360°, de la définition des parallèles et des méridiens, d'un système de projection plane encore employé. Le premier, il montra nettement qu'il faut s'adresser au Ciel pour connaître la forme de la Terre. Il indique le parti à tirer des éclipses pour la mesure des longitudes, et cette méthode est demeurée, en effet, la seule capable de fournir des résultats un peu exacts jusqu'à l'invention des lunettes. Il établit que la valeur d'une carte est subordonnée à la détermination astronomique des deux coordonnées (longitude et latitude) des principaux points. Et, pour faciliter ces déterminations, il calcule des Tables d'éclipses et de hauteurs du Soleil.

      Hipparque ne trouva malheureusement pas de successeurs capables de réaliser le programme si judicieux qu'il avait tracé. Les conditions d'exactitude d'une mesure astronomique furent complètement méconnues par Posidonius, disciple d'Hipparque, qui entreprit de recommencer la détermination d'Ératosthène. Les stations choisies furent Alexandrie et Rhodes. La différence de latitude résultait de cette remarque que l'étoile Canopus ne fait que paraître sur l'horizon de Rhodes, au lieu qu'elle s'élève de 7°, 5 sur l'horizon d'Alexandrie. C'était un tort déjà d'utiliser des observations faites à l'horizon plutôt qu'au zénith. C'en était un autre de choisir deux stations séparées par la mer et dont la distance linéaire ne pouvait être que grossièrement évaluée. Enfin Rhodes est encore moins exactement que Syène sur le méridien d'Alexandrie et l'on ne dit pas comment il a été tenu compte de la différence de longitude. Malgré cela la détermination de Posidonius, telle qu'elle nous est rapportée par Cléomède dans son Abrégé de la sphère, donne encore un résultat meilleur que l'on n'aurait été fondé à l'espérer: 240000 stades.

      Le géographe Strabon (20 ans après J.-C.) entreprit de corriger le calcul de Cléomède en se fondant sur une autre évaluation, d'ailleurs conjecturale, de la distance d'Alexandrie à Rhodes. Cette fois le résultat fut beaucoup plus inexact, 180000 stades seulement. C'est un exemple d'une de ces corrections malheureuses, dont l'histoire des sciences offre plus d'un exemple. Mais il en est peu qui aient trouvé un si long crédit. Bien des siècles devaient se passer avant qu'elle ne fût rectifiée. Dès cette époque, du reste, bien avant les invasions des barbares ou la révolution religieuse qui a transformé le vieux monde, il est aisé de voir que la science grecque est en décadence. Les préjugés vulgaires reprennent de l'empire, même sur les hommes instruits. Posidonius trouve nécessaire de se transporter au bord de l'océan Atlantique (qu'il appelle mer extérieure), pour s'assurer si l'on n'entend pas le sifflement du Soleil plongeant dans la mer. Strabon admet bien la sphéricité de la Terre, mais il croit que la zone torride est inhabitable à cause de la chaleur excessive qui y règne. De l'autre côté se trouve une autre zone habitée, mais toute communication avec ces peuples lointains nous est interdite. Pline laisse voir une préférence pour la doctrine des antipodes et l'isolement de la Terre, mais il est préoccupé plus que de raison des objections populaires. Si la Terre est isolée dans l'espace, se demande-t-il, pourquoi ne tombe-t-elle pas? Sans doute parce qu'elle ne saurait pas où tomber, étant à elle-même son propre centre.

      Ptolémée (140 ans après J.-C.) a passé longtemps, mais sans titre bien établi, pour le représentant le plus distingué de l'Astronomie ancienne. Son Ouvrage, publié à Alexandrie, porte le nom de Construction ou syntaxe mathématique. Il est plus connu sous le nom d'Almageste, que lui ont donné les traducteurs arabes. Nous signalerons seulement dans son uvre ce qui a trait à la mesure de la Terre. Il se propose de réaliser le plan de géographie mathématique ébauché par Hipparque, de dresser la Carte du monde connu, en s'appuyant sur toutes les déterminations de latitude et de longitude qu'il pourra rassembler, et prenant pour méridien origine celui d'Alexandrie. L'intention est louable, mais l'exécution très défectueuse. Ptolémée manque complètement d'esprit critique dans le choix des matériaux nombreux qu'il rassemble et commet de graves confusions dans les unités de mesure.

      Des siècles se passeront avant que l'oeuvre de Ptolémée soit reprise. Les guerres civiles, les invasions, les bouleversements politiques détournent de plus en plus les esprits de la culture paisible de la Science. L'éloquence qui donne le pouvoir, le mysticisme qui console des cruelles réalités de la vie font délaisser les recherches physiques. Il est curieux de noter, à cet égard, le langage des écrivains appelés à exercer par la suite le plus d'influence sur les esprits. Ainsi Lactance, dans ses Institutions divines, considère la notion des antipodes comme une mauvaise plaisanterie des savants, qui exercent volontiers leur esprit sur des thèses invraisemblables. Saint Augustin, dans la Cité de Dieu, ne rejette pas absolument la sphéricité de la Terre, mais il ajoute: «Quant à ce qu'on dit qu'il y a des antipodes, c'est-à-dire des hommes dont les pieds sont opposés aux nôtres, et qui habitent cette partie de la Terre où le Soleil se lève quand il se couche pour nous, il n'en faut rien croire; aussi n'avance-t-on cela sur le rapport d'aucune histoire, mais sur des conjectures et des raisonnements, parce que, la Terre étant suspendue en l'air et ronde, on s'imagine que la partie qui est sous nos pieds n'est pas sans habitants.

      »Mais on ne considère pas que, lors même qu'on démontrerait que la Terre est ronde, il ne s'ensuivrait pas que la partie qui nous est opposée n'est pas couverte d'eau. Et d'ailleurs, quand elle ne le serait pas, quelle nécessité y aurait-il qu'elle fût habitée? D'une part, l'Écriture dit que tous les hommes viennent d'Adam et elle ne peut mentir; d'autre part, il y a trop d'absurdité à dire que les hommes auraient traversé une si vaste étendue de mer pour aller peupler cette autre partie du monde.»

      Les


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