La terre et la lune: forme extérieure et structure interne. P. Puiseux

La terre et la lune: forme extérieure et structure interne - P. Puiseux


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à peu près sans conteste pendant le moyen âge tout entier.

      Il y eut cependant une renaissance appréciable des études astronomiques chez les Arabes sous l'influence des auteurs grecs. Al-Mamoun, calife de Bagdad, de 813 à 832, s'intéressait vivement aux choses du Ciel. On dit que, vainqueur de l'empereur de Constantinople, il lui imposa, comme condition de la paix, la remise d'un manuscrit de l'Almageste. Ce qui est certain, c'est qu'il fit traduire Ptolémée et ordonna la mesure d'un arc de méridien. Il y eut deux opérations distinctes quoique simultanées, l'une dans la plaine de Sindjar en Mésopotamie, l'autre en Syrie. Voici comment la première est rapportée par Aboulféda: «Les envoyés se divisèrent en deux groupes; les uns s'avancèrent vers le Pôle Nord, les autres vers le Sud, marchant dans la direction la plus droite qu'il fût possible, jusqu'à ce que le Pôle Nord se fût élevé de 1° pour ceux qui marchaient vers le Nord et abaissé de 1° pour ceux qui s'avançaient vers le Sud. Alors ils revinrent au lieu d'où ils étaient partis, et, quand on compara leurs observations, il se trouva que les uns avaient avancé de 56 milles 1/3, les autres de 56 milles sans aucune fraction. On s'accorda pour adopter la quantité la plus grande, celle de 56 milles 1/3.»

      D'après les conjectures les plus probables sur la valeur du mille employé, ce résultat est plus loin de la vérité que celui d'Eratosthène. Il ne semble pas qu'on se soit arrêté à la différence constatée, qui aurait pu faire soupçonner que la Terre n'était pas exactement sphérique. Les astronomes arabes n'ont pas persévéré dans la voie qui s'offrait à eux. Ils se sont attachés à l'observation des éclipses, au calcul des positions géographiques. Les catalogues d'Aboul Nasan (XIIIe siècle), de Nasir-Ed-Dîn, d'Oulough-Beg, prince de Samarkand au XVe siècle, marquent un progrès considérable sur les positions de Ptolémée.

      Ce mouvement ne fut suivi en Occident que d'assez loin, au fur et à mesure de ce qu'exigeaient les progrès de la Navigation. Christophe Colomb, persuadé de la rondeur de la Terre par ses voyages au long cours et par la lecture des anciens, adoptait pour la circonférence terrestre la fausse évaluation de Strabon, pour la différence de longitude entre l'Europe et l'Inde une estimation plus fausse encore. Aussi prévoyait-il que, pour rejoindre les Indes par l'Ouest, il aurait seulement 1100 lieues de mer à franchir. Heureuse erreur, car, s'il eût mis en avant le vrai chiffre, qui est de 3000 au moins, il n'eût trouvé personne pour tenter l'aventure avec lui. On sait quelle peine Colomb eut à faire accepter ses vues par une assemblée composée des hommes les plus éclairés de l'Espagne.

      Quoi qu'il en soit, l'éclatant succès de Colomb, et bientôt après le retour des compagnons de Magellan, mirent la rondeur de la Terre au-dessus de toute discussion, et il ne se trouva plus personne pour opposer à la réalité des antipodes l'autorité de Lactance ou de saint Augustin.

      Mais le fait qu'une confusion avait pu se produire entre les Indes orientales et les Indes occidentales, si éloignées en longitude, montrait la nécessité de reprendre le calcul du rayon terrestre. Une tentative intéressante fut faite dans ce sens, en 1528, par le médecin Fernel. Il mesura la différence des hauteurs du pôle sur l'horizon de Paris et sur l'horizon d'Amiens. Pour évaluer la distance, il avait simplement fixé un compteur à une roue de sa voiture. Le résultat publié par lui est assez exact, mais ce moyen grossier ne pouvait évidemment inspirer beaucoup de confiance.

      Le Hollandais Snellius posa en 1615 le véritable principe des mesures géodésiques et en fit l'application dans la plaine de Leyde. Il est expliqué dans son Ouvrage: De la grandeur de la Terre, publié en 1617, avec le sous-titre: «L'Eratosthène batave». Snellius est le premier qui ait eu recours à la triangulation. Aux deux extrémités d'une base soigneusement mesurée en terrain plat, il détermine les azimuts de deux signaux bien visibles, reconnaissables à distance, et se prêtant l'un et l'autre à l'installation d'un instrument propre à mesurer les angles. La distance qui sépare ces deux signaux peut être calculée. On la prend comme base d'un nouveau triangle, et ainsi de suite jusqu'à une station finale dont la latitude est, comme celle du point de départ, déterminée par les méthodes astronomiques. Dans un pays plat, tel que la Hollande, il est possible de conserver aux triangles des dimensions modérées, de façon qu'ils puissent être traités comme rectilignes. On garde aussi la faculté d'orienter la chaîne des triangles sur le méridien, de façon qu'un même astre passe simultanément au méridien des stations extrêmes.

      Il est facile aujourd'hui d'apercevoir des points faibles dans les opérations de Snellius. La base effectivement mesurée est trop petite (631 toises). Il y a des angles trop aigus dans les triangles et peut-être, de l'aveu de l'auteur, des erreurs dans l'identification à distance des points employés comme stations. La valeur annoncée pour le degré de latitude (55100 toises) est notablement trop petite. Snellius mourut sans avoir pu revoir ses calculs. Faits avec plus de soin, ils auraient donné, d'après Muschenbroek, 57033 toises, chiffre assez rapproché de la vérité.

      Une opération analogue, faite quelques années après par le P. Riccioli en Italie, est, à tous les points de vue, défectueuse. La base mesurée n'a que 1094 pas. Plusieurs angles sont fort aigus et sont conclus par le calcul au lieu d'être observés. Aux résultats de la triangulation, Riccioli propose à tort de substituer: soit la mesure de la dépression de l'horizon en un lieu d'altitude connue, soit la mesure des hauteurs apparentes mutuelles de deux points d'altitude connue.

      Ces deux méthodes sont sans valeur pratique à cause de la petitesse des angles qui interviennent et de l'incertitude des réfractions terrestres. Riccioli se flatte d'éliminer ces causes d'erreur en observant vers le Midi, dans des lieux fort élevés, par des jours sereins. C'est une dangereuse illusion. Le chiffre donné (62250 toises au degré) s'écarte plus de la vérité, en sens contraire, que celui de Snellius.

      La première triangulation vraiment entourée de garanties est celle de Picard en 1671. La base, mesurée près de Juvisy, avec des règles de bois alignées au cordeau, a 5663 toises. L'arc total s'étend de Malvoisine, au sud de Paris, à Sourdon, près d'Amiens. Les distances zénithales méridiennes, mesurées avec un quadrant, sont différentielles, c'est-à-dire indépendantes de l'erreur d'index, de la déclinaison de l'étoile et, dans une grande mesure, de l'erreur d'excentricité. Le parallélisme de la lunette au plan du limbe est soigneusement vérifié par une méthode dont Picard est l'inventeur. La méridienne est tracée par l'observation des hauteurs égales d'un même astre; elle est contrôlée par des observations de digressions de la Polaire, d'éclipses de satellites de Jupiter ou d'éclipses de Lune. Il y a, en somme, fort peu à reprendre dans les observations de Picard, et les défauts qu'on y relève ne lui sont guère imputables. La construction des instruments est évidemment plus grossière que celle des théodolites modernes. Les signaux naturels, arbres ou clochers, sont utilisés par économie. Il est ordinairement impossible de placer l'instrument au point même que l'on a visé. D'où la nécessité de réductions au centre, toujours pénibles et incertaines.

      L'opération de Picard avait été entreprise sous les auspices de l'Académie des Sciences récemment fondée. En même temps des missions scientifiques étaient envoyées au Sénégal, à la Guyane, aux Antilles. Dans les instructions remises aux observateurs, il leur était recommandé de s'assurer si l'intensité de la pesanteur ne variait pas d'un lieu à l'autre. Richer, qui observait à Cayenne, annonça en 1672 que le pendule à secondes, emporté de Paris, devait être raccourci pour osciller dans le même temps à Cayenne. En d'autres termes, l'intensité de la pesanteur diminue quand on se rapproche de l'équateur.

      Personne assurément ne songe à placer Picard et Richer, observateurs judicieux et exacts, sur le même rang que Newton. Il doit nous être permis cependant de constater avec quelque fierté que les Communications de nos compatriotes, faites en 1671 et 1672 à l'Académie des Sciences de Paris, ont exercé une influence décisive sur l'éclosion des idées contenues dans le livre immortel des Principes de la Philosophie naturelle.

      Vers 1660, paraît-il, Newton avait conçu la pensée que la même


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