La terre et la lune: forme extérieure et structure interne. P. Puiseux

La terre et la lune: forme extérieure et structure interne - P. Puiseux


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distance, mais il était parti d'une valeur très inexacte du rayon terrestre. Les résultats étaient discordants. Newton renonça à suivre les conséquences de cette idée. Il reprit son calcul quand il connut le résultat de Picard: cette fois, la concordance était parfaite. Newton en fut si ému qu'il ne put vérifier lui-même son travail et dut recourir à l'obligeance d'un ami.

      De même, quand il connut le résultat de Richer, Newton fut amené à penser, avant toute mesure, que la Terre ne devait pas être sphérique, mais aplatie vers les pôles. S'il en est ainsi, les points de l'équateur seront plus loin du centre, et par suite moins attirés que les pôles.

      Il est vrai que, même si l'on suppose la Terre sphérique, la pesanteur doit subir une diminution appréciable à l'équateur du fait de la rotation. Cette diminution, Newton est en mesure de l'évaluer par le même raisonnement qui l'a conduit à la découverte de l'attraction universelle. Il traite le mouvement diurne comme un mouvement absolu et applique les principes de Galilée: indépendance de l'effet d'une force par rapport au mouvement du point d'application, proportionnalité des forces aux chemins parcourus dans un même temps. Soient R le rayon équatorial, ω l'angle, en unité trigonométrique, dont tourne la Terre en une seconde. Un corps qui demeure en repos relatif à l'équateur se rapproche du centre à partir de la trajectoire rectiligne qui résulterait de sa vitesse acquise. Cette déviation, en 1 seconde, a pour valeur approchée Rω²/2.

      Le même corps, libre d'obéir à l'attraction terrestre, tomberait vers le centre, en 1 seconde, d'une quantité que l'on représente par g/2, et que fait connaître l'observation du pendule. La fraction de la pesanteur qui s'emploie à maintenir le corps à la surface, sans le presser, est donc φ = Rω²/2: g/2 = Rω²/g. Les mesures de Picard et de Richer donnent pour la valeur de ce rapport φ = 1/289.

      Cette diminution apparente de la pesanteur a son maximum à l'équateur et s'évanouit progressivement quand on se rapproche du pôle. Mais, du moment que la pesanteur apparente à la surface est variable, il n'y a plus de probabilité pour que cette surface soit exactement sphérique, et il faut qu'elle s'aplatisse pour satisfaire aux conditions d'équilibre d'une masse fluide homogène.

      On peut tenter de vérifier la plus apparente au moins de ces conditions en prenant comme figure extérieure un ellipsoïde de révolution. Soient CA un rayon équatorial, CB le rayon polaire. Newton prend arbitrairement CB/CA = 100/101. L'aplatissement ε est, par définition, 1/101. Le rapport des attractions du corps entier sur les points A et B est 500/501. Deux canaux liquides rectilignes, dirigés suivant CA et CB, exerceront sur le centre des pressions qui seront dans le rapport 101/100 x 500/501 = 505/501. Il est nécessaire pour l'équilibre que la force centrifuge rétablisse l'égalité, en réduisant les attractions exercées dans le plan de l'équateur dans la proportion de 4/505 ou (4/5)ε. Réciproquement, on peut poser ε = (5/4)φ, et cette relation doit subsister tant que l'aplatissement reste faible. Or, l'expérience a donné φ = 1/289. On en déduit ε = 1/230. Cette méthode de calcul s'étend aux autres planètes pourvu qu'on les suppose homogènes, qu'elles aient des satellites et des diamètres apparents mesurables.

      Dans les deux premières éditions du Livre des Principes, Newton dit que l'hypothèse d'une densité croissante vers le centre donnerait un aplatissement plus fort. C'est une erreur corrigée dans la troisième édition.

      Newton ne possède pas les formules d'attraction, aujourd'hui courantes, des ellipsoïdes homogènes. Il y supplée par des tâtonnements et des artifices géométriques. Il arrive ainsi à reconnaître que, de l'équateur au pôle, l'accroissement de la pesanteur apparente est proportionnel au carré du sinus de la latitude. Laplace dit que ce résultat est donné sans démonstration. En réalité la preuve est ébauchée, et les développements que Newton fonde sur cette loi montrent qu'il l'envisageait autrement que comme une simple conjecture.

      On parvient ainsi à représenter assez bien les observations pendulaires des savants français, faites à Paris, Gorée et Cayenne. Il semble cependant que la décroissance de la pesanteur vers l'équateur soit plus prononcée que la formule ne l'indique. Cet écart fait présumer ou une densité croissante vers le centre, ou un aplatissement plus fort. Nous savons aujourd'hui que c'est la première hypothèse qui est la vraie. Notons encore au passage cette opinion hardie que l'aplatissement pourra être mieux déterminé par les observations du pendule que par les mesures d'arc de méridien.

      Pour apprécier le très haut mérite de l'oeuvre de Newton, il faut, par un coup d'oeil jeté sur la littérature scientifique du temps, se rendre compte combien le champ parcouru par lui était alors inexploré; combien les idées qu'il a défendues ont eu de peine à s'imposer aux plus distingués de ses contemporains, comme Huygens ou Bernoulli. Entre ces fertiles et brillants esprits, Newton apparaît comme le moins asservi à ses propres conceptions, comme le plus prompt à se soumettre à la décision des faits. Il ne s'est pas perdu en doutes stériles sur la réalité des forces, en discussions métaphysiques sur le caractère relatif de tout mouvement observé. Il a été de l'avant sur des hypothèses qu'il savait inexactes, mais qui renfermaient un appel implicite à l'expérience. C'est en interrogeant la nature avec une docilité constante que Newton a obtenu la plus riche moisson qu'il ait jamais été donné à un homme de science de recueillir.

       Table des matières

      L'APLATISSEMENT DU GLOBE.

       ESSAIS DE THÉORIE MATHÉMATIQUE DE LA FIGURE DE LA TERRE.

      Trois ans après l'apparition du Livre des Principes, Christian Huygens publiait, à Leyde, son Traité de la lumière, avec un discours sur la cause de la pesanteur. La première Partie de l'Ouvrage est mémorable comme posant les bases de la théorie ondulatoire de la lumière. Les idées de Huygens sur la cause de la pesanteur se rattachent à la théorie des tourbillons de Descartes et offrent aujourd'hui pour nous moins d'intérêt. Pour le savant hollandais, la gravité reste une puissance occulte inhérente au centre du globe. Cela revient à supposer toute la masse de la Terre réunie en un seul point. Même dans cette hypothèse erronée, l'aplatissement apparaît comme une conséquence de la fluidité primitive. Huygens formule ce principe fécond: «La surface des mers est, en chacun de ses points, normale à la direction de la pesanteur», et il en déduit pour l'aplatissement du globe le chiffre 1/578, pas même la moitié de ce que Newton avait trouvé dans l'hypothèse d'un globe homogène, soumis dans toutes ses parties à l'attraction universelle.

      Cassini, adoptant cette conclusion, entreprit de la vérifier. Il aurait fallu, pour le faire d'une façon probante, mesurer deux arcs de méridien séparés en latitude par un grand espace. On pensa qu'il suffirait de relier par une chaîne de triangles Dunkerque à Perpignan, et que la comparaison des degrés au nord et au sud de Paris trancherait la question. Cette opération importante est décrite dans l'Ouvrage intitulé: De la grandeur et de la figure de la Terre, Paris, 1720. Le degré moyen fut trouvé égal à 56960 toises au Nord, à 57097 toises au Sud, ce qui donne raison à Eisenschmidt contre Newton et indique un allongement de 1/95. Mais il est reconnu aujourd'hui que de graves erreurs s'étaient glissées dans la mesure de l'arc du Sud et que le chiffre final repose sur une base des plus fragiles.


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