La terre et la lune: forme extérieure et structure interne. P. Puiseux
en France en 1744, 1745 et 1751, mirent le public au courant de leurs aventures et de leurs travaux. Bouguer publia en 1752 une Justification des Mémoires de l'Académie, pour se plaindre des indiscrétions de son collègue. Une vive polémique s'ouvrit et ne se termina que par la mort d'un des adversaires.
Ces querelles personnelles ont perdu de leur intérêt aujourd'hui, et ne doivent pas nous empêcher d'accorder, aux uns comme aux autres, le tribut d'éloges qui leur est dû. Les missionnaires du Pérou, pas plus que ceux de Laponie, n'ont dit le dernier mot sur la question ardue de la forme de la Terre. Ils ont, au prix d'efforts et de travaux méritoires, mis hors de doute la réalité de l'aplatissement. Pour la valeur du degré de latitude à l'équateur, Bouguer donne 56 736 toises, La Condamine 56 714 toises, les officiers espagnols trouvent 56 768 toises. Adoptons le premier résultat, qui tient le milieu entre les deux autres. Combiné avec le degré du Nord, il donne l'aplatissement 1/223, plus fort que celui de Newton. La correction aurait dû, nous ne pouvons en douter aujourd'hui, être faite en sens contraire. On arrive au chiffre plus vraisemblable 1/324 si l'on substitue aux données de Maupertuis celles d'une mission suédoise qui opéra sur le même terrain de 1801 à 1803 sous la direction de Svanberg. L'arc du Pérou fait aussi l'objet d'une revision qui s'exécute en ce moment par les soins du gouvernement français. Tant que les résultats n'en seront pas publiés, les travaux des académiciens du XVIIIe siècle resteront un élément essentiel dans notre connaissance des dimensions du globe terrestre. Il faut en dire autant d'un arc de méridien mesuré vers la même époque par Lacaille dans le voisinage du cap de Bonne-Espérance, repris au siècle suivant par Maclear et Airy, et que l'intervention du gouvernement anglais promet d'étendre bientôt à travers l'Afrique australe tout entière.
D'importantes recherches théoriques s'accomplissaient, vers la même époque, dans la voie ouverte par Newton. Mac Laurin, dans son Traité des fluxions, publié en 1742, résolut le problème de l'attraction d'un ellipsoïde homogène de révolution sur un point intérieur quelconque. Il démontra que l'ellipsoïde aplati est une figure d'équilibre pour une masse fluide homogène tournant autour du petit axe avec une vitesse convenable.
Les Mathematical dissertations de Thomas Simpson, parues en 1743, établissent l'existence d'une vitesse angulaire limite, au delà de laquelle l'équilibre relatif est impossible. Elles montrent que deux ellipsoïdes différents peuvent répondre à une même vitesse angulaire.
Tant que les recherches mathématiques n'avaient pour objet que des corps homogènes, on pouvait douter qu'elles fussent susceptibles d'une application utile aux planètes. Clairaut fut le premier à s'engager avec succès dans la voie difficile de l'attraction d'un ellipsoïde hétérogène. Sa Théorie de la figure de la Terre (1743), où se déploie un talent analytique de premier ordre, demeure sur bien des points un modèle qui n'a guère été dépassé. Clairaut suppose que les surfaces d'égale densité sont, aussi bien que la surface extérieure, des ellipsoïdes de révolution autour d'un même axe, mais il laisse arbitraire la loi de variation de densité, aussi bien que la loi de variation d'ellipticité d'une couche à l'autre. Il admet seulement (ce qui est d'ailleurs fort vraisemblable) que, d'une couche à l'autre, la densité augmente toujours quand on se rapproche du centre.
Partant de ces hypothèses, Clairaut démontre tout une série de lois remarquables. Appelons:
a, b les demi-axes d'une couche quelconque, ρ la densité correspondante;
e l'ellipticité (b-a)/a de cette même couche;
e1 l'ellipticité de la surface externe;
φ le rapport de la force centrifuge à la pesanteur équatoriale sur la surface externe;
ge la pesanteur à l'équateur;
g la pesanteur à la latitude Ψ. On trouve alors:
Première loi.--Les ellipticités vont toujours en croissant de la surface au centre.
Deuxième loi.--Le rapport e/a³ prend des valeurs croissantes de la surface au centre.
Troisième loi.--Si l'on pose n = (5/2)φ - e1, on peut écrire approximativement
g = ge(1 + n sin² Ψ).
Quatrième loi.--L'ellipticité e1 de la surface externe est toujours comprise entre φ/2 et 5φ/4.
Cinquième loi.--Si l'on regarde e et ρ comme des fonctions inconnues de a, on peut écrire une équation différentielle qui relie ces deux fonctions, et qui devient intégrable si l'on adopte pour ρ certaines formes simples en fonction de a 5.
Note 5: (retour) Nous renverrons, pour la démonstration de ces propriétés, au Traité de Mécanique céleste de Tisserand, t. II.
Les trois dernières lois sont précieuses en ce qu'elles ont lieu pour toute distribution des matériaux à l'intérieur, sous la réserve que cette distribution rentre dans les hypothèses, d'ailleurs passablement larges et souples, de Clairaut. Il n'est pas toutefois démontré, ni même probable que la constitution du globe terrestre s'y conforme rigoureusement. Une infraction à ces lois, établie par l'expérience, ne serait donc pas un paradoxe mathématique.
Ces mêmes lois sont approximatives, et s'obtiennent en négligeant la seconde puissance de l'ellipticité. On peut se permettre cette simplification pour la Terre et pour la Lune. Il est plus difficile de s'en contenter pour Jupiter ou Saturne. Dans un Mémoire inséré aux Annales de l'Observatoire de Paris, t. XIX, Callandreau a montré comment les énoncés des lois de Clairaut devraient être complétés pour ces deux planètes.
La troisième loi confirme et précise l'énoncé de Newton, concernant la variation de la pesanteur à la surface. Elle montre comment la forme du globe pourrait être connue exactement par les seules mesures du pendule, s'il ne fallait pas compter avec les anomalies locales.
La limite inférieure de l'ellipticité, donnée par la quatrième loi, correspond à l'aplatissement de Huygens et à la concentration de toute la masse en un seul point. La limite supérieure conduit à l'aplatissement de Newton et à l'homogénéité de toute la masse.
Cette quatrième loi se vérifie pour la Terre, Jupiter et Saturne, c'est-à-dire pour les astres où la durée de rotation et l'ellipticité sont l'une et l'autre mesurables. En ce qui concerne le Soleil, Mercure, Vénus, la Lune et Mars, les deux limites de Clairaut font seulement prévoir une ellipticité insensible, ce qui est encore conforme à l'observation. Il n'y a pas là, évidemment, une démonstration précise, mais une présomption sérieuse pour considérer la théorie de Clairaut comme exacte dans ses grandes lignes.
CHAPITRE III.
RÉSULTATS GÉNÉRAUX DES MESURES GÉODÉSIQUES.
VARIATIONS OBSERVÉES DE LA PESANTEUR A LA SURFACE.
En décidant l'adoption d'une unité de longueur fondée sur les dimensions du globe terrestre, la Convention nationale donna une impulsion puissante et durable aux études géodésiques. De cette époque datent les perfectionnements apportés par Gambey dans la division des cercles, par Borda dans l'emploi du théodolite et la mesure des bases par les règles bimétalliques. La méthode des moindres carrés, la théorie