Les vivants et les morts. Anna de Noailles

Les vivants et les morts - Anna de Noailles


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Qu'entr'ouvre le boulet d'un soleil rouge et rond,

       Noir cachet de la foudre au coeur chenu des saules,

       Tristesse de la plaine et des cris du héron!

       O Chopin, votre voix, qui reproche et réclame,

       Comme un peuple affamé se répand dans nos âmes;

       Vous êtes le martyr sur le gibet divin;

       Votre bouche a goûté le fiel au lieu du vin;

       Toute offense a meurtri votre coeur adorable;

       La mer se plaint en vous et arrache les sables,

       Chopin! Et nous pleurons les bonheurs refusés,

       Tandis que votre sombre et musicale rage

       S'étend, sur l'horizon chargé de lourds nuages,

       Comme un grand crucifix de cris entre-croisés!

      TU RESSEMBLES A LA MUSIQUE…

      Tu ressembles à la musique

       Par la détresse du regard,

       Par l'égarement nostalgique

       De ton sourire humble et hagard;

      Les plus avides mélodies

       Qui me boivent le sang du coeur,

       N'ont pas de forces plus hardies

       Que ta faiblesse et ta pâleur.

      Les lumières dans les églises

       Ont le même rayonnement

       Que ton visage, où je me grise

       Du goût d'un nouveau sacrement.

      —Tu n'es qu'un enfant qui défaille,

       Mais, par les rêves de mon coeur,

       Tu ressembles à la bataille,

       A Jésus parmi les docteurs,

       Aux héros morts sous les murailles,

       A tout ce qui lutte et tressaille,

       Au Cid sur un cheval dansant,

       Au martyr dans le Colisée.

       Sur qui la bête, harassée,

       Passe, comme un linge apaisant

       Tout trempé d'amour et de sang,

       Sa langue calme et reposée…

      JE T'AIME ET CEPENDANT…

      Si vous m'aimez, dites combien vous m'aimez…

       SHAKESPEARE (Antoine et Cléopâtre).

      Je t'aime, et cependant, jamais tes ennemis

       Contre ton doux esprit ne se seraient permis

       La lucide, subtile et lâche violence

       Que mon amour pour toi exerçait en silence.

       Je t'aime et, dans mon coeur, je t'ai fait tant de tort

       Que tu fus un instant devant moi comme un mort,

       Comme un supplicié que la foule abandonne,

       A qui sa mère, enfin, ne veut pas qu'on pardonne…

       J'ai méprisé ta joie, ta peine, ton labeur,

       Ta tristesse, ta paix, ton courage et ta peur,

       Et jusqu'au sang charmant dont je vis par tes veines.

       Mes yeux ne voyaient pas où finirait ma haine;

       Mais j'ai fait tout ce mal pour ne pas défaillir

       Du seul enchantement de ton clair souvenir;

       Pour pouvoir vivre encor, sans gémir dans l'extase

       Que tu sois ce parfum et que tu sois ce vase;

       Pour respirer un peu, sans que le jour et l'air

       M'assaillent de tes yeux plus brisants que la mer;

       J'ai fait ce mal pour mieux pouvoir, dans mon refuge,

       Scruter le fond soumis de mon coeur qui te juge,

       Car moi qui te voulais enchaîné dans les rangs,

       Courbé comme un captif sous les yeux du tyran,

       Je presse dans mes mains, si hautaines, si graves,

       Tes pieds humbles et doux qui sont tes deux esclaves…

      EN ECOUTANT SCHUMANN

      Quand l'automne attristé, qui suspend dans les airs

       Des cris d'oiseaux transis et des parfums amers,

       Et penche un blanc visage aux branches décharnées,

       Reviendra, mon amour, dans la prochaine année,

       Quels seront tes souhaits, quels seront mes espoirs?

       Rêverons-nous encor tous deux comme ce soir,

       Dans la calme maison qu'assaille la rafale,

       Où l'humble cheminée, en rougeoyant, exhale

       Une humide senteur de fumée et de bois?

       Entendrons-nous, mes mains se reposant sur toi,

       Ces grands chants de Schumann, exaltés, héroïques,

       Où le désir est fier comme un sublime exploit,

       Où passe tout à coup la chasse romantique

       Précipitant ses bonds, ses rires, ses secrets

       Dans le gouffre accueillant des puissantes forêts?

      —O Schumann, ciel d'octobre où volent des cigognes!

       Beffroi dont les appels ont des sanglots d'airain:

       Jeunes gens enivrés, dans les nuits de Cologne,

       Qui contemplez la lune éparse sur le Rhin!

       Carnaval en hiver, quand la froide bourrasque

       Jette au détour des ponts les bouquets et les masques,

       —Minuit sonne à la sombre horloge d'un couvent,—

       Un falot qui brillait est éteint par le vent…

       —Et puis, douleur profonde, inépuisable, avide,

       Qui monte tout à coup comme une pyramide,

       Comme un reproche ardent que ne peut arrêter

       La trompeuse, chétive, amère volupté!

       —O musique, par qui les coeurs, les corps gémissent,

       Musique! intuition du plaisir, des supplices,

       Ange qui contenez dans vos chants oppressés

       La somme des regards de tous les angoissés,

       Vous êtes le vaisseau dansant dans la tempête!

       Avec la voix des morts, des héros, des prophètes,

       Dans les plus mornes jours vous faites pressentir

       Qu'il existe un bonheur qui ressemble au désir!

       —Pourtant je vois, là-bas, dans l'ombre dépouillée

       Du jardin où le vent d'automne vient gémir,

       Les trahisons, les pleurs, les âmes tenaillées,

       La vieillesse, la mort, la terre entre-baillée…

      QU'AI-JE A FAIRE DE VOUS…

      Qu'ai-je à faire de vous qui êtes éphémère,

       Trop douce matinée, éther bleuâtre et chaud,

       O jubilation insensée et légère

       D'un moment que le temps engloutira si tôt?

      Je


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