Les vivants et les morts. Anna de Noailles

Les vivants et les morts - Anna de Noailles


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Tout se dilue et luit. Ciel au calme visage,

       Tu viens séduire l'homme et les yeux des oiseaux!

      —Pauvre oiseau, est-ce donc ces trompeuses coutumes,

       Renaissant chaque fois que s'étend la tiédeur,

       Qui te font oublier l'incessante amertume

       D'un monde qui transmet la ciguë et les pleurs?

      Ton délire est le mien; je sais qu'on recommence

       A rêver, à vouloir, d'un coeur naïf et plein,

       Chaque fois qu'apparaît le ciel d'un bleu de lin;

       Et que le courage est une longue espérance…

      Oui, l'espace est joyeux, le vent, dans l'arbrisseau,

       D'un doigt aérien creuse une flûte antique.

       L'univers est plus vif qu'un bondissant cantique;

       Les fleuves, mollement, gonflent sous les vaisseaux;

       Les torrents, les brebis viennent d'un même saut

       Ecumer dans la plaine, où l'hiver léthargique

       Fond, et suspend sa brume aux hampes des roseaux.

      L'eau s'arrache du gel, le lait emplit la cruche,

       Les abeilles, ainsi que des fuseaux pansus,

       Vont composer le miel au liquide tissu,

       Blond soleil familier de l'écorce et des ruches!

      C'est cet allègre éveil que tes yeux ont perçu:

       Oiseau plein de grelots, ô hochet des Ménades,

       Héros bardé d'azur, calice rugissant,

       Je t'entends divaguer! Tes montantes roulades

       Ont l'invincible élan des jets d'eau bondissants.

      Matelot enivré dans la vergue des arbres,

       Tu mens en désignant de tes cris éblouis

       Des terres de délice et des golfes de marbre,

       Et tout ce que l'espoir a de plus inouï;

      Mais c'est par ce sublime et candide mensonge,

       Par ce goût de vanter ce qu'on ne peut saisir,

       Que l'esclavage humain peut tirer sur sa longe,

       Et que parfois nos jours ressemblent au désir!

      T'AIMER. ET QUAND LE JOUR TIMIDE…

      T'aimer. Et quand le jour timide va renaître,

       Entendre, en s'éveillant, derrière les fenêtres,

       Les doux cris jaillissants, dispersés, des oiseaux,

       Eclater et glisser sur la brise champêtre

       Comme des grains légers de grenades sur l'eau…

       —T'espérer! Et sentir que le golfe halette

       En bleuâtres soupirs vers le ciel libre et clair;

       Et voir l'eucalyptus, dans la liqueur de l'air,

       Agiter son feuillage ainsi que des ablettes!

       —Voir la fête éblouie et profonde des cieux

       Recommencer, et luire ainsi qu'au temps d'Homère,

       Et, bondissant d'amour dans la sainte lumière,

       La montagne acérée incisant le ciel bleu!

       —Et t'attendre! Goûter cette impudique ivresse

       De songer, sans encor les avoir bien connus,

       A ton regard voilé d'amour, à tes bras nus,

       Au doux vol hésitant de ta jeune caresse

       Qui semble un chaud frelon par des fleurs retenu!

       —Et puis te voir enfin venir entre les palmes,

       Innocent, assuré, sans crainte, les yeux calmes,

       Vers mes bras enivrés où le destin fatal

       Te pliera durement et te fera du mal;

       Alors saisir tes mains, comme la brusque chèvre

       Mord la fleur de cassie et rompt le myrte étroit;

       Et, les yeux clos, avoir, pour la première fois,

       Bu l'humide tiédeur qui dort entre tes lèvres…

       —O cher pâtre, inquiet et désormais terni.

       J'ai vécu pour cela, qui est déjà fini!

      CANTIQUE

      «Amphore de Cécrops, verse ta rosée bachique!»

       (Anthologie grecque.)

      Mon amour, je ne puis t'aimer: le jour éclate

       Comme un blanc incendie, au mont des aromates!

       Le gazon, telle une eau, fraîchit au fond des bois:

       Un délire sacré m'entraîne loin de toi.

       —Cette odeur de soleil étreignant la prairie,

       Ce doux hameau, cuisant comme une poterie,

       Avec ses toits de brique, ardents, pourpres, poreux,

       Et le calme palmier de Bethléem près d'eux,

       Cette abeille qui danse, ivre, imprudente et brave,

       Dans les bleus diamants de la chaleur suave,

       Me font un corps céleste, aux dieux appareillé!

       —L'aigu soleil extrait des fentes du laurier,

       Des étangs sommeillants où le serpent vient boire,

       Une opaque senteur qui semble verte et noire.

       L'été, de tous côtés sur le temps refermé,

       Noie de lueurs l'azur, étale et parfumé;

       La montagne bleuâtre a l'aspect héroïque

       Du bouclier d'Achille et des guerriers puniques,

       Et je me sens pareille à quelque aigle hardi

       Dont le vol palpitant touche des paradis!

       Mais je ne puis t'aimer!

       —Etincelants atomes,

       Jardins voluptueux, confitures d'aromes,

       Baisers dissous, coulant dans les airs qui défaillent,

       Chaude ivresse en suspens, lumière qui tressaille,

       Navires au lointain se détachant du port,

       Promettant plus d'espoir que la gloire et que l'or,

       Dont le pont clair est comme un pays sans rivage,

       Ressemblant au désir, ressemblant au nuage,

       Et dont les sifflements et la sourde vapeur

       Dispensent un diffus et sensuel bonheur!…

       —O sifflets des vaisseaux, mugissements languides,

       Nostalgiques appels vers les îles torrides,

       Sourde voix du taureau, plein d'ardeur et d'ennui,

       A qui Pasiphaé répondait dans la nuit!…

       —Non, je ne puis t'aimer, tu le sens; les dieux mêmes

       Sont venus vers mon coeur afin que je les aime;

       Laisse-moi diriger mes pas dansants et sûrs

       Vers mes frères divins qui règnent dans l'azur!

       —Mais toi, lorsque le soir répandra de son urne

       L'ardeur mélancolique et les cendres nocturnes,

       Lorsqu'on verra languir l'air et l'arbre étonnés,

      


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